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Critique / “Par-delà l’oubli” (2023) d’Aurélien Cressely

Aurélien Cressely avec Par-delà l’oubli, paru chez Gallimard en aout 2023, fait émerger le souvenir d’un homme oublié ou méconnu, au parcours pourtant si dense et si important pour la culture française. Un nom célèbre, Blum, dont seul l’Histoire a retenu Léon, l’homme du Front populaire, l’ainé d’une fratrie de cinq garçons dont le benjamin René retrouve une mise en valeur légitime, lui l’homme à la vie très romanesque dédiée aux arts. La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Aurélien Cressely a réussi à s’approprier le quotidien de ces hommes déchus

Alternant entre deux fils narratifs, entremêlés avec subtilité, celui des camps de détention en France et celui de l’ascension vers la célébrité dans le monde des arts, l’auteur réussit à redonner corps à un homme passionné.

Par-delà l’oubli débute le 2 décembre 1941 où en représailles à divers attentats anti- allemands, 743 juifs français sont arrêtés dont René Blum âgé de soixante-trois ans. Tous sont des notables à un titre ou un autre et plus de la moitié sont d’anciens combattants. Pour atteindre le chiffre de mille tel qu’exigé par Otto von Stülpnagel, trois cent juifs détenus au camp de Drancy, majoritairement de nationalité étrangère, seront adjoints aux victimes de la rafle.

Du manège de l’École militaire, jusqu’à la déportation de l’essentiel des raflés le 27 mars 1942 vers Auschwitz, le parcours de camp en camp est un long chemin de tortures morales, de violences, d’absence de nourriture, de maladies diverses et variées, du pullulement de puces ou punaises, une véritable antichambre de la mort. Du camp de Royallieu à Compiègne sous gestion nazie, au camp d’internement de Drancy puis celui de Pithiviers, ou le camp d’internement et de transit de Beaune-la-Rolande, Par-delà l’oubli restitue des lieux que tant de personnes eurent à connaitre, où certains moururent littéralement de faim, d’autres de maladies, et d’où nombreux furent ceux expédiés vers des camps d’extermination ou de concentration.

Certains réussirent à créer de la solidarité, à ériger des règles d’humanité, et d’autres proposèrent des conférences sur la poésie par exemple, véritable instant d’évasion, si fugace. Entre pleurs, peurs, doutes, angoisses, déclin physique accéléré pour les plus faibles, les plus âgés, Aurélien Cressely a réussi à s’approprier le quotidien de ces hommes déchus, avec des mots sélectionnés, sans aucun pathos, avec plein de retenue. Ce fil narratif est très émouvant, le lecteur partageant les souvenirs, les joies, les regrets, les succès, à jamais ancrés dans la mémoire des prisonniers, ainsi que les manipulations abjectes dont ils firent l’objet sur d’éventuelles libérations.

les facettes marquantes de la vie de René Blum

Le second axe narratif de Par-delà l’oubli, basé sur quelques facettes marquantes de la vie de René Blum, permet de mieux appréhender le parcours exceptionnel « d’un homme bon, d’un homme d’art et de culture, d’un homme bienveillant, d’un homme intègre, d’un homme au destin tragique ».

En 1893, première date retenue dans la vie de René Blum, c’est le théâtre qui le séduit immédiatement, véritable point de départ d’un long investissement dans le monde des arts. Touche à tout, successivement journaliste, critique d’art, directeur de théâtre, puis propriétaire et directeur de la Compagnie des Ballets de Monte-Carlo, René Blum, au carnet d’adresses hors norme, fut également celui qui aida à l’édition Du côté de chez Swann de son ami Marcel Proust chez Grasset, puis l’arbitre de la querelle entre ce même éditeur et Gallimard. Pour les décors de ses spectacles il recourut aux services de jeunes peintres en devenir, soutint autant qu’il le put Vuillard et Bonnard, admira profondément Matisse.

Amoureux fou des livres, à défaut de réussite dans l’édition, il sut se constituer l’une des plus belles bibliothèques de Paris, démantelée pour survivre en temps de guerre et pour faire face aux lourds engagements financiers contractés pour faire vivre arts et artistes. Il fut aussi le précurseur des ciné-clubs. Une vie d’esthète dédiée à autrui au détriment d’une vie familiale apaisée, éloigné de son épouse et de son fils délaissé aux motifs d’investissement professionnel.

Toujours en mouvement, un projet en cachant un autre, René Blum est un homme incontournable de la culture française des années 1900 à 1940. En aucun cas biographie ou livre historique, Par-delà l’oubli, basé sur des faits réels, solidement documenté, enrichi par la créativité du primo romancier, dessine le portrait d’un homme attachant, plein de dignité.

Notre avis ?

Un roman bref allant à l’essentiel, des phrases courtes et ciselées, une écriture épurée et soignée, font penser à Patrick Modiano ou Marie-Hélène Lafon. Un travail plein de profondeur et de respect pour que Par-delà l’oubli jaillisse René Blum, ainsi que le souvenir de certaines  personnes influentes qui partagèrent sa captivité. Aurélien Cressely ; un nom à retenir après ce brillant premier roman.

En savoir plus :

  • Par-delà l’oubli, Aurélien Cressely, Gallimard, aout 2023, 168 pages, 18,50 euros
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