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Critique / “Mon nom est sans mémoire” (2022) de Michela Marzano

Dans Légère comme un papillon, chez Grasset en 2012, Michela Marzano dévoilait une partie de sa vie, notamment son anorexie. Avec Mon nom est sans mémoire, du genre littéraire « roman vrai », chez Stock en août 2022, elle se livre totalement, sur ce qui l’a perturbé, sur ses doutes, ses craintes, l’absence de confiance en elle même et son mal être. La critique et l’avis sur le film. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Mon nom est sans mémoire : d’une écriture souple et alerte

Le titre français de Mon nom est sans mémoire, est éloigné de celui utilisé en Italie, Stirpe e Vergogna, voulant littéralement dire « Descendance et Honte », titre plus direct et percutant. Plus énigmatique le titre français est cependant très approprié. Il s’agit de cacher et d’effacer les engagements pris par son grand père paternel Arturo bien avant la seconde guerre mondiale afin de ne pas entacher le nom des Marzano.

Les prénoms jouent un rôle essentiel dans ce récit, romancé par instants pour combler les manques. Celle qui aurait du s’appeler Maria Michela, est devenue, pour une virgule, Michela pour ses amis et sa famille, Maria pour l’État. Pour son père c’est un mensonge qu’il traîne depuis si longtemps. Affirmant ne disposer que de l’unique petit nom de Ferruccio, il est mis à jour par sa fille en 2019 grâce à une « photocopie d’une page du registre des baptêmes de Campi » et  la copie de son acte de naissance. Son véritable prénom se révèle être en une seule séquence « Ferruccio Michele Arturo Vittorio Benito ». Une réforme de l’état civil en 1954 lui a permis en toute légalité de conserver uniquement son premier prénom, et de faire disparaître les autres dont ceux de « Vittorio, comme le roi de l’époque, Vittorio Emanuele III, et Benito comme le Duce », héritage encombrant si il en est.

En septembre 2019, Michela Marzano, à l’aube de ses cinquante ans, elle qui a refusé la maternité, est profondément touchée par la naissance de Jacopo, le fils de son frère. Élevée dans une famille de gauche dont elle a repris le flambeau, elle ressent le besoin de faire un bilan de sa vie marquée par vingt années de psychanalyse et de décortiquer la menterie entretenue sur son grand père paternel. Peu d’informations sont obtenues auprès de son père, né en 1936, qui sait et qui était en âge de comprendre, mais qui se complait dans le silence et un certain déni. Contraint et forcé, il reconnaît qu’Arturo, grand magistrat, fut un fasciste ardent et fidèle dès 1919, participant au rassemblement constitutif des faisceaux puis à la marche sur Rome en 1922. Des aveux extorqués qui créent une véritable déflagration chez Michela combattante pugnace de l’extrême droite.

En quatre temps, celui du déshonneur, puis de la faute, de l’amnésie, enfin du rachat, se déploie Mon nom est sans mémoire où l’auteure cherche, fouille, découvre, sur internet, auprès des services d’archives, dans la multitude de documents entassés méticuleusement par son grand-père, dont une riche correspondance, dans la maison familiale dans les Pouilles dont elle est devenue propriétaire. Avec l’appui permanent de son compagnon Jacques, homme de raison, elle se démène avec vigueur, trie, classe, reconstitue le parcours de cet aïeul, véritable inconnu pour elle. Devenu député royaliste au lendemain de la seconde guerre mondiale, il termina sa vie dans un fauteuil roulant, durant 18 ans, suite à un AVC lors d’une campagne électorale. Les secrets débusqués touchent sa vie politique mais aussi sa vie privée.

Mon nom est sans mémoire est un texte salvateur, cri de rage et de honte, rétablissant une vérité si longtemps travestie. Elle qui voulait être reconnue par son père pour ses qualités, pour ce qu’elle était, n’a rencontré qu’indifférence, se sentant transparente à ses yeux. Au terme de son enquête elle a appris à mieux comprendre son géniteur, brillant économiste, homme dictatorial avec sa femme, soumise, et ses enfants, peu disert, enfermé sur lui même, indifférent aux sollicitations de tendresse de ses héritiers.

D’une écriture souple et alerte, les paragraphes, très courts pour l‘essentiel, s’enchaînent mêlant peurs et angoisses vécues par l’auteure, avec le passé sulfureux de son grand-père et les esquives de Ferruccio face à la réalité. Mieux qu’une séance de psychanalyse, l’écriture se révèle un excellent exutoire dans une vie perturbée. Un livre très prenant, courageux et salutaire, rempli d’amour pour un père peu réceptif et pour Jacques, l’indestructible rempart de Michela Marzano.

En savoir plus :

  • Mon nom est sans mémoire, Michela Marzano, Stock, 300 pages, 22 euros
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