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Louise Erdrich Celui qui veille livre critique avis

Critique / “Celui qui veille” (2022) de Louise Erdrich

Dernière mise à jour : décembre 30th, 2022 at 11:59 am

Louise Erdrich, d’origine indienne Ojibwé par sa mère, est une des grandes auteures du monde littéraire américain. Celui qui veille, paru en janvier 2022 dans l’excellente collection Terres d’Amérique chez Albin Michel, auréolé du Prix Pulitzer, rend hommage à la communauté Chippewa. La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Celui qui veille : un hommage à la communauté Chippewa

Sous la houlette de Thomas Wazhashk (inspiré du propre grand père de l’auteure), la réserve de Turtle Mountain, située dans le Dakota du Nord, à proximité de la frontière canadienne, s’oppose à la politique de termination proposée par Arthur Watkins, sénateur républicain, votée le 1er aout 1953 comme Résolution 108 par le Congrès des États-Unis. « Comme d’habitude, on cherchait à se débarrasser d’eux pour résoudre le problème indien ».

Disposant d’un matériau rare, celui de la correspondance de son aïeul, Patrick Gourneau, Louise Erdrich tresse un roman plein d’énergie où une multitude de personnages prend vie en ce lieu déshérité traversé par de solides valeurs et rites ancestraux. Qu’ils soient enfants, petits-enfants, adolescents ou adultes, tous appartiennent à une communauté, tous sont des indiens Chippewas, aussi nommés Ojibwés. Entre solidarité, fidélité à un héritage culturel, qui se transmettent de génération en génération, ils vivent ou plus exactement survivent avec quelques maigres subsides gouvernementaux, parqués sur des territoires restreints et arides, leurs uniques richesses concédées par des traités menacés par de nouvelles orientations politiques.

Sous couvert d‘émancipation, leurs terres seront reprises, plus aucune aide spécifique ne leur sera attribuée. Il ne leur restera qu’à se fondre dans la masse et se perdre dans des grandes villes comme Minneapolis, où déjà nombre d’entre eux qui ont quitté la réserve végète dans les bas fonds de cette métropole où le mot indien est synonyme d’exploitation. Heureusement Celui qui veille, Thomas Wazhashk, président du conseil consultatif de la tribu, travaille comme veilleur de nuit dans l’usine locale de pierres d’horlogerie où sa nièce Patrice, qui déteste être nommée Pixie, est également employée. Sachant lire, entre deux rondes Thomas peut décortiquer les journaux et débusquer les textes scélérats qui veulent attenter à l’existence de Turtle Mountain et autres nations indiennes. Il lui faut organiser une résistance, prévoir des déplacements à Fargo puis à Washington, développer un solide argumentaire politique et économique.

Aux côtés de Thomas et de Patrice, jeune femme de dix-neuf ans « redoutablement intelligente », volontaire et téméraire, une foultitude de personnages avec épaisseur et personnalités affirmées enrichit ce roman réaliste où les nécessiteux demeurent fiers et combatifs. Ainsi Rose, la femme de Celui qui veille surnommé « rat musqué » en Chippewa, maintient son mari sur le droit chemin, le soutient lorsque cela est nécessaire dans son travail ou l’oblige à se tenir éloigné de l’alcool, véritable fléau dans la réserve. À ses cotés émergent les amoureux de Pixie, totalement insensible à leurs multiples sollicitations. Refusant mariage et enfants, elle tient à distance Lloyd Barnes le « grand gaillard aux épais cheveux blonds comme les blés », professeur de mathématiques et de boxe, ainsi que son élève indien, Wood Mountain, véritable colosse au cœur tendre. Il y a aussi Zhaanat, la mère de Pixie, qui tient a bout de bras une famille désertée par son mari, alcoolique violent, et Véra sa fille aînée disparue dans Minneapolis.

Dans sa maison, faite de bric et de broc, à même la terre, sans aucune commodité, comme Rose elle est la pierre angulaire qui guide et qui protège ses proches. Et  il y a aussi Biboon « le vieil homme frêle », le père de Celui qui veille, et les copines de Pixie, Valentine et Doris, et tant d’autres à découvrir. Tous ces personnages très différents, remplis de vie, d’espoirs, en interaction, se retrouvent de chapitre en chapitre, plus ou moins longs, enrichissant la description de cette communauté attachante traversée par de petites jalousies, mesquineries et avant tout d’humanité. Avec un style direct, très descriptif, le quotidien de cette communauté est parfaitement restitué de la naissance à la mort, avec la maladie, des apparitions de fantômes, des rêves, des croyances, l’alcoolisme, le racisme, la résistance à l’oppression.

L’avis sur le livre ?

Porté par une écriture limpide, des actions multiples, Celui qui veille, en aucun cas un traité d’ethnologie, est simplement un roman, non didactique, où il est agréable de se glisser. Dans son postface et remerciements Louise Erdrich, à qui Sarah Gurcel doit être associée pour son excellente traduction, en quelques mots résume que « De toutes les tribus figurant sur la liste initiale du programme de termination, la délégation de Turtle Mountain fut la première à opposer une résistance farouche et à l’emporter. »

En savoir plus :

  • Celui qui veille, Louise Erdrich, Albin Michel, janvier 2022, 560 pages, 24 euros
Bulles de Culture - Les rédacteur.rice.s invité.e.s

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