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Angoulême 2024 / “L’histoire de Souleymane” : Rencontre avec Boris Lojkine et Abou Sangare, au cœur de la lutte pour l’asile

Présenté au Festival du Film Francophone 2024 dans la catégorie “Les Flamboyants”, L’histoire de Souleymane est le dernier film du réalisateur Boris Lojkine (Hope, Camille). En marge de la projection du film, rencontre avec le cinéaste accompagné de l’acteur principal du film, Abou Sangare. 

Ce drame intense suit Souleymane, un jeune Guinéen sans papiers qui travaille comme livreur à vélo dans les rues de Paris. Dans deux jours, il doit passer un entretien crucial pour obtenir l’asile, un moment déterminant qui pourrait changer sa vie.

Construit comme un thriller social, le film explore la précarité et les dilemmes moraux des migrants sans papiers en France. À travers une mise en scène immersive et une attention portée aux détails documentaires, Boris Lojkine offre une immersion totale dans la triste réalité des livreurs à vélo où la survie passe parfois par le mensonge. Pour incarner Souleymane, le réalisateur a choisi Abou Sangare, un jeune Guinéen repéré lors d’un casting sauvage, dont la présence magnétique et le jeu intense portent le film.

Interview avec Boris Lojkine et Abou Sangare : “Je trouve que parler de soi, ce n’est pas intéressant”

Bulles de Culture : On sent dans vos films, Boris, un intérêt profond pour des personnages que l’on voit peu ou qu’on préfère ne pas voir. Est-ce cette volonté de mettre en lumière ces personnes qui motive votre cinéma ?

Boris Lojkine : Je crois qu’on peut dire ça. Dans tous mes films, il y a une envie de décentrement, de sortir de soi-même. Je trouve que parler de soi, ce n’est pas intéressant. Ce qui m’intéresse, c’est d’aller vers les autres et de raconter des vies différentes de la mienne, comme le dit Emmanuel Carrère dans “D’autres vies que la mienne“. Quand je me lance dans un projet, j’ai souvent l’impression que je vais mettre ma voix au service de quelqu’un d’autre, d’un groupe, d’une communauté. Être le porte-voix de ceux qui ne peuvent pas se raconter eux-mêmes, c’est ça qui me motive.

Bulles de Culture : Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Abou Sangare et comment il est devenu Souleymane ?

Boris Lojkine : Quand le scénario était terminé et que nous avons commencé la production, nous avons lancé un grand casting. Pour moi, c’était clair dès le départ que ce serait un casting de non-professionnels, un casting sauvage, car je cherchais un jeune Guinéen fraîchement arrivé en France. Je ne cherchais pas quelqu’un qui était d’originaire de France pour la simple raison que je voulais de l’authenticité dans la manière de parler, de bouger. Avec Aline Dalbis, ma directrice de casting talentueuse qui fait beaucoup de castings sauvages, nous avons commencé à chercher dans les rues de Paris, là où les livreurs guinéens se rassemblent.

Nous en avons rencontré des dizaines, voire des centaines. Puis, un jour, nous sommes allés à Amiens dans une petite association qui avait réuni pour nous 25 jeunes Guinéens. Parmi eux, il y avait Abou. Il a posé beaucoup de questions pour comprendre ce que ça impliquait de tourner avec nous, s’il y avait des dangers pour sa situation en France, ce qu’ils avaient à y gagner. C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés.

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Bulles de Culture : Abou, qu’avez-vous ressenti lorsque Boris est venu vous chercher pour ce film ?

Abou Sangare : Pour moi, c’est comme un destin. Quand je suis arrivé à l’association et que j’ai vu Boris et Aline, j’ai ressenti quelque chose qui me disait : “Pose des questions, renseigne-toi, ça pourrait être une bonne chose pour toi.” J’ai enchaîné les questions pour savoir comment ça allait se passer, s’il y avait des risques, comme Boris vient de le dire. Être choisi parmi les 25 jeunes, ça m’a surpris. Mais j’ai tout de suite senti qu’il y avait quelque chose d’important à vivre.

Boris Lojkine : Je tiens à préciser que tu n’as pas été choisi parmi les 25 jeunes, mais parmi 200, 300 personnes qu’on a vues.

Les détails sont essentiels lorsqu’on écrit un scénario

Bulles de Culture : Boris, vous avez mentionné Aline Dalbis, qui a aussi un parcours de documentariste. Comment avez-vous abordé cette dimension documentaire pour le film ?

Boris Lojkine : Avec Aline, nous avons commencé par ce que j’appelle des “repérages d’écriture”. On a voulu faire un travail d’enquête documentaire dès le début. Nous savions que nous allions parler des livreurs africains sans papiers à Paris, mais nous ne connaissions pas vraiment cette communauté. Nous sommes donc partis à leur rencontre dans les rues de Paris. Beaucoup étaient méfiants, d’autres ont accepté de nous parler et ont partagé leurs histoires.

