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Critique / “Marques de fabrique” (2023) de Cécile Baudin

Cécile Baudin avec Marques de fabrique, aux Presses de la cité en mars 2023, après une avant-première chez France Loisirs, réussit une entrée en littérature très réussie. Le lecteur se laisse happé par ce roman historique soutenu par une solide intrigue policière. La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Marques de fabrique : “Une longue enquête pour ce duo atypique d’inspecteurs du travail

Dans la dernière décennie du XIXe siècle en pleine révolution industrielle et mutations sociales, les forces progressistes se heurtent aux puissances industrielles rétrogrades dans le département de l’Ain. Une plongée dans la noirceur de l’âme humaine se déploie page après page.

Marques de fabrique avec des personnages parfaitement campés, une solide documentation, explore les tréfileries, les filatures de soie, fait découvrir les glacières, les usines-pensionnats où l’exploitation de la main d’œuvre est poussée à l’extrême dès le plus jeune âge.

La chasse aux contrevenants est lancée depuis la création de l’inspection du travail en 1892. À ce titre Claude Tardy, une des premières femmes à exercer la fonction d’inspectrice, veille au respect des règles d’embauche des enfants, des horaires, de la validité du carnet de travail. Elle ne peut effectuer ces tâches qu’auprès de femmes employeurs, essentiellement des unités de travail familial. En se travestissant en homme, en redingote et portant une fausse moustache, toutes les portes lui sont dès lors ouvertes, celles des entreprises employant des créatures masculines. Elle n’aime pas ce rôle où elle veille à s’exprimer à minima pour ne pas être trahie par sa voix. Tout cela se fait à la grande satisfaction de son supérieur hiérarchique Edgar Roux, qui grâce à cette supercherie peut alléger substantiellement sa charge de travail.

En fin de carrière, toujours armé de son matériel photographique, cet homme aux comportements parfois imprévisibles, doté d’une grande perspicacité, est rongé par certains secrets. Lors d’une des missions de Claude dans un atelier clandestin de couture, de façon tout à fait inopinée, elle apprend le décès d’un travailleur dans une tréfilerie, « suicidé » les bras en croix retenus par des fils de soie. Trois mois plus tard le sosie de cet homme est victime d’un « accident » dans une glacière dans les montagnes. Ces évènements déclenchent une longue enquête pour ce duo atypique d’inspecteurs du travail.

Ils seront amenés à croiser Sœur Placide et à collaborer avec cette religieuse, gardienne de pré adolescentes et fillettes dès leur plus jeune âge, démunies, pour la plupart orphelines. Véritable garde chiourme tant dans les dortoirs que les réfectoires, Sœur Placide revêche de prime abord, se révèle peu à peu être une femme au grand cœur. Surveillante d’un véritable pénitencier que constitue l’usine-pensionnat au service des filatures comme celle des Soieries Perrin, la religieuse est bouleversée par la vue d’une nouvelle orpheline, qui lui rappelle étrangement Léonie dont elle était si proche et qui est disparue depuis son mariage, depuis quinze ans déjà ! Happée par cette ressemblance elle se lance dans une enquête qui  par le plus hasard lui fait rencontrer Claude et Edgar, auxquels elle s’associe. Leurs découvertes sont de plus en plus inquiétantes.

Après avoir été éhontément exploitée durant leur jeunesse, rendues dociles et serviles, ces jeunes filles sont conduites jusqu’au mariage dès leurs quatorze ans. Elles seront remplacées par de la chair fraiche pour continuer, avec la bienveillance des familles, de l’Église et des industriels, au développement et à l’enrichissement des Soieries Perrin à Trévoux.

Un livre passionnant

Marques de fabrique au cœur d’une région en mutation lors de l’expansion industrielle de la fin du XIXe siècle, met en exergue la collusion entre détenteurs des forces productives et entités protectrices des âmes perdues. Pour rencontrer le fantôme qui hante les couloirs des dortoirs, le gentil neveu Paul dévoué à sa tante Sœur Placide, et la foultitude d’individus parfaitement incarnés, avec leurs défauts ou qualités, leurs tares et déviances, plus vrais que nature, il faut lire Marques de fabrique.

Pour découvrir d’anciennes professions aujourd’hui disparues, approuver les critiques acerbes sur l’exploitation des femmes, leur peu d’emprise sur leur vie, toujours sous la coupe de pouvoirs machistes, apprécier l’intrigue de Marques de fabrique et ses personnages forts, des femmes ; Claude, sœur Placide, et même Olympe, l’épouse du patriarche Perrin et mère des héritiers, Étienne et Philibert, il faut se laisser porter par la plume de Cécile Baudin, légère, alerte, précise.

La maîtrise de la construction, très rythmée avec rebondissements et fausses pistes, est parfaite, maintenant l’attention du lecteur de la première à la dernière page, au milieu de pensées humaines noires, dépravées, criminelles. Un livre passionnant qui se révèle plus profond qu’il n’en a l’air. Une vraie réussite qui mérite d’être partagée par le plus grand nombre.

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