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Célestine Sophie Wouters

Critique / “Célestine” (2023) de Sophie Wouters

Paru en Belgique et en Suisse chez 180° Editions en avril 2021, Célestine de Sophie Wouters, peintre belge, est aujourd’hui disponible en France aux Éditions Hervé Chopin. Le thème de prédilection de l’autrice, dans ses œuvres de collage, photographies ou autres techniques, concerne principalement l’être humain. C’est tout naturellement ce vers quoi tend son premier roman, court mais dense, où rayonne Célestine, volontaire, déterminée, au destin peu banal marqué par de tristes et violents évènements. La critique et l’avis sur le livre.

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Célestine : immersion en cour d’assises

Le 14 juillet 1956, quelque part en France, « parmi les coquelicots, sous un ciel sans nuage » naquît Célestine. Pour être honnête, il convient de préciser qu’à quelques mètres « la 2 CV de ses parents était en train de fumer contre un arbre … » et que c’est Bruno, le vétérinaire, qui pratiqua « une césarienne à cette pauv’ mère décédée ». Ainsi en à peine une page, Sophie Wouters, donne le ton de se que sera son roman, basculant entre beauté et noirceurs. Et dès la page deux, une demie en réalité, en septembre 1973, Célestine qui n’a rien à dire attend le délibéré de la Cour d’assises des mineurs.

Elle, qui dès sa naissance a rendu gaga la population du petit village qui l’accueillit dans l’Oise, « Ooh ! Mais elle est à bouffer », puis en communiante telle « un ange descendu du ciel », et  bien plus tard « sublime de beauté et de sensualité, elle était une offense pour les femmes et un supplice de Tantale pour les hommes ». Intelligente, dotée d’une force de caractère peu commune, Célestine est un des sujets favoris de conversation pour la population locale, déclenchant jalousies, médisances, mensonges, ragots, convoitises, concupiscence. Des bassesses qui finalement auraient pu se rencontrer dans n’importe quel autre village à cette époque. Indifférente, de marbre, Célestine demeure pure et entière.

Elle est recueillie et élevée par Berthe et Aristide, « bon gré, mais surtout mal gré », de lointains parents qui se sont toujours refusé à avoir des enfants. Entre une « femme opulente », pieuse à l’extrême, dévorée par la vie des têtes couronnées distillée dans son Point de vue hebdomadaire, et un mari effacé, taiseux, une véritable « larve », qui à la mort de son âne Gaspard se découvre une passion dévorante pour la bouteille de vin rouge, Célestine ne manquera de rien sauf de l‘essentiel ; l’amour maternel. Heureusement, la maison est dotée depuis avril 1956 de la télévision, source d’éveil et d’enrichissement, bien plus passionnante que le catéchisme ou la messe. Quelques années plus tard, face à l’écran Célestine rêve de devenir speakerine, telle Denise Fabre, s’exerce à faire bouger son nez comme La sorcière bien aimée et s’évertue à ne jamais faire défaut à La Séquence du Spectateur. Pour mieux séduire Adrien, son bien aimé si doux et si prévenant, prise au dépourvu elle lui déclare vouloir devenir journaliste. Ce ne sont que des projets, des songeries, ils sont si jeunes encore. Énamouré, ébahi par la beauté de sa dulcinée, le jeune ado est un étranger au bourg, mal accueilli comme sa famille, plus huppée, d’un autre monde. Arrivés en rachetant la demeure d’Albertine, vendue à son décès par son mari, pour passer des week-ends en un lieu apaisé, ces parisiens déplaisent fortement à tout le monde sauf à Célestine.

un livre qui peut se dévorer d’un trait

Reste à découvrir une galerie de personnages, plus vrais que nature ; Édith, Dora, Capucine, l’abbé Bourdin, et les seconds rôles tels Marcel le boucher, le « rondouillard Willy », Adolphe Lallemand, Gaston et Simone et tant d’autres encore. Chacun quelque soit son  importance, en quelques mots choisis, prend vie par une attitude, un trait de caractère, une réflexion, un métier, un lien de parenté. Et ainsi le village prend corps grâce à cette population banale, bien de son époque, corsetée dans des préjugés dévastateurs.

Sophie Wouters, par une écriture limpide, vive, mélange agréablement le présent de la Cour d’Assises pour mineurs aux dix sept années écoulées de Célestine. Elle n’hésite pas à déployer de belles descriptions de la nature, teintées de poésie pour mieux mettre en relief les épreuves de la vie subies par son héroïne. Par touches successives, légères, elle brosse de véritables tableaux, en clairs obscurs, dignes de la technique des collages ou de l’impressionnisme. Un livre qui peut se dévorer d’un trait comme l’indique Amélie Nothomb, en bandeau, mais qui s’apprécie aussi avec un rythme plus lent permettant de plus apprécier la délicatesse et la subtilité de l’auteure ainsi que la beauté des scènes et paysages décrits. Célestine marque durablement les esprits.

 

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