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Le vieil incendie livre avis 2023

Critique / “Le vieil incendie” (2023) d’Elisa Shua Dusapin

Elisa Shua Dusapin, après trois romans très réussis ayant pour cadre l’Extrême-Orient, avec à chaque fois pour héroïne une jeune femme enfant unique, offre avec Le vieil incendie paru chez Zoé en aout 2023, les difficiles échanges de deux sœurs après quinze années de séparation totale, l’une aux Etats-Unis, l’autre dans le Périgord, région natale de l’auteure franco-suisse. La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Le vieil incendie : Un nouvel opus qui conserve le charme des précédents

Un nouvel opus qui conserve le charme des précédents, à l’écriture dépouillée, traitant de sujets simples, de personnages à la recherche d’eux mêmes, et de la complexité des relations humaines.

Suite au décès de leur père, Agathe, trentenaire, scénariste outre Atlantique, rejoint Véra sa cadette de trois ans, pour vider la vieille maison de leur enfance, isolée dans la forêt. Avant que la petite demeure soit rasée et que ses pierres permettent de reconstruire un pigeonnier, objet d’un vieil incendie, il faut trier, jeter.

Durant neuf jours en plein mois de novembre, l’ainée retrouve des lieux qu’elle a fuis, des souvenirs qui s’y attachent, et surtout il lui faut renouer avec sa sœur, aphasique depuis ses jeunes années. Brutalement elle s’est arrêtée de parler à l’âge de six ans. Au milieu d’une terre sauvage, l’heure est venue des mises au point, des non dits, des mauvaises interprétations nées lors de scènes à l’école, à la patinoire, où Agathe surprotectrice, s’exprimait toujours au lieu et place de Véra.

Durant quinze ans elles n’ont entretenu aucune relation, Véra n’émettant plus qu’un « mélange de gémissement et de glouglou ». Agathe n’a eu que de sporadiques échanges téléphoniques avec son père et ne sait pas comment il a cohabité et échangé avec la petite dernière. En fouillant la maison, au contact d’objets, ce sont une foultitude de faits qui percutent Agathe comme celui de sa mère, transparente, qui les a abandonnées à leur sort, juste après le choc irréversible subi par la cadette, ne les revoyant qu’une fois par an au début de sa désertion, puis plus du tout.

La confiance rompue ne se rétablit pas

Correspondre entre deux personnes dont l’une est dépourvue de la parole est plus que compliqué. Complices en leurs jeunes années, une fois Véra frappée par la perte d’expression orale les sœurs se sont souvent mal comprises. Il y eut des tensions, des frictions, des rancœurs, débouchant sur de la froideur.

L’aînée se sentant investie d’une mission de protection ne laissât aucune place à sa cadette, se substituant systématiquement à elle en toute circonstance, l’étouffant littéralement. Avec le temps Agathe n’a plus supporté cette situation qui l’a privée de son adolescence, totalement sacrifiée, sans reconnaissance.

Ces retrouvailles forcées et redoutées sont celles d’étrangères qui se sont aimées mais qui partagent si peu désormais. Fragile et en délicatesse avec son compagnon, Agathe culpabilise de ne pas s’être plus investie auprès de Véra qui est devenue une belle jeune femme, autonome, souriante, vive, se débrouillant très bien seule, et qui a su aider son père lors de ses derniers jours.

La confiance rompue ne se rétablit pas, la confusion demeure entre elles. Les mots dits, réfléchis, ressassés avant d’être prononcés pour ne pas blesser Véra, sont parfois mal reçus, et réciproquement pour ceux adressés par smartphone à Agathe. Ils ont les mêmes défauts ; ceux de la franchise, trop directs et vexants. Les zones d’ombre, les malentendus persistent. Tout est vu par le prisme d’Agathe, celle qui se reconnecte à son passé, qui décrit son séjour auprès de sa sœur, qui livre ses doutes, son mal être, sa pudeur, ses interprétations sur les actions de sa cadette et les siennes propres. Entre attirance et répulsion, les deux sœurs demeurent aux aguets, mais grâce à des objets ou des lieux retrouvés, elles renouent durant quelques instants.

Avec tact et délicatesse

Elles se revivifient au contact de la nature, mise en valeur par touches légères, qui comme la maison magnifiquement décrite, deviennent de véritables personnages du vieil incendie. La belle couverture de cynorrhodons, prêts à être cueillis, aussi bons en tisane qu’en confiture qu’ils peuvent être irritants avec leurs poils à gratter, ou qu’ils peuvent écorcher aves les épines dressées sur leurs branches, résume les relations entre les deux sœurs.

Avec tact et délicatesse, comme sont habitués ses lecteurs, Elisa Shua Dusapin donne naissance à un livre, Le vieil incendie, d’une grande richesse et d’une beauté éclatante. D’une écriture précise, descriptive, limpide, elle suggère, esquisse, réussit à faire entendre les silences, fait plonger au plus profond des solitudes où se noient ses héroïnes. Une écrivaine au talent rare, conforté par un travail méticuleux de la langue française, qui donne naissance à des histoires simples et si prenantes.

En savoir plus :

  • Le vieil incendie, Elisa Shua Dusapin, Zoe, aout 2023, 140 pages, 16,50 euros
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