Diffusé le mercredi 25 septembre sur France 2 et disponible en replay, A l’épreuve est un téléfilm coup de cœur d’Akim Isker, avec Frankie Wallach, Bernard Campan et Clémentine Célarié, qui a été fort justement récompensé de deux prix au Festival de la Fiction 2024. L’avis et la critique film de Bulles de Culture ainsi que nos interviews.
Synopsis :
Ambre (Frankie Wallach) étudie le droit, encouragée par des parents de condition modeste qui la voient déjà avocate. Lorsqu’un bébé qui n’était pas du tout prévu au programme arrive, toute la famille doit se réinventer. La jeune maman claque la porte de la fac, puis celle de ses parents qui la jugent irresponsable, pour leur prouver qu’elle peut se débrouiller sans eux.
Trouver un job, un appartement ? Même pas peur ! Elle est prête à soulever des montagnes pour son fils ! Bientôt confrontée à la réalité du marché du travail, elle a cependant bien du mal à accepter la seule opportunité qui s’offre à elle : devenir éboueuse pour la Ville de Paris…
A l’épreuve : une formidable immersion dans l’univers méconnu des éboueurs
Avec un scénario de Fanny Chesnel et Noémie de Lapparent, une image de Pénélope Pourriat, des décors d’Arnaud Chauvin, des costumes de Mathilde Mallet, un montage d’Aurique Delannoy, une musique originale d’Eric Neveux et une réalisation d’Akim Isker, A l’épreuve est un formidable téléfilm qui nous plonge dans l’univers méconnu de ceux en charge de la collecte des déchets et de la propreté de l’espace public.
Après une scène d’introduction qui nous place au cœur du métier d’éboueurs, cet unitaire fiction introduit le personnage d’Ambre (Frankie Wallach), une jeune mère étudiante qui après avoir échoué à ses examens et s’être fâchée avec ses parents, chez lesquels elle vit encore, décide de prendre sa vie en main et de s’occuper, seule, de son fils (Amaury Leroy).
Après s’être réfugiée chez sa meilleure amie (Ludmilla Makowski, vue dans la série Lupin), elle accepte, à contre-cœur, le seul emploi qui s’offre à elle, éboueuse, mais le cache à ses proches. Et quand son père (Chad Chenouga), et surtout sa mère (Anne Suarez), insistent auprès de la justice pour récupérer son enfant, elle décide, avec l’aide d’un jeune éboueur (Zacharie Chasseriaud), avec lequel elle a sympathisé, de postuler à un poste plus rémunérateur et rejoindre l’élite de la profession, chapeautée par la première femme (Clémentine Célarié) à être passé par ce monde viril et rude.
Questions à la coscénariste Fanny Chesnel, au réalisateur Akim Isker et à l’actrice Frankie Wallach
Bulles de Culture : Quelle est la genèse de la fiction unitaire A l’épreuve ?
Fanny Chesnel : Au départ, j’avais initié une série il y a 10 ans, mais le sujet des poubelles faisait peur au diffuseurs. Il sort des sentiers battus, il n’est pas concernant, pas glamour, pas dans le genre, pas dans la case polar…
Mais dès le départ, je voulais parler de la Fonctionnelle, c’est-à-dire cette unité d’élite du service de la propreté de Paris, parce que c’est porteur d’une dramaturgie féconde et un biais pour pouvoir parler des éboueurs au sens large. Ça déjouait le côté un peu chronique de la collecte des poubelles et des déchets, et ça permettait de rencontrer cette profession, ces personnages, ces invisibles.
Bulles de Culture : Vous êtes donc allée à leur rencontre ?
Fanny Chesnel : Oui, j’ai fait des maraudes avec la Fonctionnelle. Je suis allée aux Lilas, dans leurs locaux, et j’ai rencontré plein de personnages. C’était super intéressant et je sentais à l’époque, quand j’arrivais dans leurs locaux comme femme au milieu de tous ces hommes, le poids de la misogynie. Or, il y avait justement une femme à la tête de ce service masculin qui se battait pour obtenir un vestiaire et la féminisation de ce métier et de son équipe.
Il y a de plus en plus de femmes éboueurs, mais il n’y en avait pas du tout à la Fonctionnelle parce que c’est un métier un peu à part. C’est très physique.
