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Ainsi soient-ils saison 3 - image
© Zadig Productions

Interviews / David Elkaïm et Vincent Poymiro (“Ainsi soient-ils”)

Dernière mise à jour : septembre 23rd, 2020 at 05:19 pm

 “Montrer l’Église dans toute sa complexité

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Bulles de Culture : Vous disiez hier en conférence de presse du Festival de la Fiction, que l’Église avait été super réticente en saison 1. Apparemment, ça s’est arrangé pour Ainsi soient-ils saison 2. Que vous ont-ils opposé comme idée ?

David Elkaïm : Je ne sais pas, mais ce que je peux dire, c’est que tout cela est très, très complexe. C’est ni noir ni blanc. Il y a une partie des catholiques qui étaient plutôt favorables à l’idée. J’ai même eu des retours de catholiques qui me disaient : “Moi, je suis catholique et c’est intéressant ce que j’ai vu”. Mais une autre partie, qui est évidemment un peu plus l’institution, a été plus critique.

Une fois que le projet a été diffusé, il a fallu se positionner très vite. C’est vrai que ce que l’on montre est gris, ce n’est pas tout blanc. Mais ce que l’on nous a opposé, c’est que la série raconte n’importe quoi, que les séminaristes ne sont pas comme ça, que le pape n’est pas comme ça, que les gens de l’Église de France ne sont pas avides de pouvoir… C’est surtout le personnage en première saison de Monseigneur Romand (Michel Duchaussoy), qui est un personnage avide de pouvoir, imbu de lui-même. Ça, ça les a insupportés.

Ils ont été un peu moins gênés en saison 2 puisque c’est Monseigneur Poileaux (Jacques Bonnaffé) et non plus Monseigneur Romand. Bon, même si moi, personnellement, être soutenu publiquement par Monseigneur Di Falco, je n’ai pas forcément envie qu’il me soutienne mais bon… Voilà, il nous a dit que l’on avait rectifié le tir, comme si on l’avait écouté pour rectifier le tir. On n’a jamais cherché à être prosélyte ni anti-curé. Nous, en fait, on s’en fout…

Vincent Poymiro : C’est complexe, parce que ce sont des endroits de malentendus absolus. Et l’on ne se rend pas compte à quel point l’identification à un milieu, à des institutions, à ces figures, est tellement intime. Qu’il y a aujourd’hui un réel sentiment — il ne s’agit pas de savoir s’il est justifié ou pas, en tout cas, il existe — de certains chrétiens d’être mal compris et aussi un peu de cette mentalité de forteresse assiégée. Ils ont très peur en fait.

A tort ou à raison, je ne sais pas, en tout cas, c’est une réalité. Et comme c’est une institution qui est vieillissante, complexe, qui a du mal à se réformer, évidemment, ses cadres ont plutôt tendance à dire : “Ils sont contre nous” plutôt que de se remettre en cause. Une structure comme la leur, pyramidale, a du mal à bouger, forcément.

Et en même temps, elle est composée de gens qui sont très engagés et qui ont fait de grands sacrifices et qui s’identifient beaucoup à cette institution et qui donc sont facilement blessés. Il a fallu un temps pour les gens de l’Église pour être convaincus qu’en fait, on ne faisait pas cela contre eux. Qu’il n’y avait pas de malveillance de notre part. Pour eux, dire cela, c’était la solution la plus simple. Il y a un peu cette interprétation : “Ah, on nous montre des endroits de l’institution qui ne nous vont pas, que l’on ne veut pas voir, donc supposons par avance que c’est malveillant de la part des créateurs, des auteurs…”

David Elkaïm : C’est même allé plus loin. Pour certains, il y avait un complot. Ce qui est totalement absurde.

Vincent Poymiro : Oui, cela a fait remonter des choses pas très sympathiques, complotistes… Mais au fond, dès qu’on a eu la possibilité d’avoir un dialogue avec des gens de l’institution, en privé, ça s’est complexifié. On s’est aperçu que finalement, les individus, pris à un certain niveau, n’avaient pas les mêmes positions que celles qu’ils avaient quand ils représentaient l’institution.

Ou bien, qu’il suffisait qu’ils se rendent compte que par exemple, nous, en tant qu’auteurs, on était vraiment foncièrement intéressés par le sujet, que l’on n’était pas juste une bande d’hurluberlus venant de nulle part et décidés d’en finir avec l’Église, que les questions que l’on se posait étaient sincères, qu’elles étaient parfois documentées aussi. Après, je comprends leurs réactions.

