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Cinémondes 2023 / Les Filles de méduse, prix du jury presse documentaire

C’est le très sensible court-métrage Les filles de méduse de Bénédicte Alloing et Ellénore Lemattre qui a remporté le prix du jury presse au Festival Cinémondes 2023, qui s’est tenu à Berck-sur-mer du 11 au 15 octobre 2023. Le film documentaire traite du rôle des « poseuses » artistiques notamment dans la création picturale. Rencontre avec les deux réalisatrices qui reviennent sur ce premier court métrage en commun. 

Les filles de méduse : rencontre avec Bénédicte Alloing et Ellénore Lemattre

Bulles de Culture (BdC) : Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Bénédicte Alloing et Ellénore Lemattre : Bénédicte et moi-même, nous nous connaissons depuis longtemps et avons travaillé plusieurs fois ensemble sur des plateaux de théâtre, elle, en tant que vidéaste et moi en tant que comédienne ou co-metteuse en scène.

Nous posions également toutes deux en parallèle, et lors de nos conversations, nous éprouvions toujours la nécessité d’échanger sur cette activité si particulière qu’est le modèle vivant.

BdC : Quels sont les avantages d’une co-réalisation par rapport à une réalisation seule ?

Ellénore Lemattre: Pour ma part, comme il s’agit de ma première réalisation de film, je n’ai pas d’élément de comparaison mais j’ai toujours aimé travailler en collectif que ce soit dans mes expériences théâtrales ou burlesques.

N’ayant aucune expérience en tant que réalisatrice, il était évident pour moi de travailler avec une vidéaste confirmée car j’avais tout à apprendre et à découvrir.

Bénédicte a été modèle, elle aussi, et ayant plusieurs films à son actif en tant que réalisatrice, cadreuse ou monteuse, notre binôme était assez évident et a vraiment bien fonctionné. Nous continuons d’ailleurs à gérer le travail de diffusion ensemble.

Même si écrire à plusieurs mains peut parfois s’avérer compliqué, le fait d’être à deux (avec les regards exigeants et bienveillants de Thomas Dumont, notre producteur et de Ian Geay, notre aide à l’écriture) nous a permis de nous stimuler et de nous questionner plus avant sur ce que nous voulions raconter du modèle vivant.

Si l’on sait s’accorder, c’est toujours plus confortable et très excitant d’être plusieurs à porter et défendre un projet.

Évidemment, lors du tournage, c’était encore plus évident puisque j’étais quasiment tout le temps devant et non pas derrière la caméra. Chacune était à sa tâche et nous avons suivi scrupuleusement le scénario tel que nous l’avions co-écrit.

Au-delà de notre binôme, nous avons eu la chance de vivre une vraie complicité avec notre – toute petite – équipe : Lucie Legros, la cheffe opératrice, Sébastien Cabour, le chef son et Marie Cordenier, la monteuse.

Cette cohésion a vraiment beaucoup apporté au film.

Bénédicte Alloing : Je crois que je n’ai jamais travaillé seule ! Ou seulement sur des projets de commande, assez courts. Au théâtre, le travail en équipe est systématique et les précédents films que j’avais réalisés, étaient aussi des co-réalisations. Avec Ellénore, comme avec les autres réalisateurs avec qui j’ai pu travailler, j’apprécie nos différences de parcours et la complémentarité que cela amène. Réaliser Les filles de Méduse nous a pris 5 ans. Être 2 nous a aussi aidé à dépasser la lassitude et le découragement qu’on peut éprouver dans ces projets au long cours.

nous avons été marquées et inspirées par la pertinence et la justesse du roman de Claire de Colombel, Les yeux nus.

BdC : Connaissiez-vous d’autres œuvres audiovisuelles sur les modèles qui ont pu vous servir d’inspiration ?

Bénédicte Alloing et Ellénore Lemattre : Nous avons fait quelques recherches évidemment et mis à part deux documentaires intéressants réalisés par deux modèles, Mise à nu – Le Modèle et son artiste, réalisé en 2014 par Corinne Espagno et Le modèle vivant déplié réalisé en 2017 par Maria Clark, nous avons trouvé peu de films où les modèles ne sont pas les personnages secondaires dans l’ombre de l’Artiste.

Il y a beaucoup de films où apparaissent des modèles, mais leur représentation, très souvent bohème et hyper esthétisée, voire érotisée, ne correspond généralement pas à notre expérience du métier.

On peut dire que certains de ces films nous ont plutôt servi de contre-exemples.

D’autre part, nous avons lu pas mal d’ouvrages où apparaissent des modèles et nous avons été marquées et inspirées par la pertinence et la justesse du roman de Claire de Colombel, Les yeux nus.

Il s’agissait, enfin, d’un texte qui collait de près et résonnait avec notre expérience de la pose, quand dans beaucoup œuvres, le modèle vivant semble davantage une toile de fond idéale où projeter des fantasmes.

Il est évident que ce n’était pas vers cela que nous avions envie d’aller.

Nous sommes, à la fois, chorégraphes, metteurs en scène, acteurs, assistant.e.s et sujets d’étude

BdC : Que représente un modèle selon vous et quel est son rôle dans le processus créatif ?

Bénédicte Alloing et Ellénore Lemattre : Modèles, nous posons pour être représenté.e.s et qu’à partir de nous naissent des images, des œuvres d’art.

C’est une des dernières phrases du film.

Si cela résume notre activité, il n’en demeure pas moins que le panel d’ateliers et de cours où peut poser un modèle est large et l’exercice de la pose peut s’y révéler très différent.

