Dans Les poissons de Caracas, Vicente Ulive-Schnell plonge au cœur d’un Venezuela ravagé par la corruption et la violence sous le régime d’Hugo Chávez. Ce roman noir, publié en 2024, offre une critique mordante de la société à travers les enquêtes de l’inspecteur Enrique Dávila. La critique et l’avis sur le livre.
Cet article vous est proposé par Chris. L
Un auteur reconnu entre deux mondes
Né à Caracas, Vicente Ulive-Schnell romancier franco-vénézuélien, publié tant au Venezuela qu’en Espagne ou en France, fait l’objet à chaque parution de critiques élogieuses. Son dernier ouvrage paru en juin 2024 aux Éditions Intervalles Les poissons de Caracas est un roman noir de première qualité qui se déroule sous l’ère du « socialisme bolivarien anticapitaliste » d’Hugo Chávez, El Comandante pour ceux qui l’adulent et le Co-merde-ent pour tous les autres.
Un début percutant dans une Caracas sombre
Le ton est donné dès la première phrase ; « Il n’y a pas de meilleur endroit au monde pour se débarrasser d’un cadavre que la rivière Guaire au Venezuela. Les eaux, aussi noires que le pétrole qui alimente le pays, engloutissent tous les déchets excrétés par la ville de Caracas. » Effectivement rien de tel que cette rivière pour faire disparaître définitivement toute personne, le plus souvent démembrée, qui a gêné petits ou grands délinquants, contribuant ainsi à ce que Les poissons de Caracas puissent prospérer allègrement. Ceux-ci cependant ne sont pas les seuls à se gaver impunément. En effet des prédateurs beaucoup plus voraces règnent chez les dirigeants politiques, au sein des milieux économiques anémiés en pleine déliquescence et sous perfusion financière permanente du gouvernement.
Par ailleurs les forces militaires et policières, largement corrompues, se livrent à d’incessantes luttes intestines. Espérant étendre leurs zones d’influence elles ourdissent complots et moult actes mafieux. Pays de délations, de désolation, le Venezuela à la dévotion totale au leader bien aimé pour certains, est pour d’autres le risque d’une élimination physique en qualité de « traîtres à la Patrie ». Le culte de la personnalité exacerbé exercé par Chávez, conduit le pays dans le chaos avec d’interminables queues pour quérir quelque subsistance, le rationnement en eau, des coupures d’électricité de plus en plus longues, des usines qui ne produisent plus, des bidonvilles qui se multiplient, l’explosion des malfrats prêts à tout. Ainsi Caracas, « Cette ville était un véritable enfer », dangereuse, invivable.
Enrique Dávila, un inspecteur désabusé
Pour découvrir ce sordide quotidien, notre guide est l’inspecteur Enrique Dávila, homme désabusé, en fin de carrière, homme féru de culture hellénistique, instituteur reconverti dans la police, car cela rémunère moins mal. Il y a tellement de kidnappings ou d’homicides, qu’il ne saurait être question de vouloir rechercher tous les coupables avec des effectifs notoirement insuffisants et une hiérarchie qui ne pousse pas à la résolution de certains dossiers criminels dès lors que certains membres des hautes sphères, dirigeantes ou détentrices de pouvoirs sont directement impliqués ou tout au moins donneurs d’ordre.
Ainsi parmi Les poissons de Caracas, certains se révèlent être d’un calibre bien supérieur à celui de modestes piranhas. Marié, père de deux adolescents, homme intègre et fidèle en amitié, Enrique Dávila, à l’hygiène de vie non exemplaire, comme souvent ne lâche rien dès l’instant où il s’implique dans la résolution d’une affaire. Ainsi après la découverte d’un corps dépecé dans la Guaire, la disparition d’un jeune voisin, un coup de téléphone lui réclamant une clé USB, l’inspecteur s’engage dans la résolution de ces différentes énigmes qui pourraient n’être que les pièces constitutives d’une seule et même affaire.
Avec l’aide de son fidèle coéquipier Miguel, l’enquêteur Enrique va progresser rapidement avec culot, conviction, malgré les innombrables obstacles rencontrés, dont ceux tendus par les services secrets vénézuéliens. Avec humour et se référant aux Dieux grecs en toute circonstance, quel que soient les interlocuteurs qui la plupart du temps n’y comprennent goutte, Enrique Davila est un policier atypique auquel le lecteur s’attache rapidement.
Notre avis sur Les poissons de Caracas
Les poissons de Caracas, est un livre qui se révèle être une véritable radioscopie sans compromis sur un pays en pleine déliquescence, plongeant dans les bas-fonds les plus répugnants, dans les écuries nauséabondes du pouvoir. C’est un roman noir, très sombre, glauque, largement teinté de politique et de social. Ici aucun super héros en action, seulement quelques personnes avec des valeurs d’humanité et de justice qui acceptent de se confronter aux puissants, criminels corrompus, sachant que cette lutte inégale s’arrêtera nécessairement à un instant donné afin de conserver la vie sauve.
Pour réussir un roman aussi riche Vicente Ulive-Schnell s’appue sur les ressources acquises lors de ses diplômes en psychologie, sociologie, et philosophie, mais également sur les multiples activités exercées au sein de la population. Par ailleurs son œil de cinéaste en courts métrages lui permet de dérouler des scènes et des descriptions très cinématographiques. Un excellent roman, hors des chemins traditionnels, sans concession aucune, porté par une plume critique, précise. Une très belle découverte.
En savoir plus :
- Les poissons de Caracas, Vicente Ulive-Schnell, Éditions Intervalles, juin 2024, 204 pages, 18,50 euros