Après cinq essais réalisés avec son épouse Anne Boquel, Étienne Kern, agrégé de lettres classiques et ancien élève de l’École normale supérieure, a produit seul un premier roman, Les envolés en 2021 chez Gallimard, diffusé depuis Juin 2023 au format poche, naturellement par Folio.
L’Incroyable Saut de Franz Reichelt depuis la Tour Eiffel en 1912
Roman sur l’existence d’un inventeur téméraire, celle de Franz Reichelt qui sauta du premier étage la Tour Eiffel le 4 février 1912, harnaché dans sa création dument enregistrée auprès de l’Office national des brevets. Cet homme, tel une chauve-souris, est connu essentiellement pour le petit film réalisé par deux journalistes. Cette folle tentative, au dénouement inéluctable, attira une trentaine de personnes parmi lesquelles forces de l’ordre, photographes, journalistes et badauds. Redonner vie à cet homme disparu à trente-trois ans, qui se substitua à son mannequin qui devait en réalité être projeté de la Tour Eiffel comme autorisé par la Préfecture de police de Paris, est un des buts du livre Les envolés. En l’absence d’informations suffisamment denses sur la vie de ce jeune homme né à Wegstädtl, proche de Prague en Bohême autrichienne à l’époque, arrivé en France en 1900, Étienne Kern utilise la palette du romancier pour combler les manques. Il réussit avec simplicité et délicatesse à mettre en forme une histoire très riche et touchante.
Les nombreux personnages qui traversent ce court roman donnent de la densité à cette aventure humaine et peu importe ce qui relève de la fiction ou de la réalité. Il ne s’agit en aucun cas d’une biographie mais d’un roman, mai pas seulement. En effet l’auteur distille régulièrement quelques chapitres très personnels. Il nous apprend ainsi qu’il collectionne les photos de Franz, qu’il regarde et décortique chaque scène du petit film qui rendit célèbre à titre posthume le jeune inventeur, des difficultés rencontrées pour reconstituer sa vie. Il n’hésite pas à interpeller cet homme disparu il y a plus d’un siècle, « Tu flottes, tel un dieu ou un saint dont un peintre aurait voulu célébrer la gloire. »
‘Les Envolés‘ : Des Descriptions Éloquentes
Par ailleurs, de manière plus intime encore, Étienne Kern parle d’un jour de 1977 entouré de mystères, celui où son grand père âgé de cinquante-deux ans disparut sur son balcon. Enfin avec beaucoup de pudeur, il introduit parmi Les envolés son amie M. enseignante « les yeux malicieux, les pommettes un peu rouges, et ce rire communicatif », avant de s’évanouir définitivement une nuit de mai 2016 à trente-trois ans. Pour ces personnes rencontrées ou non, les souvenirs demeurent prégnants, et la mémoire demeure avec l’aide de quelques photos de ces chers disparus, « Les absents sont partout ».
Deux duos féminins, très différents, vont emplir le temps et le cœur de Franz, lui le solitaire qui traîne derrière lui la Robe, souvenir d’un passé douloureux. Naturalisé en 1911, il se fait un plaisir de franciser ses deux prénoms. Lui qui a refusé de suivre la voie de son père, celle de cordonnier, et qui a préféré le métier de couturier, grâce a sa réussite parisienne il a pu embaucher Louise Schillmann, venue de Berlin avec sa petite fille Alice, fragile et entichée de Franz. « Il avait les yeux clairs, presque gris, ceux d’un rêveur. Ses larges moustaches se relevaient curieusement quand il souriait. Sa voix profonde, avec des accents rauques, était capable d’une grande tendresse. » Ainsi en quelques mots parfaitement choisis, Étienne Kern réussit à donner des descriptions parfaites de ses personnages, comme celles de situations ou de paysages avec toujours beaucoup de légèreté et de précision. Emma et Rose sa fille, le second duo féminin, bénéficie de ces mêmes prévenances dans leurs représentations. Femme et fille de Antonio Fernandez, l’ami qui aida Franz à son arrivée à Paris, elles porteront le deuil de l’être perdu dans un aéroplane, comme beaucoup d’autres dans cette conquête des airs. Elles rencontreront le jeune couturier parisien sans rien connaître de son existence. Le lancement d’un concours pour créer un parachute pour sauvegarder les aviateurs, morts en si grand nombre déjà, modifie radicalement la vie de Franz Reichelt. « Il n’était pas ingénieur, ni savant. Il n’avait aucune compétence scientifique, et se souciait peu d’en avoir. »
Notre avis ?
Les envolés est un roman rempli d’amour et d’amitié, touchant et lumineux à la fois. Inventeurs passionnés à l’extrême, allant jusqu’à mettre en jeu leur vie, traversent les pages de ce roman sensible, en demeurant avant tout des solitaires et des égoïstes. Une lecture pleine de nostalgie où se mêlent des images et des hommages attachants à ceux et celle qui hantent l’auteur.
En savoir plus :
- Les envolés, Étienne Kern, Gallimard, aout 2021, 160 pages, 16 euros, Folio, juin 2023, 176 pages, 7,50 euros
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