Caryl Férey est un écrivain baroudeur, un globe-trotter du polar. Ces romans policiers s’inscrivent dans des géographies précises. Après l’Afrique du Sud ( Zulu ), l’Argentine ( Mapuche ), le Chili ( Condor ), la Nouvelle-Zélande ( Haka ) ou encore la Sibérie ( Lëd ), il nous propose de l’accompagner cette fois-ci le long du fleuve l’Okavango. La critique et l’avis sur le livre.
Cet article vous est proposé par le chroniqueur Gilles M.
L’Okavango qui donne son nom mystérieux au titre du roman est un fleuve qui prend sa source en Angola central, avant de traverser la Namibie pour atteindre le Botswana. Il a la particularité de ne jamais rejoindre l’océan, il est le seul fleuve au monde à se jeter dans la terre, son cours s’achève par un vaste delta.
Autour de lui s’étend la grande réserve naturelle transfrontalière KAZA, la zone de conservation transfrontalière Kavango-Zambèze créée en 2011 par l’Angola, la Namibie, le Botswana, la Zambie et le Zimbabwe pour développer le tourisme tout en préservant les espèces animales vivant dans les bassins des fleuves Okavango et Zambèze.
Une carte géographique proposée dans les premières pages permet de situer l’intrigue et aide le lecteur à se repérer dans cette géographie généralement mal connue.
Mais, si elle protège lions, éléphants ou rhinocéros, la réserve attise aussi les appétits des braconniers. Et, un jour, c’est un cadavre humain qui est retrouvé dans une réserve privée, juste à côté. Une enquête démarre menée par la ranger locale. Le propriétaire de la réserve, un Afrikaner vétéran des guerres africaines, cherche aussi les responsables de cet assassinat. Rapidement, ils découvrent aussi que des animaux sont pourchassés, empoisonnés et mutilés. Les deux affaires sont-elles liées ?
Okavango : entrez au cœur la beauté sauvage de l’Afrique
Le titre du livre OKAVANGO sonne déjà comme un appel à rejoindre une nature préservée avec des animaux mythiques en liberté. Les spécialistes de la savane mettent en avant un « top 5 » que le lecteur approuve immédiatement : Le lion, l’éléphant, le rhinocéros, le buffle, le léopard.
Mais ces grands animaux sauvages africains, sont depuis toujours l’objet de nombreux trafics, souvent pour simplement alimenter les fantasmes sexuels, comme cette corne de rhinocéros censée doper la libido de celui qui en mange. Pauvre consommateurs plein d’illusions puisque la corne est composée de macronutriments que l’on retrouve tout simplement dans nos cheveux et dans nos ongles. La concentration des animaux dans la réserve attire des trafiquants puissants et habiles pour qui les animaux, morts ou vivants mais plutôt morts, sont seulement une source de profit.
Le charme des lieux est accru par les peuples autochtones comme ces Khoï, peuple pastoral et ces San, chasseurs-cueilleurs, connus pour leur langage qui comporte des clics (comme les héros de « les dieux sont tombés sur la tête »), en fait des claquements de langue. Ces peuples vieux de 30 000 ans ont été longtemps discriminés et chassés par les colons néerlandais puis britanniques. Sans avoir besoin de
militants écologistes, Ils montrent qu’un autre rapport au monde est possible en vivant en harmonie avec la nature.
Les meurtres bouleversent cet environnement paradisiaque et le récit s’emballe rapidement à la vitesse d’un véhicule de ranger poursuivi par un éléphant dans la savane.
Des personnages avec des fortes personnalités
Nous découvrons des personnages avec des forts caractères et l’auteur, au fil du récit, par des détails et des retours en arrière, nous permet d’approfondir leurs portraits et leurs histoires.
La ranger Solanah Betwase n’a peur de rien, même quand elle se fait braquer par un monstrueux éléphant Elle est chargée de débusquer les pièges imaginés par des chasseurs locaux, comme des fils de fer ou des lames acérées immobilisant les girafes. Solanah se donne à fond pour son métier, avec beaucoup d’obstination. Son couple est usé, elle trouve donc le sens de sa vie dans la traque des braconniers. Seth, son jeune équipier Khoï et Priti, jeune San, seront utiles à Solanah pour dénouer l’intrigue
John Latham, le propriétaire blanc de Wild Bunch, la réserve privée à côté de la grande réserve multinationale à laquelle elle est reliée par un corridor est un sud-africain misanthrope. Il a lui aussi sa part de mystère. Il vit isolé avec son homme de confiance San et le récit va dévoiler peu à peu leurs histoires. Il est un défenseur radical des animaux et des populations autochtones.
Un roman très documenté pour défendre les animaux sauvages
Les réserves attirent le braconnage, quatrième commerce illégal au monde. En voulant préserver les animaux sauvages en créant des parcs de la paix pour transcender les frontières, selon l’idée de Mandela, les troupeaux de rhinocéros et des éléphants sont mis en danger en raison de leurs concentrations. Les braconniers opèrent, manipulés par des trafiquants quasi- intouchables.
Ceux-ci mettent en colère l’auteur qui déclare dans tous ces interviews avoir voulu exterminer les trafiquants depuis son plus jeune âge. Sa colère s’étend à tous les suprématistes blancs destructeurs des civilisations originelles.
L’arrière-plan historico-contemporain est bien présent. Il est rappelé l’héritage de la colonisation et des guerres civiles, notamment en Angola qui dans le contexte de guerre froide a opposé les deux principaux mouvements de libération, l’un soutenu par les Etats-Unis et l’Afrique du Sud, l’autre par le bloc communiste.
Les dialogues incisifs, la description des animaux d’une noblesse émouvante, parfois menaçants sont au service d’un récit sans pause avec des chapitres comme découpés à la tronçonneuse sans fioritures inutiles. Plusieurs intrigues, plusieurs amours progressent pour se rejoindre. Ce n’est pas un moindre mérite de l’auteur que de synthétiser ses recherches documentaires, ses rencontres sur place et ses réflexions sur le terrain pour en faire des récits marquants.
En savoir plus :
- Okavango, Caryl Férey, Gallimard, août 2023, 544 pages, 21 euros