Nous posons pour du dessin, de la peinture, du modelage.

Dans des écoles d’abord, dans le cadre de l’apprentissage du dessin, que ce soit du dessin d’observation, de l’anatomie, de la morphologie ou de l’histoire de l’art. Souvent, on y enchaîne des poses rapides qui correspondent davantage aux exercices dispensés par les personnes qui enseignent.

Dans des ateliers “du soir” également, pour du dessin-loisir.

Et enfin chez des particuliers, des artistes.

Les poses peuvent aller de 5 secondes à plus d’une heure.

Être modèle consiste à courir d’un atelier à un autre, à être à l’écoute des personnes pour qui l’on pose pour s’adapter à leurs attentes, aux exercices ou aux indications parfois très différentes qu’elles nous donnent.

Il faut donc être souple, imaginer, essayer de comprendre la pédagogie d’un.e professeure, le projet artistique d’un.e artiste, l’énergie d’un groupe. C’est à la fois stimulant et très créatif.

Parfois, lorsque nous posons pour un.e artiste, nous prenons également part au travail de création de l’œuvre. Nous collaborons alors complètement. Nous œuvrons.

Et contrairement aux idées reçues, la plupart du temps, c’est le modèle qui choisit ses poses. Nous sommes, à la fois, chorégraphes, metteurs en scène, acteurs, assistant.e.s et sujets d’étude.

Poser nécessite par ailleurs beaucoup d’imagination et de résistance, car c’est douloureux de s’immobiliser. Il faut aussi de la patience et savoir nourrir son “univers intérieur”, car le temps est incroyablement long lorsque l’on pose…

Il nous importait, dans Les filles de Méduse, de rendre compte de cette réalité documentaire

BdC : Quelles ont été vos réflexions sur le plan de la mise en scène pour permettre de sublimer le corps du modèle ?

Bénédicte Alloing et Ellénore Lemattre : Contrairement aux films que nous évoquions précédemment, où LA modèle est mise en scène, posant de manière lascive, érotisée, dans un décor baroque ou bohème, la réalité est que dans la plupart des ateliers de modèle vivant, le corps du modèle n’est pas particulièrement mis en valeur.

L’éclairage et le décor y sont plutôt bruts, voire franchement moches, et nous posons souvent sur des sellettes de fortune lorsqu’il ne s’agit pas d’un simple tapis de gym posé à même le sol.

Il nous importait, dans Les filles de Méduse, de rendre compte de cette réalité documentaire sans pour autant filmer le corps de manière trop brutale ou trop crue.

Le traitement de la nudité devait être subtil, car on le souhaitait à la fois frontal et délicat.

Il fallait réussir à retranscrire la particularité du regard que portent celles et ceux qui représentent nos corps nus suspendus dans la pose.

Le travail de la cheffe opératrice ainsi que de l’étalonneur, François Engrand, ont été déterminants. Ils ont réussi à saisir les corps des modèles dans la réalité très basique de l’atelier et la trivialité de la pose tout en les faisant glisser vers des séquences plus oniriques et beaucoup plus esthétisées.

Filmer les œuvres, le marbre des statues nous a permis aussi de passer du corps au travail au corps sublimé, de faire naître des échos, des correspondances entre l’œuvre et le vivant et de circuler de l’extériorité à l’intériorité du modèle.

BdC : Quelles ont été les conditions de tournage pour la dernière scène collective ?

Bénédicte Alloing et Eléonore Lemattre : Cette séquence finale qui était importante à nos yeux a été, jusqu’au dernier moment, pleine de suspens.

Nous avons eu de très bonnes relations avec le Palais des Beaux-Arts de Lille qui était enthousiaste à l’idée de ce tournage, mais les conditions covid, puisque c’était en mai 2021, nous ont tenues dans l’incertitude jusqu’à l’avant-veille du tournage, car nous ne savions pas si les musées allaient rouvrir à temps. Au cas échéant, nous n’aurions pu tourner qu’avec 6 personnes à distance respectable les unes des autres. Ce qui aurait rendu la scène nettement moins puissante.

Heureusement, la réouverture a été annoncée.

Il a fallu, par ailleurs, solliciter beaucoup de nos ami.e.s et connaissances qui sont venues participer et nous aider bénévolement au tournage de cette scène : les modèles bien sûr, les techniciens venus en renfort, une chorégraphe qui a orchestré les mouvements des modèles, un dessinateur de plateau, des régisseuses…

Tout avait été organisé minutieusement auparavant, d’autant qu’il fallait respecter beaucoup de précautions liées au covid, et tout le monde était très engagé et très concentré.

C’était une journée assez incroyable, un moment très fort dans notre expérience personnelle, mais aussi symboliquement avec tous ces modèles investissant l’atrium de ce grand musée.

Nous avons beaucoup apprécié travailler ensemble et entretenons l’envie de réaliser un nouveau court métrage

BdC : Ce court métrage est-il le tremplin pour se lancer ensemble dans un long ou continuez-vous à travailler sur des courts métrages ? Ensemble ou séparément ?

Bénédicte Alloing et Ellénore Lemattre : Nous avons beaucoup apprécié travailler ensemble et entretenons l’envie de réaliser un nouveau court métrage, une fiction de genre (féministe de zombies…).

En attendant, Ellénore pose toujours tout en travaillant de plus en plus pour la photographie (photographie d’œuvres d’art et concerts punks) et Bénédicte continue de travailler pour des compagnies de théâtre tout en commençant l’écriture d’un nouveau documentaire.

En savoir plus :

Antoine Corte

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