“Il fallait s’immerger avec eux, faire ce film avec eux”
Bulles de Culture : Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser la fiction unitaire A l’épreuve ?
Akim Isker : C’est le point de vue et la promesse de traitement. Car on ne peut pas dire que ce soit un film sur les éboueurs, mais c’est un film sur une jeune femme et surtout son rapport sensible, humain à la parentalité — sur comment on arrive à affronter la complexité de la société d’aujourd’hui en tant que jeune maman —, sur la précarité et, surtout, sur le regard de l’autre. Celui de ses parents elle en tant que mère, fille, adulte et son regard à elle sur son enfant et si elle sera une bonne bonne maman ou pas.
Et j’ai aimé traiter des éboueurs à travers le regard de cette femme, sans racisme ni jugement, mais avec de la spontanéité et de la franchise. J’ai voulu que ce soit quelqu’un qui soit tout le temps en réaction : elle ne peut pas s’empêcher d’ouvrir la bouche et de dire les choses. Elle s’insurge, elle hausse la voix, elle dit ce qu’elle ressent et elle rejette complètement toute forme de misogynie, d’injustice…
Bulles de Culture : Et comment avez-vous abordé la mise en scène ?
Akim Isker : Très vite, je me suis dit que le travail sur le réel était essentiel et sur un téléfilm, tu as peu de temps donc la solution était très simple, il fallait s’immerger avec eux, faire ce film avec eux, dans de vrais décors — à part la petite chambre qu’Ambre loue qui a été reconstituée. On a tourné dans de vraies rues, dans leurs locaux, avec leurs véhicules et leur matériel. Et presque tous les figurants et petits rôles sont des éboueurs.
Ce mélange entre de vrais acteurs et des gens sur place, ça nous enrichit, même si mon travail n’est pas de faire une captation du réel mais de créer de l’émotion, de raconter quelque chose en profondeur.
Frankie Wallach : Oui, ça installe une ambiance. On se met à leur rythme, leur niveau, c’est-à-dire qu’on est obligé de “se rehausser” en étant avec eux et de ne pas se plaindre. Parce que quand nous terminions de tourner, ils allaient travailler.
Ils apportaient aussi énormément de vérité et cela nous demandait en tant que comédien d’être au même niveau de vérité qu’eux, de ne pas mal jouer, de ne pas être faux.
“Ce qui m’intriguait le plus, c’était de savoir comment ils faisaient pour se remettre de ce qu’ils avaient nettoyé la veille”
Bulles de Culture : Comment est né le personnage principal d’A l’épreuve, Ambre ?
Fanny Chesnel : Il est inspiré d’une femme que j’ai rencontré il y a des années et qui s’appelle Aïcha Hamdoune. Elle est ultra coquette, ultra féminine. C’est clairement la mère célibattante et une belle galérienne.
Ce n’est pas son portrait ni son histoire, mais c’est clairement une muse pour ce film parce qu’elle a cette énergie folle que je voulais vraiment pour mon personnage et cette pulsion d’émancipation, cette fougue et ce tempérament à la Erin Brockovich [NDLR : le personnage joué par Julia Roberts dans le film Erin Brockovich, seule contre tous (2000) de Steven Soderbergh]. C’est un personnage qui ne lâche rien et qui n’a pas sa langue dans sa poche.
Bulles de Culture : Quel a été votre point d’entrée pour faire corps avec ce rôle ?
Frankie Wallach : Sa jeunesse et sa maternité m’ont vraiment intrigué. On a construit le personnage à partir de ce qui était écrit de sa personnalité dans le scénario, à partir de notre rencontre avec Aïcha et à partir de ce que j’avais envie d’y insuffler. C’est le cocktail de ces trois choses qui ont donné vie à ce personnage qui n’a pas sa langue dans sa poche. C’est un peu une justicière. Il y a des choses qu’elle ne peut pas laisser passer, c’est plus fort qu’elle.
Ce qui est beau aussi chez elle, c’est qu’elle transforme constamment sa colère en force, en détermination et elle rebondit. Il y a une vraie résilience en elle.
Bulles de Culture : Et vous avez rencontré des personnes de la Fonctionnelle ?
