Metteur en scène et compositeur prolifique, Roland Auzet est reconnu pour sa capacité à fusionner le théâtre et la musique dans des créations puissantes et innovantes. Parmi ses œuvres récentes les plus marquantes figurent Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, Nous l’Europe, banquet des peuples de Laurent Gaudé ou Adieu la mélancolie d’après Luo Ying. Depuis la rentrée, il met en scène Le Mage du Kremlin à la Scala de Paris. Rencontre avec l’artiste.
Rencontre avec Roland Auzet
Bulles de Culture : Ce n’est pas la première fois que vos spectacles traitent de l’histoire contemporaine. Pourquoi cette thématique vous intéresse-t-elle tant ?
Roland Auzet : Vous avez raison. J’ai travaillé sur des sujets comme l’Europe, la Chine, la Russie, et bientôt les États-Unis. Les poètes ont toujours raconté le monde, mais aujourd’hui, ce rôle est souvent pris par les médias en temps réel. Je pense que les artistes, comme Giuliano da Empoli ou Laurent Gaudé, ont la capacité unique de raconter le monde autrement. Mon travail, en tant que metteur en scène, est d’amplifier ces voix et de permettre aux spectateurs de s’interroger sur le monde qui les entoure.
Bulles de Culture : Vous avez beaucoup travaillé sur des adaptations d’œuvres littéraires. Qu’est-ce que vous aimé dans le fait de transformer un texte en œuvre théâtrale ?
Roland Auzet : L’adaptation, c’est comme tomber amoureux. C’est un processus de dialogue, mais aussi de rupture avec l’auteur. On commence par s’approprier ses mots, puis on s’en éloigne pour créer quelque chose de nouveau sur scène. C’est un peu comme un musicien qui utilise le “sampling” pour réinventer une œuvre à partir d’un fragment. Le théâtre permet de prolonger et de transformer un texte littéraire en une expérience vivante.
Bulles de Culture : Cette adaptation de Le Mage du Kremlin résonne particulièrement avec l’actualité, notamment avec la guerre en Ukraine que vous évoquez. Le livre de Giuliano da Empoli a pourtant été écrit avant cet évènement. Pourquoi avoir choisi d’intégrer ces éléments contemporains à la pièce ?
Roland Auzet : L’actualité a naturellement influencé la pièce. Dans l’adaptation, nous avons inclus des éléments comme les milices d’Alexandre Zaldostanov, la mort Alexeï Navalny, qui ne sont pas dans le roman original. C’est la beauté du théâtre : on peut faire évoluer le texte et y intégrer des échos du présent, continuant ainsi la réflexion amorcée par l’auteur.
Bulles de Culture : Le spectacle semble aussi offrir une analyse profonde sur le pouvoir et la manipulation. Est-ce un avertissement sur les dérives totalitaires de façon universelle ?
Roland Auzet : Absolument. L’histoire du Mage du Kremlin montre comment quelques individus peuvent prendre le contrôle d’un pays et manipuler la réalité. Cela pourrait résonner avec d’autres contextes, pas seulement en Russie. Nous pourrions voir ce schéma se reproduire ailleurs. Il y a une sorte de mise en garde sur la fragilité des démocraties et la facilité avec laquelle elles peuvent basculer.
Bulles de Culture : Comme le roman, la pièce mélange fiction et réalité en introduisant un personnage fictif, Vadim Baranov, inspiré de Vladislav Sourkov, bras droit de Poutine. Pourquoi ce choix ?
Roland Auzet : Pour interroger l’histoire, il faut un “véhicule fictionnel”. Vadim Baranov est ce véhicule qui nous permet de révéler certaines vérités sur le pouvoir russe tout en gardant une certaine distance. En tant que metteur en scène, ce mélange de réalité et de fiction est un outil dramatique puissant pour provoquer des réflexions chez le public.
Bulles de Culture : Dans votre mise en scène, vous avez choisi de jouer avec le temps en commençant l’histoire à l’époque actuelle et en utilisant des flashbacks. Pourquoi cette structure narrative ?
Roland Auzet : Oui, nous avons opté pour cette structure pour ancrer l’histoire dans le présent, puis revenir en arrière pour comprendre comment nous en sommes arrivés là. Cela permet au public de suivre l’évolution des personnages, notamment Baranov, et de comprendre les enjeux qui les ont façonnés. Cela donne aussi un rythme dynamique à la pièce, qui se termine là où elle a commencé, créant ainsi une boucle narrative.
En savoir plus :
Le Mage du Kremlin
Jusqu’au 3 novembre à la Scala Paris
De Giuliano Da Empoli
Adaptation Roland Auzet
Mise en scène Roland Auzet
Avec Hervé Pierre (Sociétaire de la Comédie-Française), Karina Beuthe Orr, Philippe Girard, Andranic Manet, Stanislas Roquette, Claire Sermonne, Irène Ranson Terestchenko
Assistanat à la mise en scène Pauline Cayatte