Par exemple, l’Évêque de Sainte nous a invité à prendre le petit-déjeuner. Il a eu la gentillesse d’accepter les tournages dans la région de La Rochelle. Ce qui n’était pas évident. Et donc ce matin, il nous reçoit avec une bienveillance et un sens de l’accueil extraordinaires. Il a vu le premier épisode de la saison 3, et en moi-même, j’avais un peu mal. Parce que ce premier épisode est très dur, très noir sur l’institution. Lui, il nous accueille ce matin, il se prend ça dans la figure, ce n’est en plus pas forcément représentatif de ce que la saison entière va raconter sur la spiritualité…

Je pense que cela a dû le secouer, j’étais pas hyper fier, je me disais : “Il faudrait qu’il ait vu les huit épisodes pour comprendre que le portrait est beaucoup plus nuancé pour juger. Qu’est-ce qu’il va en penser ?” Au final, il m’a dit deux-trois mots très gentils, il montrait qu’il avait compris que l’on voulait montrer l’Église dans toute sa complexité, ce qui m’a rassuré. Mais voilà, c’est délicat.

Bulles de Culture : Et en même temps, cela ne vous a pas influencé pour arrondir les angles…

Vincent Poymiro : Il n’y a que la vie très privée qui est de l’ordre de l’invention. Le privé et l’intime des personnages nous appartient, on l’invente. Pour ce qui est des gestes publics et de l’engagement public et de ce qui visible, on cherche à s’inspirer de la réalité. On respecte les personnages, et tout ce que l’on raconte, on l’invente. On essaie d’être cohérent sur le point de vue que l’on a sur le monde, sans être “à charge”.

A partir de là, inévitablement, quand une fiction nous renvoie un miroir et que l’on y croit, cela nous fait quelque chose, cela nous questionne. Moi aussi, ça m’est arrivé de voir des films et d’être tétanisé parce que cela me renvoyait à ma propre vie en tant que compagnon, père… et j’en suis sorti avec un malaise. Mais c’est aussi des choses qui m’ont fait réfléchir. La fiction est faite pour cela.

Bulles de Culture : Dans la saison 2, les Capucins sont vendus à un Émir. Avez-vous voulu aller plus loin à un moment et traiter de la place de l’Islam dans la société d’aujourd’hui, en France, la place qu’elle occupe par rapport au Christianisme ?

David Elkaïm : Ce n’est pas notre sujet premier , et ce n’est pas traité comme ça dans la saison 2. Il y a un accord en effet avec un Émir. Pour le coup, cela part d’un fait réel. Il s’agit d’un couvent qui a été vendu à un Émir dans le 8e arrondissement à Paris, et notre personnage d’Émir est avant tout un homme d’affaires, et même s’il est religieux culturellement, il est ouvert, on sent qu’il a une forme de sagesse.

Ça fait partie des sujets à cocher sur une liste que les gens voulaient que l’on aborde, mais c’est pareil, si on ne trouve pas le bon angle et si on raconte ce que nous raconte les infos de 20h, ça me pose un problème. Je n’ai pas de jugement là-dessus, mais ce n’est pas comme ça que je veux aborder la fiction ni les histoires. Si c’est pour plaquer un sujet sur mes personnages, je ne vois pas.

Vincent Poymiro : C’est pour cela que notre personnage de Guillaume (Clément Manuel) rencontre des hommes musulmans qui sont croyants, des ouvriers qui ne sont même pas Imam. Ils sont de la classe populaire, souvent eux-mêmes mal traités par l’institution, de même que l’Émir dans la saison 2 est du côté de la classe dominante.

Donc, la question de l’Islam n’est pas traitée, non. L’Émir est un homme riche qui a les moyens de prendre des positions économiques. Nos ouvriers, ce sont des gens qui sont de la classe populaire et qui ont besoin d’un lieu de culte privé. Et ce qui est important, c’est ce qu’il se passe avec Guillaume qui dépasse ses angoisses, ses craintes et même ses rivalités de boutique, pour être sensible à la détresse humaine et privée de ces gens de la classe populaire.

La question de l’Islam n’est qu’accessoire dans la série. Il se trouve qu’une grande partie de la classe populaire — pour des raisons qu’il faudrait historiciser — se trouve être en partie de culture musulmane. Mais évidemment, cela nous intéresse parce que la problématique d’un prêtre qui se retrouve devant ce choix de vendre ou pas le séminaire, cela pose des questions plus larges sur : qu’est-ce que c’est qu’une communauté ? Et Guillaume y répond de la manière la plus large et la surprenante : la communauté, c’est ceux qui ont besoin de nous tous, qu’ils soient riches, pauvres, noirs…

 

Denis Tison

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