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Matt Ross
© Emiien Moreau

♥ Interview / Matt Ross, réalisateur de “Captain Fantastic” : “Faire un portrait humaniste, nuancé et intelligent des Amériques au sein des États-Unis”

Dernière mise à jour : juin 19th, 2021 at 10:09 pm

“Beaucoup de personnes que je connais veulent travailler à la télévision”

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© Mars Films

Bulles de Culture : Le cinéma indépendant américain est réputé pour sa qualité bien qu’il opère en dehors des grands studios. Pensez-vous que ce système soit encore viable aujourd’hui ?

Matt Ross :  Je pense que oui, mais l’échelle a changé. Ce qui était un film de 10 millions de dollars en coûte maintenant 2 millions. Et un film qui avait un budget de 2 millions de dollars avant n’en a plus que 500 000.

Le cinéma indépendant est très dynamique aux États-Unis, mais les gens ne peuvent pas y faire de l’argent. C’est donc très difficile pour un artiste de retourner dans ce système. Non pas qu’il disparait, mais plus on vieillit et plus il est difficile de continuer à faire ce genre de films car on ne peut pas payer son prêt immobilier.

Si tu as 20 ans, tu peux travailler ainsi pendant une dizaine d’années car tu vas habiter chez tes parents ou dans un appart avec cinq amis, et tu n’as pas besoin de choses coûteuses, tu n’as pas d’enfants, de responsabilités, peu importe. On dit parfois que  c’est “une affaire de jeune homme” (“a young man’s game”). Et ce que je vois, c’est que la plupart arrête au bout d’un moment car c’est trop douloureux.

Ce qui n’existe plus et qui était la norme, c’est la situation où tu fais un film pour deux ou trois millions de dollars puis les studios arrivent et disent : “Très bien ! On aime votre film, pourriez vous faire la même chose, un film différent mais avec la même idée, mais pour 20 millions ?” Cela n’existe plus.

On ne peut plus passer graduellement d’un film indépendant à un film de studio. Sauf si tu fais un film Marvel. On voit des réalisateurs du cinéma indépendant comme Colin Trevorrow qui avait fait Safety Not Guarenteed puis Jurassic World, ou Jon Watts, qui est passé de Cop Car au prochain Spiderman, ou encore Mark Webb, de 500 Days of Summer à Spiderman lui aussi.

Cette pipeline existe. Si tu veux faire ça, c’est possible. Mais tu ne peux plus faire Le Parrain pour vingt millions de dollars. Tu le fais pour un million si tu as de la chance. Ou bien, et c’est une bonne chose, tu le fais pour HBO, Netflix ou Amazon.

Ce qui est en train de se passer, c’est que je vois plein de jeunes réalisateurs et de jeunes auteurs, qui se tournent vers la télévision pour pouvoir faire des projets commet Stranger Things. C’est fantastique, c’est comme un film des années 80 où l’on aurait mixé du Steven Spielberg avec du Stephen King ! J’adore, c’est tellement amusant. Et si c’était un film, tu pourrais le faire de manière indépendante, pour un million de dollars. Mais ça n’aurait pas le même niveau qu’avec Netflix.

Donc beaucoup de personnes que je connais veulent travailler à la télévision, car ça remplit les promesses du cinéma indépendant américain des années 70. Enfin, à l’époque, ce n’était pas du cinéma indépendant, c’était les studios. Ce sont les studios qui ont produit Le Parrain. Maintenant ces films ne se feront que sur des plateformes télévisuelles ou indépendantes.

C’est un sujet auquel je pense quotidiennement. Les studios sont dans le business de faire des films de 200 millions de dollars pour en rapporter 1 milliard. Je ne leur en veux pas, je comprends que c’est un business de faire des films pour la Chine, la Russie… Mais ces films sont très souvent d’un certain genre : ils ne sont pas compliqués, ils sont très clairs, ils ne sont pas culturellement spécifiques…

Si on fait un film sur le foot en France, ça ne marchera que dans les pays qui aiment le foot. Si tu fais un film qui n’est culturellement spécifique qu’à la France, il ne marchera qu’en France ou au Québec. Les studios américains ne sont pas dans cette démarche. Ils font des gros films qui peuvent marcher partout et plaire à tout le monde. Je pense que d’une certaine manière quand tu fais un film pour tout le monde tu ne le fais pour personne.

