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Electre des bas-fonds de Simon Abkarian photo spectacle
Le spectacle "Electre des bas-fonds" © Frederic Ferranti

♥ Critique / “Electre des bas-fonds” de Simon Abkarian

C’est au Théâtre du Soleil que Bulles de Culture a eu la chance de pouvoir découvrir enfin la nouvelle pièce de Simon Abkarian, Electre des bas-fonds. Un spectacle total…ement épatant ! L’avis et la critique théâtre de Bulles de Culture sur ce spectacle coup de cœur.

Synopsis :

Mariée à Sparos (Simon Abkarian), le tenancier d’un bordel, Electre (Aurore Fremont) n’a plus rien de la princesse qu’elle a pu être. Rongée par sa haine envers sa mère Clytemnestre (Catherine Schaub Abkarian) et son amant Egisthe (Olivier Mansard), meurtrier-e-s d’Agamemnon.

Elle s’oppose en cela à sa sœur Chrysothémis (Rafaela Jirkovsky, en alternance avec Chloé Astor), qui prône la conciliation et le pardon.

Quand revient le frère, Oreste (Eliott Maurel), ressurgissent les aspirations à la vengeance d’Electre. La tragédie peut commencer.

Electre des bas-fonds, une relecture réussie du mythe antique

Quel plaisir incroyable que cette réécriture, pertinente, juste et documentée, du mythe d’Electre. Tout en proposant sa propre écriture dans Electre des bas-fonds, Simon Abkarian ne tourne pas le dos aux trois tragiques antiques, ni à la mythologie de façon générale.

Simon Abkarian fait ainsi le choix des éléments qu’il juge pertinents chez l’un ou l’autre :

  • à Sophocle, il emprunte l’affrontement entre Electre et Chrysothémis, qui rappelle fort celui entre Antigone et Ismène ;
  • à Euripide, l’idée du mariage humiliant infligé à Electre, mariage qui, sans être heureux, apporte un soutien sincère à la princesse déchue.

Mais sa relecture du mythe ne s’arrête pas là.

Pour mettre en scène le personnage d’Oreste, il imagine un homme qui doit sa survie au fait de se faire passer pour femme. Brillant thème repris de l’Achilléide, dans laquelle Achille est déguisé en fille par sa mère dans l’espoir qu’il échappe à la guerre de Troie dont elle connait la funeste fin pour son fils.

Toutefois dans l’Achilléide, la virilité débordante d’Achille révèle la supercherie. Or dans Electre des bas-fonds, Oreste rejette les codes de cette virilité qu’on veut lui faire porter, tandis que sa sœur les porte tous.

Pertinente réflexion par ce biais sur la construction du féminin et du masculin, et les stéréotypes de genre qui l’accompagnent.

S’ajoutent à cela des éléments qui sont chers à l’auteur.

La souillure du viol vient renforcer l’opposition entre les deux sœurs, entre une Electre déclassée mais dont la virginité est préservée, et une Chrysothémis en grâce mais qu’on anéantit par le viol. De plus, le chœur de danseuses sacrées est doublé d’un chœur de laissées-pour-compte, des Troyennes captives devenues prostituées.

Deux apports pertinents qui viennent encore ajouter au tragique de la pièce, et donner davantage de densité au besoin d’une noire vengeance, comme la revanche amère et terrible de celles que la violence des hommes a écrasées.

Une tragédie antique et rock

Electre des bas-fonds de Simon Abkarian photo spectacle
Le spectacle “Electre des bas-fonds” © Frederic Ferranti

Le fantôme d’Agamemnon, la présence de la mort incarnée par un drolatique personnage, qui n’est pas sans rappeler l’esthétique mexicaine, des rites sacrés, une vieille nourrice aveugle, et la lente marche vers la sanglante vengeance et l’irréparable fureur du meurtre… Simon Abkarian reprend les ingrédients de la tragédie antique, et cela fonctionne magnifiquement.

On avance au fil d’Electre des bas-fonds vers l’horreur en parcourant toutes les noirceurs de l’âme humaine, toutes ses fulgurances également.

Fidèle au fonds mythologique, Simon Abkarian reprend encore deux éléments du spectacle tragique antique : une musique omniprésente ainsi qu’une forte empreinte chorégraphique.

Aussi trouve-t-on un orchestre sur scène, qui accompagne l’ensemble de l’intrigue avec pertinence et concordance, et de longs passages chorégraphiés qui rythment le spectacle et marquent les temps de transition et de tension avec force.

Il y a une vraie vision dans ces idées.

Le choix qui a été fait d’une tonalité résolument rock pour la musique dans Electre des bas-fonds est d’une pertinence telle qu’il semble d’une évidence absolue ; elle est sublime, cette musique qui accompagne le spectacle d’un bout à l’autre et qui souligne avec brio les différentes dissensions et montées en pression de l’intrigue.

De cette façon, rien ne fait penser à une réécriture forcée vers la modernité, mais tout donne à voir l’incroyable permanence des mythes et l’essentielle opportunité de les faire dialoguer avec l’actualité.

De même les chorégraphies sont stupéfiantes de beauté, d’émotion et d’à-propos, et rendent à la tragédie son côté impressionnant et total.

C’est cette dimension totale qui donne d’ailleurs au spectacle sa puissance, alliant à la perfection le jeu et le texte à la danse et à la musique.

Ainsi, en deux heures et demi de spectacle, aucun temps mort, aucune baisse de régime. À aucun moment, on ne trouve de longueur ou de superflu, tout est bien construit, bien imbriqué, et tout a son rôle à jouer.

Notre avis ?

Elles sont rares les relectures des mythes antiques qui ont cette richesse, cette intensité, cette virtuosité. La maîtrise du mythe, la mise en scène de ses enjeux sont parfaites. Un souffle épique nous saisit.

Et ce spectacle total atteint son but : nous couper le souffle, nous stupéfier, et nous laisser sortir renversé-e-s et convaincu-e-s par ce à quoi l’on vient d’assister.

Quelle chance en tout cas que d’avoir eu la possibilité de découvrir, certes tardivement, cette Electre des bas-fonds, qui mérite amplement les récompenses et les honneurs qu’elle a su remporter.

C’est un spectacle coup de cœur de Bulles de Culture dont on se souviendra longtemps !

En savoir plus :

  • Electre des bas fonds au Théâtre du Soleil (Cartoucherie, Paris) du 10 juin 2022 au 15 juillet 2022
  • Tournée : du 25 au 28 janvier 2023 au Théâtre de la Criée de Marseille
  • Durée du spectacle : 2h30
  • Distinctions : 3 Molières (auteur francophone, mise en scène, théâtre public) ; 2 Prix du Syndicat de la critique (révélation théâtrale Aurore Frémont, meilleure musique de scène Howlin’ Jaws) ; Prix Théâtre SACD ;
  • Distribution : Djivan Abkarian, Maral Abkarian, Simon Abkarian, Chouchane Agoudjian, Anaïs Ancel, Chloé Astor, Maud Brethenoux, Laurent Clauwaert, Victor Fradet, Aurore Frémont, Christina Galastian Agoudjian, Lucas Humbert, Rafaela Jirkovsky, Nathalie Le Boucher, Baptiste Léon, Olivier Mansard, Eliot Maurel, Nedjma Merahi, Manon Pélissier, Annie Rumani, Catherine Schaub-Abkarian, Suzana Thomaz, Frédérique Voruz
Morgane P.

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