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Critique / “Sur l’épaule des géants” (2022) de Laurine Roux

Laurine Roux, professeure de lettres, pour son quatrième roman, continue d’enchanter son lectorat. Avec une rare capacité à se renouveler, chaque livre déroule un univers propre fait de noirceur, d’anticipation, de réalités historiques, d’histoires familiales. Elle distille des personnages qu’elle aime profondément, qui s’insèrent dans des histoires d’une grande inventivité où son talent hors pair de conteuse se déploie avec talent. Sur l’épaule des géants aux Éditions du sonneur ne déroge pas à ces principes, ni à la maîtrise d’une langue magnifiée par l’utilisation de-ci de-là, de mots inusités, pleins de charme. La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Sur l’épaule des géants : “La littérature retrouve ses lettres de noblesse”

Du milieu du XIXe siècle au lendemain du 11 septembre 2011, après la chute des Twin Towers à New York, «C’est un troisième monument qui s’écroule » avec le décès de Marguerite à plus de cent sept ans, « arrière-arrière-grand mère », de Gaby, quinze ans seulement, plus marqué par son entrainement de foot raté que par cette perte. En dix ans ce dernier rejeton aura légitimement été charmé par cette lointaine aïeule.

Véritable épopée et saga familiale, celle des descendants de Lazare et Violette Aghulon, entre la ferme cévenole des Mûriers, Paris et autres lieux sur la planète, entre rencontres de célébrités de l’époque comme Pasteur, Diaghilev, Picasso ou même l’escroc Stavisky, les tragédies du XXe siècle ont toute leur place dans ce tourbillon de la vie, véritable kaléidoscope. Suicide, accidents, invalides, « gueules cassées » de la grande guerre, bruits de bottes allemandes, délations de miliciens, ne désunissent pas cette famille hors normes, en quête de succès scientifiques et de réussites artistiques. Menée par des femmes à la forte personnalité, cette tribu depuis Violette a vu se  succéder Églantine, Marguerite, Rose, Camélia et Iris. Toutes dotées de noms de fleurs qui symbolisent parfaitement certains traits de leurs caractères, ces héroïnes attachantes, sont pétries de modestie, de détermination, de candeur, d’élégance, de bonheur, de courage. Femmes de tête, elles sont toutes des amoureuses, des complices avec leur conjoint dès le premier regard ou dès les premiers échanges de notes entre un piano et un violon.

De la recherche de la solution à la maladie qui détruit les vers à soie dans les magnaneries des Cévennes, de la transformation d’un vulgaire picrate en une divine boisson baptisée « Aïthops Oinos, le vin aux sombres feux » en hommage à Homère et surnommée « les larmes de Satan » par « Curnonsky, l’illustre journaliste gastronomique », à la construction d’une voiture puis d’un aéroplane ou à la recherche de termites albinos, ce sont Lazare, Barthélémy, Jacques le jumeau de Marguerite, et Audrain qui furent les scientifiques acharnés de cette famille où réussites et échecs se côtoient. Toutes et tous se révèlent captivants, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs passions, leurs rêves et leurs désillusions, bénéficiant d’une profonde liberté leur permettant de développer leurs idées les plus originales, voire saugrenues.

Sur l’épaule des géants, se transforme en conte oriental, en fable

Sur l’épaule des géants, se transforme en conte oriental, en fable, où des chats philosophes, Socrate, Erasme, Diogène, Newton, d’une même lignée, échangent et distillent des conseils de vie avec les membres de la dynastie Aghulon, à ceux qui veulent bien les entendre. Ces raminagrobis basculent dans le roman policier en se lançant dans des poursuites rocambolesques à la recherche de Jacques, ou pour retrouver des documents volés par l’aigrefin Stavisky. L’Histoire s’invite brutalement donnant  de la gravité au récit, avec l’Affaire Dreyfus, la Grande Guerre, la Nuit de Cristal, ou de la légèreté, de la joie durant les Années folles, ou la découverte des animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes.

Composé de très courts chapitres qui donnent du rythme comme chez les feuilletonistes, tous ont un intitulé qui commence par « où », donnant une idée de ce qui va être lu. Sur l’épaule des géants plonge le lecteur dans une période éditoriale passée où le texte était aussi accompagné de dessins. Ici les gravures d’Hélène Bautista, pleines de charme, retiennent le regard et complètent parfaitement le texte virevoltant et trépidant de Laurine Roux qui jongle avec les mots et les situations.

Rempli de fougue, d’humour, de poésie, quelques soient les circonstances, même tragiques, ce livre s’apprécie pour sa richesse, sa galerie de personnages pittoresques, truculents comme Eugène le restaurateur des Trois Frères, et ses situations cocasses. La littérature retrouve ses lettres de noblesse avec une auteure capable d’offrir sur une même année L’autre moitié du monde puis Sur l’épaule des géants, livres d’envergure dominés par une remarquable qualité d’écriture, un don exceptionnel de conteuse, une imagination débordante, pour la plus grande satisfaction des lecteurs.

LIRE EGALEMENT

Critique / “L’autre moitié du monde” (2022) de Laurine Roux

En savoir plus :

  • Sur l’épaule des géants, Laurine Roux, Les éditions du sonneur 384 pages, 24 euros
  • L’autre moitié du monde, Laurine Roux, Les  éditions du sonneur, janvier 2022, 256 pages ,18 euros
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