Les détails sont essentiels lorsqu’on écrit un scénario. Ce sont eux qui donnent de la véracité à un récit, des éléments qu’on ne peut pas inventer. Les livreurs que nous avons rencontrés nous ont raconté comment ils ont commencé à travailler pour les applications de livraison, les problèmes qu’ils rencontraient avec ces plateformes, et comment, faute de papiers, ils devaient souvent louer le compte de quelqu’un d’autre pour pouvoir travailler. Ils nous ont aussi parlé de leurs mésaventures, comme se faire voler leur vélo, et de leurs difficultés à trouver un logement, que ce soit en cherchant leur première chambre ou en dormant dans des centres d’hébergement d’urgence. Toutes ces histoires, ces détails de leur quotidien, ont constitué une matière documentaire précieuse à partir de laquelle j’ai construit le scénario du film.

Bulles de Culture : Abou, en tant que non-comédien, comment avez-vous abordé le scénario, notamment les scènes avec beaucoup de dialogues, comme la scène finale ?

Abou Sangare : C’est vrai que c’était intimidant, surtout quand on n’a pas l’habitude. Mais j’ai ressenti une connexion forte avec le personnage de Souleymane. Il y a des similarités entre nous, même si nous avons suivi des parcours administratifs différents.

Boris Lojkine : Oui, il y avait deux défis dans cette scène finale. D’une part, c’était une scène très longue, de 20 pages dans le scénario. Mais ce qui inquiétait surtout Abou, c’était la partie plus émotionnelle, où son personnage parle de choses personnelles, qui résonnaient aussi avec sa propre histoire. C’était un véritable enjeu de rendre cette scène authentique.

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Bulles de Culture : Pourquoi avoir fait de Souleymane un personnage qui ment sur son parcours de vie auprès de l’administration française ?

Boris Lojkine : Un menteur est un personnage bien plus intéressant qu’une personne qui dit toujours la vérité. Un personnage qui incarne “le bon migrant”, droit et moralement parfait, n’est pas très captivant d’un point de vue narratif. En revanche, un personnage qui a un secret, qui doit mentir, et qui risque à tout moment d’être découvert, suscite plus de tension et d’intérêt.

Ce qui m’intéresse, c’est de laisser le spectateur face à des questions sans réponses évidentes. Si on présente un personnage qui correspond à l’image du “bon migrant”, on guide le spectateur exactement là où il est supposé aller, sans aucune surprise. Mais si on montre quelqu’un qui semble sympathique, mais qui, en même temps, ment pour obtenir des papiers, cela force le spectateur à réfléchir. Est-ce bien ou mal de mentir dans ce contexte ? À la fin, le spectateur doit se poser ces questions : “Souleymane mérite-t-il d’avoir des papiers ?

J’aime l’idée que le film ne transmette pas un message unique et clair – d’ailleurs, je ne sais pas quel serait ce message. Je préfère que le film laisse le spectateur avec des interrogations, pour qu’il puisse continuer à réfléchir et à se questionner.

C’est cette capacité à retrouver une forme d’étonnement devant une ville que l’on pense connaître par cœur (…) qui me fascine.

Bulles de Culture : Après avoir tourné vos précédents films à l’étranger, qu’est-ce que ça fait de tourner dans le “jungle” parisienne ?

Boris Lojkine : Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce film, je me suis dit que tourner à Paris serait beaucoup plus facile que pour mon précédent film, qui avait été réalisé à Bangui, en République centrafricaine, une ville au bord de la guerre civile où le danger était omniprésent. Mais finalement, ça n’a pas du tout été le cas. Tourner à Paris s’est avéré très intense, notamment en raison de la nature du film. On est constamment dans la rue, plongés dans le chaos de la ville, au milieu de la circulation, des transports, de la foule qui se déplace. Non seulement nous n’avons pas évité ce chaos, mais nous l’avons même recherché. Mon ingénieur du son m’a maudit de nombreuses fois parce que je voulais qu’on se positionne toujours là où il y avait le plus de monde, pour capter cette énergie brute de la ville. C’était un défi personnel pour moi, car c’était mon premier film tourné chez moi, à Paris, dans les quartiers que je connais bien et que je fréquente souvent.

Quand on pense à un film parisien, on imagine des scènes dans des cafés où des personnages parlent d’amour. Dans L’histoire de Souleymane, il n’y a pas de scène dans un café. Pourquoi ? Parce qu’un livreur qui veut boire un café ne va pas au café, il va au McDonald’s. Moi, jamais je ne prendrais un café là-bas. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter la géographie de la ville non pas à travers mon regard, mais à travers le leur. Tout à coup, un policier que l’on croise dans la rue devient une menace, et la foule autour peut sembler hostile ou indifférente, mais en tout cas, pas familière. C’est cette capacité à retrouver une forme d’étonnement devant une ville que l’on pense connaître par cœur et à décentrer notre regard, même quand on filme chez soi, qui me fascine.

En savoir plus :

  • Date de sortie France : 09/10/2024
  • Distribution France : Pyramide Films
Antoine Corte
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