Dernière mise à jour : janvier 24th, 2021 at 05:49 pm
Jeroen Olyslaegers avec Trouble, édité par Stock en 2019, réussit un superbe livre, dense et rempli de vérités, qui décrit le quotidien de la ville d’Anvers durant la seconde guerre mondiale. Au fil du long monologue écrit par Wilfried, le lecteur pense à Céline, mais avant tout à Hugo Claus pour son remarquable Le chagrin des Belges ou à Romain Slocombe pour son inspecteur principal adjoint à Paris, Sadorski. Et des images de Lucien Lacombe, film de Louis Malle, apparaissent, bien que le traître ait choisi son camp essentiellement par un concours de circonstances. La critique et l’avis sur ce livre.
Synopsis :
Anvers, 1940. Wilfried Wils, 22 ans, a l’âme d’un poète et l’uniforme d’un policier. Tandis qu’Anvers résonne sous les bottes de l’occupant, il fréquente aussi bien Lode, farouche résistant et frère de la belle Yvette, que Barbiche Teigneuse, collaborateur de la première heure. Incapable de choisir un camp, il traverse la guerre mû par une seule ambition : survivre. Soixante ans plus tard, il devra en payer le prix.
Récompensé par le plus prestigieux prix littéraire belge, Trouble interroge la frontière entre le bien et le mal et fait surgir un temps passé qui nous renvoie étrangement à notre présent.
Tout est trouble dans ce livre
Tout est trouble dans ce livre. Le climat de la guerre et de l’occupation y sont pour beaucoup mais pas seulement. Les relations familiales sont très compliquées pour Wilfried Wils, avec des tensions avec ses parents, puis avec sa fiancée. Ses fréquentations professionnelles, au sein de la police d’Anvers, se limitent à Lode, son futur beau-frère, membre de la résistance. À vingt-deux ans, comme auxiliaire de police où il a abouti pour échapper au Service du travail obligatoire, Wils participe à de troubles actions contre les familles de la communauté juive menées sous les ordres d’allemands ou sur des décisions propres à la police belge. Ses collègues de travail l’ignorent ou le méprisent au regard de sa tiédeur lors des rafles.
D’autres actions tout aussi troubles sont menées par certains policiers plus anciens, comme racketter des trafiquants divers et variés. Trouble est également le comportement des autorités municipales collaborationnistes qui tolèrent certaines violences.
Trouble, enfin, Wils l’est lui même en entretenant des relations étroites avec Barbiche Teigneuse, un pro nazi, qui lui enseigne le français. Il n’hésite pas non plus à fréquenter la brasserie du Merle blanc, repère de collaborateurs convaincus. L’amant de sa tante est un officier SS, Gregor le rouquin, qu’il rencontre hors du travail mais aussi durant son labeur. Enfin Wils est ambivalent, partageant son âme avec un intrus, Angelo le poète. Autant Wils apparaît comme indécis et passif, se laissant mener par les évènements, autant Angelo est sa face sombre, un tant soit peu cynique, saisi de bouffées de violence. Ni véritablement collabo, pas plus que résistant, Wilfried demeure un indécis.
Passé et présent se mélangent allègrement
Wils, au terme proche de sa fin de vie, seul, rejeté de tous, malade, décide de s’adresser à son arrière petit-fils par écrit sous la forme d’un long monologue, qui forme le livre Trouble. Aucune justification, seuls les faits sont restitués. Passé et présent se mélangent allègrement. Les états d’âme de Wils, en différentes occasions sont analysés par lui même. Sa vieillesse a été marquée par le suicide de sa petite fille Hilde qu’il aimait tant. Marginale, elle entretenait une relation complice avec son grand-père avant d’y mettre fin brutalement. Et hier c’était la guerre, où une bonne partie de la ville savait des choses ou en avaient vues, sans jamais se révolter. Ils voulaient vivre ou survivre en demeurant le plus transparent possible, comme si tout était normal.
Danser, chanter, boire, devenaient les leitmotivs récurrents. Peu importait le lieu, même si il était infesté d’occupants et de nazis convaincus. Inquiétude, peur, ressentiments, incompréhension, imprègnent les pages de ce livre où les individus dévoilent toutes leurs faiblesses et bassesses. C’était l’époque d’une lâcheté collective où Anvers voulait subsister, de manière factice, pleine de faux semblants.
Un livre vif, volontairement chaotique
Wils, sans remords, ne cherche pas le pardon, il veut juste faire comprendre qui il fut réellement. Rien ne certifie qu’il soit totalement honnête durant cette confession mais Jeroen Olyslaegers a décrit avec succès le quotidien d’individus pris dans l’engrenage de la guerre et des conséquences de celle ci. Trouble est un livre vif, volontairement chaotique, où Wils jusqu’à la fin de ses jours, comme beaucoup d’autres personnes, porte un sentiment d’innocence et une part de culpabilité.
En savoir plus :
- Trouble, Jeroen Olyslaegers, Stock, janvier 2019, 448 pages, 22.50 euros