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Critique & Interviews / “Elles… les filles du Plessis” (2016) de Bénédicte Delmas

Dernière mise à jour : avril 4th, 2020 at 04:56 pm

Pour la journée de la femme du 8 mars 2016, France 3 diffuse Elles… les filles du Plessis de Bénédicte Delmas. L’avis et la critique de Bulles de Culture sur cette histoire édifiante d’un foyer d’accueil pour mineures enceintes ainsi que notre rencontre avec la réalisatrice et trois des comédiennes principales du film (Noémie Merlant, Roxane Bret, Camille Aguilar), rencontrées au Festival des Créations Télévisuelles de Luchon 2016 où le film a été primé.

Synopsis :

Dans les années 1970, la pension du Plessis accueille des jeunes filles enceintes. Qu’importe que l’enfant que portent ces mineures soit le fruit de l’amour ou du viol, au sein de cette institution, un seul mot d’ordre : remettre ces filles dans le droit chemin que cet accident leur a fait quitter. La directrice mène son institution avec rigueur. Mais, le jour où la révolte gronde, l’institution vacille…

Elles… les filles du Plessis : une histoire édifiante

Alors que mai 68 a soufflé sur Paris et que le Manifeste des 343 pour l’avortement sera bientôt publié dans le magazine Le Nouvel Observateur, le reste de la France comme le Nord-Pas-de-Calais reste encore engoncé dans ses vieilles traditions où des filles mineures et enceintes sont mises à l’index par la société alors qu’elles l’ont pu être aussi bien par accident qu’après un viol ou un inceste. C’est en découvrant cette histoire dans une biographie sur la philosophe et romancière Simone de Beauvoir que la réalisatrice Bénédicte Delmas a eu envie de faire le film Elles… les filles du Plessis, qui résonnait en elle.

Bénédicte Delmas : “Dans une biographie sur Simone de Beauvoir, il y avait 4 lignes sur l’occupation par le MLF [NDLR : Mouvement de libération des femmes] d’un foyer d’accueil pour mineures enceintes où avait eu lieu une grève de la faim. C’était en 71 et donc ma mère était enceinte de moi à l’époque. Elle n’était pas du tout dans cette configuration-là mais du coup, ça me rapprochait.
J’ai rencontré la biographe Claudine Monteil et elle m’a orienté vers les centres audiovisuels Simone de Beauvoir où j’ai pu avoir accès à peu de documents car il y a eu peu de presse là-dessus. Mais j’ai fini par rencontrer la surveillante du foyer qui est jouée par Blandine Bellavoir dans le film. Elle avait à l’époque 23 ans, elle venait de faire connaissance avec le MLF et elle a vraiment joué le rôle d’interface entre l’extérieur du foyer et les gamines qui étaient à l’intérieur”.

Un téléfilm important

Elles… les filles du Plessis était un téléfilm important pour la réalisatrice et il lui a fallu dix ans pour pouvoir le réaliser grâce à l’acharnement de son producteur, David Kodsi (K’IEN Productions). Inspirée par ces faits réels, les scénaristes Bénédicte Delmas et Sylvie Granotier ont construit leur histoire en opposant la société progressiste, représentée par le MLF, et la société conservatrice, symbolisée par une directrice interprétée par Sandrine Bonnaire, puis en portant une attention particulière à représenter chaque fille susceptible d’être envoyer à l’époque dans une telle institution.

