Dernière mise à jour : septembre 4th, 2019 at 10:25 am
Bulles de Culture a vu dans le cadre du Festival d’Avignon 2019 La Maison de thé, adapté de Lao She et mis en scène par Meng Jinghui. Une expérience qu’on ne peut comparer à rien de connu ! L’avis et la critique théâtre de Bulles de Culture.
Synopsis :
Une maison de thé à Beijing voit se côtoyer des personnes de toutes origines et de tous horizons. Les générations passent, les régimes politiques aussi, la société change, les chanceux de la Fortune se relaient, mais La Maison de thé reste et devient le lieu où l’on observe la permanence de la condition humaine.
La Maison de thé de Meng Jinghui : Un univers foisonnant très complexe au Festival d’Avignon 2019
Une quinzaine de personnages sur scène, assis face au public, dans un échange dialogué extrêmement dense et rapide. C’est ainsi que s’ouvre La Maison de thé. La vitesse des sous-titres à suivre et la difficulté d’associer les répliques qu’on lit aux personnages sur scène qui ne bougent pas, voilà qui malmène un peu le public au début de la pièce. On se dit à ce moment que des éléments nous échappent, propres aux codes de la société chinoise.
Après ce premier tableau, émergent quelques personnages plus identifiables, notamment autour de l’homme qui tient La Maison de thé. Les rapports que les différentes classes sociales entretiennent semblent très codifiés. On se dit à nouveau qu’il nous manque de toute évidence des clefs de lecture.
Le rythme s’accélère ensuite, faisant monter en puissance une violence jusque-là latente. Répression policière. Luttes de clans rivaux que Meng Jinghui met en scène à la façon du cinéma, avec costumes à l’italienne et armes de poing. Certaines scènes ne sont pas sans évoquer Quentin Tarantino dans le déchaînement d’une violence esthétisée et le déferlement d’un sang rouge électrique.
Dès lors La Maison de thé procède par glissements, cherchant à enchaîner des tableaux très visuels, mais dont le sens est de plus en plus difficile à suivre. L’humour ne manque toutefois pas sur la fin du spectacle. Les espaces laissés à l’improvisation et à la moquerie de l’illusion théâtrale fonctionnent notamment très bien, et font rire de façon assez générale et appuyée spectateurs et spectatrices.
Une lecture radicale de la condition humaine
Même si bon nombre d’éléments nous échappent manifestement, on peut se raccrocher à l’observation qui est faite du fonctionnement de la société. Certains leitmotivs sont particulièrement prégnants, comme celui de la pauvreté, de la faim et des revers de fortune.
On voit ainsi, du début à la fin du spectacle, des enfants vendus ou livrés à eux-mêmes, des filles mariées à des puissants. On observe toute une petite foule de personnages qui viennent quémander un repas, un emploi. Les décors métalliques donnent l’impression que la pièce se déroule dans un univers futuriste, qui n’est pas, là encore, sans rappeler le cinéma. Cette atmosphère détache La Maison de thé de toute époque identifiée ou identifiable. On est proche de l’univers de Ghost in the Shell — si une référence au Japon nous est permise.
Au centre de la scène et de la pièce, une immense roue, métallique également, dont le mécanisme permet qu’elle tourne. On est près des images de la Fortune présentes dès l’Antiquité. Il faut reconnaître qu’il est audacieux d’imaginer pareil appareil sur une scène, plus encore quand on voit les objets voler en éclats au moment où la roue se met en marche.
Une expérience de théâtre étrange et difficilement qualifiable
C’est un spectacle hors norme que le Festival d’Avignon a offert à son public avec La Maison de thé. Déjà, parce que l’appareil en lui-même est impressionnant : des décors gigantesques, un foisonnement de comédien-ne-s sur scène, trois heures intenses de spectacle. Cette création de Men Jinghui n’est pas dénuée d’intérêt dans ce qu’elle nous donne à voir de la société chinoise.
Il est toutefois difficile de ne pas se perdre dans pareille profusion. Personnages innombrables, juxtaposition d’espaces et de saynètes à foison, ajout de supports vidéos sur des temps parfois longs, mélange de cultures et d’influences, progression qui refuse la linéarité. On est parfois presque au cinéma, parfois presque dans un concert. Notons d’ailleurs que la dimension rock du spectacle est l’une de ses réussites.
Ce qui est sûr, c’est que La Maison de thé a beaucoup exaspéré. Des spectateurs et spectatrices sont sorti-e-s de la première demi-heure (celle des sous-titres difficiles à suivre) au dernier quart d’heure. Quand les rideaux se fermaient entre les tableaux, c’est par vagues entières que le public fuyait la salle. Avouons que si La Maison de thé comporte de réels moments de grâce et certaines scènes très drôles, elle noie son public pendant de très longs moments et c’est ce qui nous semble le plus dommageable.
Il a dû nous manquer quelques jalons sur lesquels nous appuyer pour apprécier pleinement le spectacle. Nous ne regrettons pas pour autant d’y avoir assisté tant il ne peut être comparé à rien de déjà vu, à rien de connu. Cela restera une expérience extrêmement surprenante et radicalement différente.
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En savoir plus :
- La Maison de thé a été jouée au Festival d’Avignon 2019, à l’Opéra Confluence, du 9 au 20 juillet à 20h
- La Maison de thé du 02 octobre 2019 au 03 octobre 2019 à Saint-Petersbourg (Russie)
- Durée du spectacle : 3h