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Haruo-Umezaki Hallucinations et Le cerf volant fou

Critique / “Le Cerf-volant fou” et “Hallucinations” de Haruo Umezaki

Parmi les auteurs de la première moitié du XXe siècle au Japon, certains ont atteint une célébrité mondiale : Jun’ichirō Tanizaki (1886 -1965), Yasunari Kawabata (1899 -1972), Yasushi Inoue (1907-1991), Osamu Dazai (1909 -1948) ou Yukio Mishima (1925 -1970). Haruo Umezaki (1915-1965) n’a pas connu le même succès et est encore confidentiel en France. Les éditions Cambourakis ont eu l’excellente idée de faire reparaître ses deux derniers livres ; Le Cerf-volant fou en aout 2022 et Hallucinations en février 2023, mis à l’honneur initialement par les Éditions du Rocher en 2008 et 2006, portés par l’excellente traduction de Jacques Lalloz. La critique et l’avis sur ces livres. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Sakurajima, toujours non traduit en France, qui lui apporta le succès au Japon en 1946, traitait de son expérience militaire durant la seconde guerre mondiale. Atteint de névrose d’angoisse à compter de 1956, il réussit néanmoins à faire éditer dix ans plus tard, peu avant sa mort, ses deux chefs d’œuvre, ici présentés, qui abordent l’embrigadement militaire, la société japonaise avant et au lendemain de la guerre. Deux lectures complémentaires où souvenirs, perte d’un ami ou d’un frère jumeau hantent durablement les principaux protagonistes, accompagnées de belles descriptions du Japon de jadis à la campagne, avec une société régie par des règles rigides.

Le Cerf-volant fou : l’absurdité de la guerre

Le Cerf-volant fou, qui apparaît au narrateur, est celui né dans son imagination, lors d’un déplacement chez Eisuke, un ami professeur, immobilisé suite à une chute d’un bus, sans doute consécutive à l’abus d’alcool, thème récurrent chez Haruo Umezaki.

Leurs rencontres, dans les années 1950, se tournent très vite vers le souvenir de Josuke, jumeau de Eisuke, décédé en Mandchourie durant la guerre. Peu de points communs entre ces deux frères, pour ne pas dire aucun, tant leurs tempéraments sont aux antipodes.

Entre passé et présent, le roman se déroule avec fluidité, permettant de reconstituer la vie d’une famille d’où émerge Kotaro, l’oncle aîné qui décide, lui qui voulait adopter Josuke, qui au terme de son existence attend aide et subsides de ses neveux et nièce, et que finalement seul Eisuke aidera respectant ainsi les conventions familiales. Une vie complexe depuis la prison et le suicide du frère aîné, la quasi absence de relations entretenues avec les deux derniers enfants de sa famille rythment la vie du professeur Eisuke qui subitement souhaite comprendre ce qui est réellement arrivé à son gémeau.

L’absurdité de la guerre, les conditions de vie déplorables rencontrées en territoire ennemi, sont habilement décrites dans Le Cerf-volant fou, tout comme les personnages ancrés dans des traditions désuètes, passéistes, marqués à vie par la déflagration que fut la seconde guerre mondiale.

Hallucinations : un livre qui s’adapte à l’état mental du fuyard, agité, névrosé

Hallucinations, dernier livre de Haruo Umezaki, reprend les grands thèmes qui ont irrigué ses précédents ouvrages ; la guerre et ses méfaits, l’alcool et ses ravages, le souvenir prégnant d’un être disparu. Sont également présents ; la description de la campagne japonaise, le quotidien des habitants, la réflexion sur la responsabilité individuelle ou collective, le mystère du cheminement au suicide. Gorô, celui qui conte sa folle aventure, a bien des points communs avec son créateur. Tous deux ont été officiers dans la marine durant la seconde guerre mondiale, tous deux ont subi des traumatismes sévères et irréversibles. Gorô, échappé de son hôpital psychiatrique, n’a qu’une idée en tête ; retourner sur les lieux où il fut militaire et où périt un compagnon, Fuku.

De rencontres en rencontres avec un représentant en commerce, un enfant sur un rivage, des tenanciers d’hébergements, une femme divorcée, il atteint son but. Toujours en éveil, inquiet, suspicieux, Gorô pense au mal qui pourrait lui être fait. Sa folie, sa prise de médicaments ou leur arrêt total, ou leur mélange avec l’alcool, déclenchent des hallucinations qui se mêlent à ses obsessions, et à certains souvenirs d’enfance. Seul, épuisé, il chemine, poursuivi par un sentiment de culpabilité lors de la disparition de Fuku. Inutile d’en dire plus, même si il semble ne rien se passer dans ce petit livre. Pourtant a été dessiné un pays meurtri duquel ont émergé des individus aux avenirs bien incertains tels Gorô et Nio le représentant en commerce, qui se sont retrouvés au bord du cratère d’un volcan. Un livre agréable à lire qui paraît déstructuré, décousu, mais qui s’adapte à l’état mental du fuyard, agité, névrosé.

Haruo Umezaki, auteur oublié

Un seul conseil : lire Haruo Umezaki, auteur oublié, méconnu, ou totalement inconnu, pour découvrir des textes différents, empreints de nostalgie et de mal être. Certains apprécieront, d’autres moins ou n’aimeront pas du tout. A chacun de se faire une idée sur le Japon des années d’après guerre et des traumatismes vécus par l’auteur.

En savoir plus :

  • Le Cerf-volant fou, Haruo Umezaki, Cambourakis, aout 2022, 155 pages, 10 euros
  • Hallucinations, Haruo Umezaki, Cambourakis, février 2023, 248 pages, 11 euros
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