Sur Bulles de Culture, art, cinéma, littérature, musique, spectacles, télévision... chaque jour, la culture sort de sa bulle.
Jours à Leontica critique avis livre

Critique / « Jours à Leontica » (2021) de Fabio Andina

Originaire de Lugano, dans le canton italophone suisse, Fabio Andina, après des études de cinéma à San Francisco, partage désormais son temps entre Madonna del Piano et Leontica, communes proches dans sa région natale, les Alpes tessinoises. Jours à Leontica, édité chez Zoé, est la première incursion littéraire sur le territoire français de cet auteur. La critique du livre.

Cet article vous est proposé par un rédacteur-invité, le chroniqueur Chris L..

Jours à Leontica : plein de charme, de sensibilité

C’est une histoire de montagnes resplendissantes, de montagnards pugnaces et taiseux, ainsi que celle de villageois, entre un automne finissant et un hiver naissant. Leontica subit pluie, neige, gel et vent et resplendit sous le soleil. La beauté éclatante du Val Blenio est accessible à celui qui sait regarder, écouter, prendre son temps. Tel est le cas du Felice, qui depuis nonante années, foule ces terres. En étant accepté par cet homme, le narrateur, chômeur, de retour à Leontica qu’il a connu dans son enfance, va découvrir, apprendre, et apprécier un rythme de vie exigeant, rempli de simplicité. Ils vont marcher dans les montagnes, les forêts, rencontrer le Vieux Mélèze « un arbre séculaire et solitaire ». Chaque journée, nus comme des vers, ils vont se baigner et se laver dans la gouille (la mare). Leurs rencontres sont émaillées de longs silences, de la contemplation des paysages, de partages de repas frugaux et d’infusions, faits de ce que la nature donne où que le voisin a apporté ou troqué.

Le Felice, est un homme solitaire, qui parle peu et qui ne se confie guère. Seuls quelques souvenirs sont divulgués au détour d’une phrase. Survivant avec sa sœur d’une famille de six enfants, il ne demande rien, vit de peu, uniquement de l’essentiel. Végétarien, il entretient une forme exceptionnelle par de longues marches, depuis le matin avant que le soleil ne se lève jusqu’après le repas du soir. Il enrichit scrupuleusement son compost, gère ses réserves alimentaires dans sa cave ou sur son rebord de fenêtre. Armé d’un parapluie, toujours vêtu d’une chemise déboutonnée et d’un short, pieds nus, tant que les températures demeurent positives, même faiblement, les chaussures ne lui deviennent indispensables qu’avec l’apparition de la neige ou des températures très froides. De temps à autre il utilise sa vieille Suzuki, qui démarre lorsqu’elle le veut. À défaut il faut la pousser, ou la stationner en descente. Lors des fortes chutes de neige, il faut déblayer les chemins et les routes. Il faut scier, stocker les bûches, pour que la Sarina puisse réchauffer la baita (chalet d’alpage) et servir de cuisinière. Les journées se succèdent, se ressemblent. La même quiétude, les mêmes efforts, le même bien être se renouvellent quotidiennement.

Le Felice, connu de tous dans le village, vit dans sa baita familiale, au confort très spartiate. De nombreuses habitations ont été reconverties en résidence secondaire, ou en locations estivales. Leontica grouille de personnes déjà avancées en âge mais toujours  alertes et autonomes. Et il y a ceux qui travaillent et qui se retrouvent au bistro, lieu incontournable du village. Les échanges verbaux sont rares, un geste de la tête suffit pour se dire bonjour accompagné d’un ou deux mots éventuellement. Il peut y avoir des divergences, des railleries, mais cela ne va jamais bien loin. La solidarité est permanente, discrète et naturelle, nul besoin de la solliciter. Le rythme de vie à Leontica semble immuable. Le narrateur croise des femmes et hommes confrontés à la nature, aux gestes ancestraux inlassablement réitérés, qui sous la plume de Fabio Andina ont des visages, des âmes, des attitudes. Ils additionnent leurs solitudes, leurs malheurs vécus, jamais exposés.

Une écriture sobre met en valeur le temps qui s’écoule lentement, des vies simples et difficiles qui s’accordent au milieu des montagnes « d‘une blancheur douce et silencieuse ». Une traduction de qualité d’Anita Rochdy, parsemée de dialecte local, rend Jours à Leontica plein de charme, de sensibilité, avec un Felice solaire, franc du collier, plein de mansuétude, qui vit paisiblement, en totale harmonie avec la nature.

En savoir plus :

  • Jours à Leontica , Fabio Andina, Editions Zoé, avril 2021, 256 pages, 12,99 euros
Bulles de Culture - Les rédacteur.rice.s invité.e.s