Valérie Donzelli, récemment césarisée pour son adaptation de « L’amour et les forêts » avec Audrey Diwan, était à l’honneur de cette édition 2024 du Festival du Film Francophone d’Angoulême. L’occasion pour la réalisatrice de revisiter sa filmographie avec le public angoumoisin, qui a également pu découvrir son premier documentaire, « Rue du Conservatoire ».
Synopsis :
“En 1996 j’ai passé le concours du conservatoire. Je l’ai raté. Il y a un an on m’a demandé d’y faire une masterclass sur le jeu d’acteur au cinéma. J’y suis allée. J’ai rencontré une jeunesse vivante, joyeuse et passionnée. Parmi mes élèves il y avait Clémence. L’année d’après, elle m’a demandé de filmer leur dernier spectacle. J’ai ressenti son urgence et la peur qu’elle avait de quitter ce lieu mythique. Alors j’ai accepté.
En filmant cette jeunesse, j’ai revisité la mienne.” Valérie Donzelli
Interview de Valérie Donzelli
Bulles de Culture : Vous avez déclaré avoir tenté deux fois le concours d’entrée au conservatoire… et y avoir échoué deux fois… Vous n’étiez donc pas rancunière à l’idée d’y revenir ?
Valérie Donzelli : Je ne suis pas du tout rancunière d’une manière générale. Ce projet est né de ma rencontre avec les élèves du conservatoire lors d’une masterclass sur la direction d’acteur au cinéma que j’ai pu animer avec eux. Il est vrai que je ne pensais jamais revenir sur ce lieu et encore moins pour y enseigner le jeu d’acteurs au cinéma car, à l’époque, je ne pensais tout simplement pas qu’un jour, je pourrais mettre les pieds sur un plateau. Je leur ai dit, en toute modestie, que j’incarnais la réussite de quelqu’un qui a tout raté (rires). Je n’ai aucun diplôme, hormis le bac et le permis de conduire.
Bulles de Culture : Mais alors comment avez-vous percé dans le cinéma ?
Valérie Donzelli : J’ai passé peu d’auditions, mais je les ai quasiment toutes réussies. Tout est allé si vite, je suis entrée au conservatoire du Xe arrondissement, puis j’ai tourné dans un court métrage qui m’a permis d’avoir un agent et d’obtenir d’autres rôles. Puis ma rencontre avec Jérémie Elkaïm a été évidemment un tournant important dans ma vie puisqu’il m’a incitée à écrire. Et évidemment, la maladie de mon fils a radicalement changé ma vie et m’a incitée à raconter mes histoires et à faire mes propres films.
Bulles de Culture : Et qu’est-ce qui a motivé cette première incursion dans le documentaire ?
Valérie Donzelli : Je voulais saisir l’énergie vitale de cette jeunesse. C’était d’autant plus nécessaire à ce moment précis de ma vie où je ne suis plus vraiment jeune puisque j’ai fait ce film à cinquante ans. Aujourd’hui, j’ai conscience de ce qu’est la jeunesse alors qu’à vingt ans, c’était mon état, ma vie. Tourner ce film m’a fait l’effet d’une cure de jouvence tant c’était joyeux.
Bulles de Culture : Un tournage comme celui-ci implique quel processus de création ?
Valérie Donzelli : Le tournage s’est déroulé dans une improvisation permanente. Il fallait que chacun se sente le plus libre possible. Ce sont les élèves qui m’imposaient leur rythme. Il fallait que je sois attentive à tout ce qui se passait autour de moi. J’ai préalablement posé un cadre de travail car notre budget nous a incités à ne tourner que deux ou trois jours par semaine durant cinq semaines, et avec une équipe réduite, composée de seulement un chef opérateur, un ingénieur du son et une assistante.
Bulles de Culture : Il y a une scène assez saisissante dans votre film : quand vous interrogez chaque apprenti comédien sur ce qu’il compte faire après la fin des cours, avec ce que cela implique comme incertitudes, comme risques…
Valérie Donzelli : Bien sûr. C’est un métier si incertain et qui n’est d’ailleurs pas considéré comme un métier tant que l’on n’est pas connu et que l’on ne gagne pas d’argent. Or, au conservatoire, ils peuvent exercer leur métier en toute liberté. Mais quand ils sortent, ils ne savent pas forcément où trouver du travail, ce qui les met dans un état d’anxiété car ils ont besoin de gagner leur vie. Mais quand on n’est pas connu, il est difficile de trouver des rôles importants et d’exister. Les statistiques tendent à prouver que seulement 10 % des élèves travailleront durablement.
Bulles de Culture : Lors du Festival d’Angoulême, vous avez eu l’occasion de représenter vos œuvres en salles. De vos plus grands succès, comme « La Guerre est déclarée » ou « L’amour et les forêts », à vos expériences plus douloureuses comme « Marguerite et Julien ». Avec du recul, comment expliquez-vous que ce film, si beau au demeurant, ait reçu un accueil si cruel de la part de la presse ?
Valérie Donzelli : Je ne comprends toujours pas ce qui s’est passé. De ce point de vue, le Festival d’Angoulême a été une expérience magnifique car les spectateurs sont venus en nombre pour (re)découvrir ce film. Ils m’ont dit qu’ils étaient bouleversés et ne comprenaient pas les critiques déchaînées qu’il a suscitées. C’est ça aussi le cinéma, les journalistes ont le droit de se tromper. C’était il y a dix ans, la presse était menacée, les réseaux sociaux étaient quant à eux en plein essor, et les journalistes avaient besoin d’exister, en utilisant des mots forts. Cependant, je reconnais que le film reste complexe, voire irrévérencieux. Je comprends donc qu’il puisse susciter une forme de gêne.
Bulles de Culture : Vous alternez entre le jeu et la réalisation, mais on sent que vous travaillez plus souvent à la création de vos œuvres car vos apparitions à l’écran se font rares.
Valérie Donzelli : Aujourd’hui, je me sens pleinement réalisatrice. Même si j’adore toujours autant jouer la comédie. Mais j’en ai moins l’occasion. Mes films me prennent du temps. Cependant, j’ai récemment joué dans un long métrage de Grégory Magne, « Les Musiciens », avec Frédéric Pierrot, qui sortira l’année prochaine.
Bulles de Culture : Vous vous êtes désormais consacrée à tous les formats possibles, du court au long métrage en passant par ce documentaire et votre série « Nona et ses filles ». Qu’avez-vous appris de ces expériences si variées ?
Valérie Donzelli : Toutes ces expériences ont été très heureuses et bénéfiques pour moi, mais le tournage de « Nona et ses filles » a été incroyablement enrichissant. C’est comme si j’avais mis en scène trois films à la suite en un temps record de tournage, et tout en jouant dedans. Un projet difficile certes, mais passionnant. Même s’il s’agissait d’une série, je l’ai abordée et réalisée comme un film, avec un haut niveau d’exigence artistique. Comme je dis souvent, je ne fais jamais de télévision, toujours du cinéma.
Propos recueillis par Nicolas Colle le 23 août 2024
En savoir plus :
- Date de sortie France : 18/09/2024
- Distribution France : Diaphana