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[CRITIQUE] “Cannibales” de Régis Jauffret : Une délicieuse cruauté

Régis Jauffret nous convie avec Cannibales dans un roman épistolaire savoureux, aux échanges de lettres aussi caustiques que venimeux. Âmes sensibles s’abstenir ! Notre critique. 

Synopsis :

Noémie est une artiste peintre de 24 ans, elle vient de quitter Geoffrey, 52 ans, architecte et amant ennuyeux et gris. Fière de sa décision, elle écrit à Jeanne, la mère de Geoffrey, riche retraitée qui habite Cabourg. Que peuvent tramer ces deux-là à propos du malheureux Geoffrey ? De le manger bien sûr, de le rôtir, et d’ainsi débarrasser la Terre de cette âme sans relief, sans vie, sans intérêt.

Cannibales et drôles de dames

 

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Cannibales de Régis Jauffret nous fait découvrir deux femmes que tout oppose : l’une est jeune, l’autre âgée ; l’une est riche retraitée, l’autre peintre sans grande fortune. L’âge et le milieu les séparent. Mais elles vont se trouver un point commun : la haine qu’elle voue à Geoffrey. L’une lui reproche d’avoir été un amant terne, un compagnon monotone, un homme sans saveur, un être sérieux et fade. L’autre lui en veut d’avoir été un fils mal dégrossi, toujours décevant, jamais intéressant.

Les portraits des deux femmes sont forts de traits exagérés, de caractères bien trempés. Nous appréhendons deux femmes déçues par les hommes en général, et par Geoffrey en particulier, vous l’aurez compris. Chacune a une vision sur la vie, le couple, l’amour bien définie. Chacune porte son poids de névroses et de contradictions. Elles sont attachantes et drôles dans leur démesure, dans leurs exagérations et leur grain de folie. Elles sont loin de nous et nous sont paradoxalement étrangement familières.

Liaisons dangereuses,
liaisons venimeuses

 

Avec Cannibales, Pierre Choderlos de Laclos n’est pas loin. C’est d’abord le caractère épistolaire du roman qui le convoque. Puis, ces femmes qui parlent d’amour, de vengeance, de gagner, ce sont une marquise de Merteuil et une Cécile de Volange d’aujourd’hui. L’une est déçue par les hommes parce qu’elle a été mariée à un homme qu’elle n’a jamais aimé et dont les étreintes amoureuses ont toujours été pénibles. L’autre est déçue par les hommes parce qu’ils ne savent pas aimer sur la durée, entretenir la flamme, donner d’eux ; Noémie veut aimer et vibrer, non s’endormir avec un ronfleur balourd.

Malgré leurs différences de génération, les deux femmes nouent un lien fort autour de la haine vouée à un homme, Geoffrey. Elles imaginent alors lui tendre des pièges, lui être nuisibles au plus haut point, et pourquoi pas le manger tout cru ? Non, mieux vaut le faire rôtir, et quitte à faire, mieux vaut tout mettre en œuvre pour que le festin soit savoureux. Que l’homme insipide puisse au moins devenir un plat qui a du goût, une victoire enrichie de délices qui a la douceur de la revanche.

L’échange entretenu par les deux femmes s’emballe ; les personnages quittent la voie qui leur était tracée. Et que peuvent choisir ces femmes sinon l’outrage, la luxure, la surenchère ? Car il faut bien après tout compenser toutes les offenses subies, notamment par ce malheureux Geoffrey qui n’est même pas capable d’être un fils ou un amant digne de ce nom…

Cannibales :
Ironie grinçante, vérité cinglante

 

Cannibales, c’est de la préciosité dans la perversité, du raffinement dans la méchanceté, de l’élégance dans l’agressivité. Cannibales, c’est un style caustique, des personnages singuliers, une histoire riche de non-sens, d’avancées rocambolesques,de retournements de situation ubuesques, de manipulations romanesques. Il faut aimer le second degré – et le troisième – et il faut aimer rire jaune et noir.

Régis Jauffret nous livre également à travers l’échange qui se noue entre les deux femmes une réflexion intéressante et parfois grinçante sur la place des femmes dans le couple. Les hommes n’ont pas la part belle : nous les voyons lâches et décevants, éternels enfants, amants sans grandeur ni passion, compagnons de lit lascifs mais lassants, compagnons de vie tristes et épuisants.

Que faut-il attendre d’eux en ce cas ? Et de la maternité ? Et de la vie ? Si le style est agréablement précieux, il n’en est pas moins délicieusement incisif et cru quand il faut évoquer sans tabou la réalité de la sexualité et la désillusion de la vie commune.

Régis Jauffret force ainsi le lecteur à s’interroger sur ce qu’il attend d’autrui, de lui-même, de la vie. Il invite chacun à prendre conscience de ses contradictions et à les affronter. Et ne vaut-il pas mieux pour cela voir la réalité à travers le prisme de personnages fous à lier ?

 

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En savoir plus :

  • Cannibales, Régis Jauffret, éditions du Seuil, août 2016, 192 pages, 17 €
Morgane P.

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