Mais si on me laissait faire un film Star Wars, peut-être.. J’adore Star Wars

Bulles de Culture : Vous pensez devoir aller vers la télévision ou vers les studios pour vos prochains projets ? Préfériez-vous rester dans le cinéma indépendant si l’on vous proposait demain de faire un “film Marvel” pour 50 millions de dollars ?

Matt Ross : Si je peux faire ce que je veux, bien sûr, parce que j’aurais plus de temps. Faire un film, c’est avant tout du temps et de l’argent. Combien d’argent tu as détermine combien de temps tu as, ce qui déterminera la qualité du film. Si tu es Christopher Nolan et que tu fais Inception, c’est un film d’auteur de 160 millions de dollars ! Si je peux faire ça, bien sûr !

Bulles de Culture : Mais avant de faire Inception, Nolan a dû faire Batman Begins. Donc si on vous propose de faire d’abord un gros film avant de faire votre film ? Un film de super-héros, un Captain Fantastic mais littéral, vous accepteriez ?

Matt Ross : Je ne pense pas…  Je trouve que les films de super-héros s’essoufflent. Et Deadpool montre qu’il existe un genre au sein d’un genre.

Je pense qu’aujourd’hui, on va voir des films de super-héros qui parleront de passage à l’adulte avec un héros homosexuel, par exemple. Ou un film de super-héros qui soit aussi un film d’horreur. On verra des genres à l’intérieur d’autres genres et cette idée me plait, ça dépend du résultat final. Je n’aime pas faire toujours les mêmes choses. Alors si j’arrive à trouver un moyen de faire un film que je n’ai pas encore vu auparavant, pourquoi pas.

Donc de manière général je dirais non, mais selon les spécificités d’un scénario en particulier, pourquoi pas. Je suis toujours excité lorsque sort un nouveau Star Wars, j’adore cet univers… Rogue One a l’air incroyable. Et les gens derrière Star Wars embauchent des personnes comme Rian Johnson, et d’autres réalisateurs vraiment intelligents, et ils semblent leurs dire : “Ok, faites votre Star Wars !” C’est génial. Mais au final, ce n’est pas mon but, ça serait une diversion et je le ferais, mais au bout du compte j’aimerais faire mes propres films.

Mais j’adore les films de genre, certains de mes films préférés le sont. Et j’ai une préférence toute particulière pour les films de genre qui ont une vision de mise en scène bien particulière. Qu’est-ce qu’Alien sinon un film d’horreur d’auteur ? Tout comme Blade Runner ou Le Parrain ou Apocalypse Now… Ce sont des films de guerre, de gangsters ou de SF, mais ce sont aussi véritablement des films d’auteurs.

C’est plutôt ça le but pour moi, un film de genre que les gens apprécient. Car le public aime les films de genre, c’est plaisant, c’est satisfaisant. Mais il faut savoir les réinventer, les subvertir, et j’adore ça. Les films font ça depuis le début, les premiers films américains étaient tous des films de genre.

En ce moment, j’ai trois projets en écriture, et ce sont tous des films de genre à leur manière. C’est dur de les qualifier de films de genre parce que cela implique que ça ne sera qu’un film de braquage, qu’un seul genre spécifique.

Mais en vérité, on peut prendre n’importe quel film, on peut prendre n’importe quel réalisateur français qui ne fait pas de film de genre, et ça devient un genre. Le genre serait par exemple le mariage, ça parlerait d’un mariage qui s’effondre. Et ça serait un genre.

Mais en général, quand on parle de genre, on en parle de manière plus large : le genre super-héros ou policier ou western. Mais pour moi, les meilleurs films sont ceux où il y a trois ou quatre genres qui se mélangent. Lorsque ce n’est pas juste un film de zombies. Ou prenez le film suédois Morse. C’est un film de genre, un film de vampire, mais c’est aussi un film sur l’enfance et plein d’autres choses. C’est un film fantastique, je trouve.

Emilio M.

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