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Rachid Benzine critique avis livre

Critique / Rachid Benzine : le romancier tout en concision

Point n’est nécessaire d’écrire un livre volumineux pour qu’il soit une grande œuvre, pour qu’il soit prenant, pour qu’il soit marquant. La brièveté d’un roman, exercice périlleux, peut parfois réunir les qualités précités. C’est le cas avec Rachid Benzine, enseignant franco-marocain,  islamologue, dramaturge, comme le prouvent ses deux derniers romans parus aux Éditions du Seuil ; Voyage au bout de l’enfance en janvier 2022 et Dans les yeux du ciel en août 2020, disponible désormais dans la collection Points.

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

La réussite totale

En moins de 80 et 140 pages de lecture, la réussite est totale. La force de ces romans est d’être portés par une voix, celle de Nour, Malika de son prénom de naissance, une prostituée Dans les yeux du ciel, et celle de Fabien, devenu Farid dans Voyage au bout de l’enfance.

L’illustration qui accompagne chaque livre est toujours très suggestive, le cri d’une femme, qui rappelle le tableau d’Edvard Munch, et un petit gamin derrière des barbelés, seul avec son ballon de foot, sur le bandeau d’annonce. Ces scènes traduisent le contenu de ce qui va être lu. Les personnages ne sont non pas caricaturaux. Bien au contraire il sont solidement charpentés, avec des sentiments, des doutes, des peines, quelques instants de bonheur. Les situations relatées sont choisies et décrites avec soin, avec un minimum de mots, choisis et appropriés.

Dans les yeux du ciel, Nour se livre à une véritable confession, franche, directe, de manière crue, sur sa vie, la cruauté sociale exercée, les violences physiques encaissées. Elle trouve réconfort et  affection auprès de Slimane, homosexuel, étudiant et poète.

Voulant que sa fille, Selma, treize ans, échappe au métier qu’elle exerce, et qui fut aussi celui de sa mère, Nour, très pieuse, met tout en œuvre pour la protéger. Sans concession, elle analyse avec pertinence sa vie et la société tunisienne. Comme elle le dit si bien ; « En près de trente ans d’exercice, j’ai été le réceptacle de toutes les frustrations du monde arabe ». La révolte gronde dans la rue entre manifestations, immolations, arrestations, tortures et exécutions sommaires.

C’est le Printemps arabe qui éclot pour rejeter la classe dirigeante et ceux qui la soutiennent ; armée, police, grands bourgeois. Les faibles, les marginaux, les déclassés, les soumis, les exclus émergent, osant s’exprimer. Cependant très vite les espoirs sont déçus. Les anciens dictateurs sont remplacés par d’autres soutenus par ceux qui sont passés entre les mailles du filet. L’oppression, avec de nouvelles règles, se réinstalle avec vigueur et rejette tous ceux qui sont hors normes. Dans les yeux du ciel, est un roman très noir, plein de rage et de désespoir. Dans un pays machiste et homophobe où la délation règne, la liberté revendiquée est confisquée au profit de règles obscurantistes.

Rachid Benzine écrit juste, fait surgir émotions, réflexions, interrogations

Voyage au bout de l’enfance, est celui d’un couple de Sarcelles parti rejoindre Daech à Raqqah, en Syrie, avec leur fils Fabien, huit ans seulement. Arraché à son instituteur, Monsieur Tannier, à la poésie de Jacques Prévert, à ses copains, à ses grands parents, Fabien se voit privé de son prénom et devient Farid. Dans sa nouvelle école, celle de l’endoctrinement, il s’ennuie car seule la religion y règne. Doué, il intègre par obligation l’école des lionceaux du califat, et risque de devenir un enfant martyr.

Aucune échappatoire ne s’offre à ses parents qui reconnaissent s’être fourvoyés. De sa voix enfantine, pleine de bon sens, il décrit quatre années de sa vie où il est confronté à la mort, aux exécutions, aux exactions commises, aux bombardements, aux déplorables conditions d’hébergement dans les camps de réfugiés. Ses souvenirs, la poésie, les mensonges qu’il doit débiter, l’aident à survivre. Et il peut même jouer au foot à Raqqah, rêver de Kylian Mbappé, voir l’équipe de France à la télé.

Au milieu des horreurs, de la peur, là où l’enfer règne, une enfance est irrémédiablement saccagée. « Les malheurs des enfants, je crois que ça n’intéresse jamais vraiment les gens. Sinon, ça ferait longtemps qu’on les ferait plus souffrir ». Voyage au bout de l’enfance, est un livre poignant, condensé, où l’horreur est constante, avec quelques rayons d’humanité comme les gestes du garde kurde, Balaban. Inoubliable.

Que ce soit avec des sujets d’actualité exigeants, ou un magnifique hommage d’un fils à sa mère dans Ainsi parlait ma mère, Rachid Benzine écrit juste, fait surgir émotions, réflexions, interrogations. Folie et barbarie humaines anéantissent l’individu, mais Nour, Slimane, Fabien-Farid, avides de liberté, hantent durablement nos esprits. Connu comme islamologue, Rachid Benzine s’affirme comme un excellent romancier, tout en concision. De l’excellente lecture.

En savoir plus :

  • Voyage au bout de l’enfance, Rachid Benzine, Editions du Seuil, janvier 2022, Points, 84 pages, 13 euros
  • Dans les yeux du ciel, Rachid Benzine, Editions du Seuil, aout 2020, 176 pages, 17 euros , Points, janvier 2022, 146 pages, 6,30 euros
  • Ainsi parlait ma mère, Rachid Benzine, Editions du Seuil, janvier 2020, 96 pages, 13 euros , Points janvier 2021, 96 pages, 5,50 euros
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