Dernière mise à jour : mai 11th, 2022 at 09:25 pm
Paru en avril 2022 chez Séguier, Le crépuscule du monde de Werner Herzog, avec sa concision, la précision et le choix des scènes, fait émerger une jungle inhospitalière, celle de la petite île montagneuse de Lubang, aux Philippines, ainsi que la soumission d’hommes aux ordres reçus, le dérèglement mental conduisant à de véritables hallucinations et idées fixes. La critique et l’avis sur le livre.
Le crépuscule du monde : docufiction sur le dernier combattant japonais
Parmi la superbe filmographie du cinéaste Werner Herzog, émerge sa collaboration avec son acteur fétiche, Klaus Kinski. Celui ci, énigmatique, halluciné, tempétueux, est inoubliable dans Aguirre, la colère de Dieu en 1972, et Fitzcarraldo en 1982.
Les images sont marquantes, grandioses, excessives, apocalyptiques. La nature sauvage règne, des hommes jusqu’au-boutistes, hors du temps, sont envahis par la folie, la déraison, la solitude.
Werner Herzog vient de retrouver un personnage de la même lignée, qu’il a préféré rencontrer plutôt que de répondre à une invitation de l’empereur du Japon en 1997. Il s’agit de l’un des soldats japonais restants, expression traditionnelle pour dénommer les soldats de l’armée impériale ayant continué à combattre après la capitulation en août 1945 et cela jusque dans les années 1970 pour les derniers.
Hirōo (ou Hiroo) Onoda, avant dernier combattant connu, mais surtout le dernier japonais, est le plus célèbre de ces hommes. Il rejoint la longue liste des héros de Werner Herzog dans un roman, le premier, véritable docufiction, extraits de moments d’une vie, rêve éveillé.
Trente années de camouflage
En février 1974, Norio Suzuki, jeune homme de 25 ans, réussit à rentrer en contact avec Hiroo Onada et à l’apprivoiser. Cela aboutit en mars à sa reddition face à son ancien major, Taniguchi, celui là même qui lui avait donné l’ordre de ne pas se rendre, ne pas se suicider et de continuer à combattre sans contre ordre. Des hommes aux destinées hors normes, que seule la quête de Norio Suzuki a permis, celle de découvrir dans l’ordre, Onada, le yeti « l’immonde bête de l’Himalaya », « un panda dans son habitat naturel ». Après réussi à voir ce dernier, il meurt en 1986 lors d’une avalanche toujours à la recherche de l’abominable bonhomme de neige.
Trente années à vivre camouflé, tel un caméléon, dans la forêt vierge, dans la moiteur, au milieu des pluies, des brouillards qui rythment les saisons, où nuits et jours se succèdent, tel est le sort de Onoda et de ses hommes.
Le crépuscule du temps s’abat sur son armée exsangue, quatre hommes au maximum lui compris, s’amenuisant pour finalement pour se réduire à Onada. Échapper à l’ennemi, être en mouvement permanent, effacer toute trace de présence humaine, rechercher de la nourriture, sont des tâches répétées et toujours à refaire.
Construire des caches, dormir recroquevillé, ou à demi allongé, rythment une existence étriquée et répétitive, sans que de véritables relations amicales s’établissent entre ces hommes perdus. Protéger les armes, les entretenir, empêcher que les munitions soient corrompues par l’humidité, sont d’autres actions indispensables à remplir. Restent à mener des escarmouches sporadiques pour s’approprier des biens de subsistance, actions périlleuses tant pour la population philippine que pour les soldats de l’empereur.
Au total, plus d’une centaine d’embuscades ont été déjouées, au milieu de moustiques affamés, de cigales stridulantes, de sangsues et autres bestioles. Formaté par son exigeant enseignement militaire reçu, Onada demeure persuadé que la guerre est toujours présente. Il rejette tous les signes qui semblent prouver le contraire, convaincu que l’ennemi lui tend des pièges, détourne les informations, trafique les documents. Lorsque d’un avion une voix japonaise annonce à Kozuka et lui Hiroo « sortez de votre cachette, une amnistie vous est garantie », une seule évidence surgit, c’est un piège naturellement. Aucune reddition n’est possible, ce serait le crépuscule du monde, ce serait trahir l’empereur et son armée.
Rencontre entre deux hommes
Werner Herzog réussit un exploit peu commun, faire mieux que Hiroo Onada avec son livre Au nom du Japon. Les mémoires du soldat japonais, plus détaillées, n’ont pas le même souffle, étant beaucoup plus plates.
Avec le temps les souvenirs se sont estompés, se sont déformés, et ne reflètent pas nécessairement la réalité vécue, celle ci étant bonifiée. Les rencontres entre les deux hommes qui encadrent Le crépuscule du monde ont donné lieu sans aucun doute à des échanges riches entre eux dont l’auteur allemand a su retenir la substantifique moelle.
Seulement quelques dates, bien sélectionnées, pour suivre cette incroyable aventure hors du temps, dominée par des hommes aux marges de l’humanité, sous emprise d’ordres caduques. Réalité, fantasmes, sont habilement mêlés par Werner Herzog, excellent conteur, qui égale le grand metteur en scène qu’il est.
En savoir plus
- Le crépuscule du monde, Werner Herzog, Séguier, avril 2022, 144 pages, 18,00 euros
- Au nom du Japon, Hiro Onoda, La manufacture de livres, février 2020, 320 pages, 20,90 euros, Livre de poche, octobre 2021, 320 pages, 7,70 euros
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Merci de bien vouloir noter que ce livre de Werner Herzog a été traduit de l’allemand par Josie Mély (moi-même, cette mention est normalement requise, non ?). Si Werner Herzog est “un excellent conteur” en français, j’y suis peut-être un tout petit peu pour quelque chose…
Cordialement.
Bonjour Madame, vos remarques sont tout à fait justes. Je veille dans la plupart de mes chroniques à indiquer le nom des personnes qui ont effectué les traductions, respectueux du travail qui est le leur et qui seul permet au lecteur français d’accéder aux oeuvres d’écrivains étrangers et d’apprécier leur univers.
Si j’ai pu tant apprécier Le crépuscule du monde de Werner Herzog, c’est effectivement que j’ai adhéré à la qualité de votre traduction, et y retrouver les images de films du grand cinéaste. Avec mes regrets.
Cordialement