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Roméo + Juliette de Baz Luhrmann image film cinéma
© Merrick Morton

♥ Critique / Revoir “Roméo + Juliette” (1996) de Baz Luhrmann

Il a marqué son époque ; il a marqué les débuts prometteurs de Leonardo DiCaprio sur le devant de la scène. Mais c’est aussi pour les qualités d’adaptation de Baz Luhrmann que voir Roméo + Juliette (Romeo + Juliet) vaut encore le coup aujourd’hui. Bulles de Culture vous propose de revoir ce film coup de coeur devenu culte et rediffusé sur ARTE le dimanche 14 février 2021 pour la Saint-Valentin. Avis et critique film.

Synopsis :

“Deux familles, égales en noblesse,
Dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène,
Sont entraînées par d’anciennes rancunes à des rixes nouvelles
Où le sang des citoyens souille les mains des citoyens.
Des entrailles prédestinées de ces deux ennemies
A pris naissance, sous des étoiles contraires, un couple d’amoureux
Dont la ruine néfaste et lamentable
Doit ensevelir dans leur tombe l’animosité de leurs parents.
Les terribles péripéties de leur fatal amour
Et les effets de la rage obstinée de ces familles,
Que peut seule apaiser la mort de leurs enfants,
Vont en deux heures être exposés sur notre scène.”
(Prologue, traduction de François-Victor Hugo)

Roméo + Juliette : vous reprendrez bien un peu de Shakespeare ?

Roméo + Juliette de Baz Luhrmann image film cinéma
© Merrick Morton

Les adaptations de la célèbre tragédie de William Shakespeare sont nombreuses, et n’en finissent pas de fleurir. Celle de Franco Zeffirelli, sortie en 1968, rencontre à son époque un franc succès et respecte le contexte de Shakespeare. Mais l’amour impossible des deux amants est déjà à l’origine de West Side Story en 1961 et transpose les héros et héroïnes dans le Manhattan des années 1950.

Au théâtre, les amants maudits voient un regain d’intérêt il y a quelques années avec différentes mises en scène à grosse machine : celle d’Olivier Py en 2011 foisonne de références et met en avant la dimension comique du texte shakespearien ; celle d’Éric Ruf en 2015 à la Comédie-Française met en place une adaptation esthétique à la fois grandiose et délabrée sans époque marquée ; celle de Nicolas Briançon en 2014 transpose l’histoire dans l’Italie mafieuse des années 1960.

Des écueils à ces multiples adaptations : la difficulté du texte, qui reste dense et complexe même dans des traductions plus récentes (celle d’Olivier Py par exemple) ; la longueur de la pièce qui se projette bien plus sur trois heures que deux comme l’affirme le prologue… Une conséquence funeste : Roméo et Juliette s’éloigne des adolescent-e-s envers qui elle devrait être tournée.

Baz Luhrmann échappe aux écueils principaux dans son adaptation avec Roméo + Juliette : tout en gardant le texte de Shakespeare, il adapte et raccourcit certaines scènes. Il allège notamment les morts finales, quand la pièce propose trois monologues de mort rapprochés, celui de la fausse mort de Juliette, puis ceux du double suicide.

Roméo + Juliette transpose également l’histoire dans un quartier défavorisé de Los Angeles (Verona Beach). Les costumes fleurent bon les années 1990, et pourtant la jeunesse et l’énergie que dégagent Leonardo DiCaprio et Claire Danes — que nous avons retrouvée dans Homeland ! — rendent intemporelle, accessible, et extrêmement belle l’histoire d’amour qui réunit les deux adolescent-e-s.

Un film tout en références

Roméo + Juliette de Baz Luhrmann image film cinéma
© Merrick Morton

Ce qui fait encore la réussite du film Roméo + Juliette de Baz Luhrmann, c’est sa grande finesse de réalisation. Les armes des Capulet et des Montaigu viennent par exemple orner sans cesse les armes, les tatouages, les plaques des voitures, ce qui permet d’intégrer la rivalité des deux familles dans une guerre des gangs efficacement. Quand tel ou tel révolver vient en plus s’appeler “sword” ou “dagger”, on ne peut que remarquer la grande finesse du réalisateur.

Les scènes de rivalité de gangs viennent reprendre les codes du western : plans américains, rapprochés, très gros plans sur les regards, les mains prêtes à brandir les armes. Baz Luhrmann s’amuse de ces références à un autre genre cinématographique, ce qui lui permet de mettre à distance l’affrontement des deux clans. Cette distance ironique vient prendre une teinte tragique quand la haine provoque le cataclysme propre à la tragédie, le fatal enchaînement que plus rien ne peut enrayer.