Frankie Wallach : J’ai pu travailler avec eux et leur poser plein de questions intimes. Ce qui m’intriguait le plus, c’était de savoir comment ils faisaient pour se remettre de ce qu’ils avaient nettoyé la veille. Comment tu te remets de nettoyer du sang, de trouver la tête d’un motard… Ce ne sont pas des choses que nous sommes sensés voir et vivre !
“Beaucoup était extrêmement fier de cette profession mais beaucoup aussi la cachait à leur entourage”
Bulles de Culture : Il y a autre chose qui est abordée dans le téléfilm A l’épreuve, c’est la précarité d’une mère seule qui vit chez ses parents…
Fanny Chesnel : On trouvait intéressant que cette fille ait besoin d’exister comme maman parce qu’elle est très infantilisée par ses parents, un peu programmée pour une réussite sociale, sauf que l’ascenseur social est en panne et elle déçoit.
En même temps, ses parents sont aimants, ils veulent bien faire et la protéger. Il y a de l’ambivalence, mais on ne voulait pas être dans la caricature. Ils vont jusqu’à ce geste, très très fort et violent, de faire un procès à leur fille parce qu’ils ont peur pour leur petit-fils. Et surtout parce que la mère fait clairement un transfert sur ce petit-fils. Il y a tout un tas de choses qu’on s’est raconté mais qui ne sont pas complètement dans le film parce que pas le temps. Mais en fait…
On voulait qu’Ambre n’ait pas le choix, qu’elle parte sans se retourner et qu’elle accepte ce job parce qu’elle a besoin de montrer patte blanche. Et ça justifie aussi la raison de cette vocation, qui n’en est pas une. Et après c’est tout le travail sur la honte et l’installation du mensonge parce qu’on a remarqué que beaucoup d’éboueurs étaient extrêmement fier de cette profession, mais beaucoup d’autres aussi la cachaient à leur entourage à cause des préjugés et d’un regard social encore très péjoratif.
Enfin, le moteur d’un gamin, c’est puissant parce qu’on est prêt à tout, on est prêt à faire les poubelles pour lui. Et elle se prend la misère sociale en pleine figure et paradoxalement, c’est là où elle va recouvrir sa dignité et où elle va refaire famille.
Bulles de Culture : Y a-t-il eu une scène importante pour vous dans A l’épreuve ?
Frankie Wallach : La scène chez la juge [NDLR : interprétée par Violaine Fumeau] à la fin…
Notre avis ?
Portée par une formidable Frankie Wallach, entourée d’une magnifique distribution d’acteurs professionnels et non professionnels, le téléfilm A l’épreuve nous plonge dans un récit fort et bouleversant et qui nous immerge, avec réalisme et une profonde humanité, dans un milieu peu valorisé et pourtant essentiel.
C’est un film coup de cœur de Bulles de Culture.
Secrets de tournage, anecdotes : le saviez-vous ?
- Le titre initial était La Superbe.
- Le tournage a eu lieu en Ile-de-France (Paris, Noisy-le-Grand).
- Le reste de la distribution comprend Bernard Campan, Moussa Sylla, Jérôme Gaschard, qui travaille vraiment à la Fonctionnelle, et Benjamin Jaouen (vu dans la série Les Rivières Pourpres).
- Le téléfilm a reçu les prix du Meilleur unitaire et de la Presse étrangère Unifrance au Festival de la Fiction de la Rochelle 2024.
- Est-ce que cette fiction pourrait se décliner en série ? “C’est une œuvre à part entière et j’en suis très contente. Mais je serais aussi très heureuse si on pouvait retrouver l’arène et mettre un peu la lumière sur chacun de ces personnages, de développer leurs intrigues. Ils ont plein de choses à nous raconter et il y aurait aussi tout un tas de thématiques à traiter”, nous a répondu la coscénariste Fanny Chesnel.
En savoir plus :
- A l’épreuve a été diffusé sur France 2 le mercredi 25 septembre 2024 à 21h10
- Le film est proposé en streaming et en replay sur France.tv
- La fiction est suivie d’un débat en plateau, présenté par Julian Bugier, sur le thème “Mères seules, dans le piège de la précarité”, le mercredi 25 septembre 2024 à 22h35