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Le Mississipi dans la peau Eddy L. Harris - Liana Levi avis couverture livre

Critique / “Le Mississipi dans la peau” (2021) d’Eddy L. Harris

En octobre 1986 Eddy L. Harris, dans sa trentième année, illustre inconnu, s’élançait en canoë depuis le lac Itasca, pour la descente du Mississipi. Cette performance hors normes donna vie en 1988 à Mississipi solo, au succès immédiat, traduit chez Liana Levi en septembre 2020. Trente ans plus tard, fin août 2016, le même homme réédite cette expérience mais « Le fleuve a changé. Le pays a changé. »  Avec Le Mississipi dans la peau toujours chez Liana Levi, en septembre 2021, c’est l’heure du bilan pour l’auteur, plus âgé, plus sage. La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L..

Le Mississipi dans la peau : retour sur le fleuve

Dans ce périple, il se refuse à reproduire le précédent voyage. Seuls quelques souvenirs affleurent de temps à autre. Pour ce nomade infatigable, les rencontres humaines sont primordiales. Il distille réflexions, connaissances historiques, anecdotes, critiques et scènes du quotidien. Pas plus spécialiste en botanique qu’en ornithologie ou en zoologie, il n’en apprécie pas moins la beauté qui émane de la nature tout au long du fleuve qui, devenu plus propre, accueille le retour du Pélican d’Amérique. Les hérons indolents, sont toujours aussi majestueux dans leurs vols. Surprenants sont ses face-à-face avec une nuée de milliers d’éphémères, et avec des carpes volantes, voraces, prises d’une frénésie sauteuse.

Entre mythes et légendes, les dix états traversés déploient ; nature sauvage, terres agricoles, espaces industrialisés, mégapoles, petites villes agonisantes face à la désindustrialisation. Les fleuves Illinois, Wisconsin, Missouri, Ohio sont littéralement avalés par le Fleuve des chutes, aussi appelé gichi-ziibi, Misi-ziibi (le Grand Fleuve), Mesisipi, et finalement Mississipi. Face aux barrages, écluses et barges qui pullulent, bien que moins nombreuses qu’antérieurement, le danger demeure. Nombreuses ont été, entre autres, les fermetures d’usines, de minoteries, de tanneries, de tonnellerie, de brasseries. Emplois robotisés, externalisés, délocalisés, souvent à l’étranger, la mondialisation abandonne les populations à un avenir incertain, remplies de ressentiment.

L’enfant de Saint-Louis, citadin qui aime le silence et la solitude, déçu par les deux mandats de Barack Obama, est révolté par la continuité de la maltraitance et meurtres que subissent encore les populations noires.  « Rien n’est plus américain que la haine raciale. » S’il est difficile de pouvoir échanger sur le racisme dans le Sud profond des Etats-Unis, où il est profondément ancré, il n’en détient cependant pas l’exclusivité. Les premiers à rudoyer les populations autochtones et esclaves noirs, furent les envahisseurs européens, également responsables de l’extermination de la tourte voyageuse. Les Indiens ont toujours été traités de manière monolithique et simpliste, selon un modèle mensonger. Des pages fortes sur ces thèmes s’égrènent, de ci de là, dans Le Mississipi dans la peau.

Un grand plaisir de lecture durant ce voyage passionnant.

Des moments d’intense bonheur assaillent Eddy, comme la récolte de riz sauvage sur les terres des Indiens Anichinabés, l’apparition d’un bon samaritain lui donnant des vêtements chauds, la famille accueillante de Ken l’infirmier où les câlins de la petite Camélia récompensent à eux seuls son expédition. Comme le Mississipi l’auteur vagabonde, louvoie, modifie son parcours. Selon l’instant les sujets changent, disparaissent pour mieux ressurgir quelques pages plus loin, passant de ses parents, à la ségrégation, aux industries et richesses d’antan, au rôle des allemands dans le développement des brasseries et la viticulture, aux inondations, à l’individualisme exacerbé. Des évènements prégnants comme les encouragements prodigués à Jason et Steve, inspirés par « Mississipi solo », le poursuivent depuis leur disparition sur le Grand Fleuve dans leur tentative de céistes-au-long-cours.

En lisant Le Mississipi dans la peau, quelques phrases de la chanson The old man river résonnent, « Et ce sacré bonhomme de fleuve / Lui, suit tranquillement son cours. », qui pourraient aussi bien décrire Eddy L. Harris. Son récit, véritable hymne d’amour au Grand fleuve, d’une grande richesse, est porté par une plume limpide, incisive et critique, débordante d’humanité. Un grand plaisir de lecture durant ce voyage passionnant.

En savoir plus :

  • Le Mississipi dans la peau, Eddy L. Harris, Editeur Liana Levi, septembre 2021, 256 pages, 15.95 euros
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