Quant à nos amoureux, Baz Luhrmann les entoure d’une poétique tendresse. Individuellement circonspect-e-s, plongé-e-s la tête sous l’eau dans un bain ou un lavabo, les deux jeunes gens se retrouvent séparé-e-s par l’eau d’un magnifique aquarium, ils sont plus tard réuni-e-s par celle de la piscine qui vient remplacer le célébrissime balcon. L’eau vient se faire métaphore du lien invisible les unissant, lien pourtant aussi infrangible et inébranlable que la légende qui les entoure.

En échappant au tant attendu balcon, qu’il ne garde que subrepticement pour la référence, Baz Luhrmann écrit d’ailleurs sa propre légende, choisissant pertinemment de placer ses deux amoureux à égalité. Il joue de la référence au XVIe siècle avec les déguisements de ses personnages : chevalier pour Roméo et ange pour Juliette. Le contraste est fort avec la piscine ou l’ascenseur, et le décalage fonctionne — disons-le — à merveille !

La pop culture à l’oeuvre 

Roméo + Juliette de Baz Luhrmann image film cinéma
© Merrick Morton

Ce qui fait encore la force de Roméo + Juliette, c’est la parfaite intégration des codes de la pop culture par Baz Luhrmann. Visuellement, c’est ce qu’on observe avec les indices venant de la réécriture des codes publicitaires. Ainsi, une publicité montrant une balle de révolver qui file avec le slogan “Shoot forth Thunder” ou encore une affiche qui épouse le visuel de la marque Coca-Cola mais pour s’intituler “L’Amour”.

De belles trouvailles dans l’adaptation, comme cette géniale idée de transformer le prologue en actualités données à la télévision par une speakerine du JT, géniale aussi l’idée de l’utiliser en écho pour ouvrir et finir son film. La référence fonctionne bien, aujourd’hui encore. Elle donne aussi la sensation que des Roméo et Juliette peuvent naître de notre société actuelle, ce qui est incontestable…

Le multiculturalisme américain joue d’ailleurs parfaitement son rôle dans cette dimension de culture populaire. L’accent hispanique de la nourrice vient remplacer à merveille son parlé argotique chez Shakespeare. Les influences mexicaine, afro-américaine, le travestissement, les codes de vêtements des gangs, les chemises à fleurs très Côte ouest et années 1990… Autant de codes issus de la culture populaire qui viennent réactiver le mythe, et suggérer une infinie possibilité de réécriture de l’histoire.

Musicalement parlant, les influences sont nombreuses et renvoient, là aussi, à la culture populaire. Le rap nous emmène dans la street-culture. La balade amoureuse “Kissing You” de Des’ree épouse parfaitement la poésie de la rencontre et le côté à la fois daté et décalé de cette fête costumée folle qui sert d’écrin au coup de foudre.

Le film est sinon — et avec réussite — résolument rock. Baz Luhrmann convie à la fois Garbage, Radiohead, Everclear ou The Cardigans. Et cette ambiance rock vient épouser à merveille l’énergie de l’histoire, que Baz Luhrmann se plait à accélérer parfois résolument. Elle donne aussi à Roméo + Juliette cet aspect atemporel qui fait que le film marche toujours autant, plus de vingt ans plus tard. Et qu’il continue de marcher excellemment avec le public adolescent d’année en année.

S’il faut des occasions de revoir Roméo + Juliette, la Saint-Valentin peut en offrir une belle — et ARTE vous le suggère. Avec ou sans occasion, nul doute en tout cas que Roméo + Juliette fait partie de ces films qui se revoient encore et encore au fil des années, avec un plaisir et une attention toujours renouvelés. C’est indéniablement l’une des plus belles adaptations de la célèbre tragédie !

Comprenant parfaitement la dimension populaire et tragi-comique du théâtre shakespearien, donnant à entendre les plus beaux vers de la pièce, rendant un brillant hommage à la folie d’un amour adolescent, Baz Luhrmann signe un film incroyablement réussi et devenu culte.

Que vous l’ayez déjà vu ou jamais découvert, ne manquez pas ce coup de coeur Bulles de Culture !

En savoir plus :

  • Roméo + Juliette est diffusé sur ARTE et en streaming sur Arte.tv le dimanche 14 février 2021 à 20h55
  • Roméo + Juliette dure 2h
Morgane P.

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