Bénédicte Delmas : “Pour les personnages du foyer, il fallait qu’elles soient complémentaires, qu’elles aient à chaque fois des origines différentes, des parcours différents pour qu’elles puissent dépasser leurs différences et se rejoindre dans ce combat commun. Donc c’était intéressant d’avoir une jeune fille de bonne famille [NDLR : le personnage de Marie-France interprétée par Roxane Bret] qui n’étaient a priori pas à sa place dans un endroit comme ça, une gamine issue de l’immigration [NDLR : le personnage de Jacqueline interprétée par Camille Aguilar] portée par une famille aimante qui a un vrai désir d’intégration et de ne pas faire de vagues, un personnage rebelle [NDLR : le personnage de Brigitte interprété par Noëmie Merlant], c’est-à-dire qui a manqué d’amour et qui est rebelle à tout ce qu’on peut lui proposer. Et comme l’inceste était une vraie réalité, j’avais aussi envie d’avoir un personnage [NDLR : le personnage de Claude interprété par Nastasia Caruge] qui porte ce drame-là et…
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.. qui est la part sacrifiée pour permettre aux autres d’avancer.
 Il fallait qu’elles se complètent et qu’elles portent des choses différentes”.
Et dès le départ, Elles… les filles du Plessis prend le parti de rappeler les conditions des femmes de ces années-là : entre la violence psychologique que subit Jacqueline au commissariat et au tribunal après avoir dénoncé son violeur, à la violence physique vécue par Brigitte qui est battue par son père. Ces jeunes filles étaient donc perdues, traumatisées et fragiles quand elles arrivaient dans le foyer de Plessis. Et donc très facilement manipulables par la directrice qui voulait les remettre dans le “droit chemin”… jusqu’à ce qu’elles se révoltent !

Des actrices engagées

L’histoire de la fiction unitaire Elles… les filles du Plessis a tout de suite résonné chez les jeunes actrices choisies pour le film. Qu’elles aient ou non entendu parler de cette histoire ou de situations similaires, elles ont très vite eu à cœur de mettre en avant l’histoire méconnue de ces filles :

Roxane Bret : “Avoir la chance en tant qu’artiste de défendre ce scénario et cette histoire, c’est une fierté extraordinaire. Je pense qu’on ne remerciera jamais assez Bénédicte pour ce film parce que c’est une chance inouïe. Et d’avoir pu donner la parole à ces femmes, c’est très, très beau”.

Noëmie Merlant : “Oui, c’est une manière de les remercier, de remontrer ce qu’elles ont fait pour nous, leur combat et c’est vrai qu’on le sentait quand on était ensemble et qu’on devait jouer”.

Même l’actrice engagée qu’est Sandrine Bonnaire n’a pas hésité à revêtir les habits de la “méchante” pour raconter cette histoire. Habituée à des rôles positifs, elle joue ici un personnage conservateur, dur, froid et sûr d’offrir “une seconde chance à ses filles”, quitte à les punir sévèrement si elles résistent. À ses côtés, la surveillante générale, interprétée par Blandine Bellavoir, est un peu la confidente des filles. Elle lit Françoise Sagan et Simone de Beauvoir et c’est elle qui va parler aux mineures des mouvements féministes comme le MLF et la pétition aux 343 signatures pour l’avortement. Face à ces deux figures adultes, les “3 jeunes mousquetaires” au féminin (elles sont bien sûr quatre comme chez Alexandre Dumas) sont interprétées par de jeunes actrices (Roxane Bret, Noëmie Merlant, Camille Aguilar et Nastasia Caruge), qui ont donné à ces personnages leur jeunesse, leur idéalisme, leur engagement, leur envie de changer la société et le regard que celle-ci a porté sur elles. La réalisatrice Bénédicte Delmas à su leur transmettre l’indignation qui leur a permis de défendre au mieux leurs personnages.
Bénédicte Delmas : “Ce que je trouve super, c’est de leur avoir transmis finalement cette indignation sur la condition des femmes et je me dis, c’est super parce que c’est un flambeau qui se transmet , c’est la génération qui suit après la mienne et c’est chouette”.

“C’est chouette d’être une femme”

Dix ans pour faire le téléfilm Elles… les filles du Plessis, 3 mois pour le casting et 22 jours de tournage dans la commune de Saint-Amand-les-Eaux dans le Nord-Pas-de-Calais (pour les extérieurs). Si la réalisation est convenue, comme souvent dans les fictions télévisuelles, elle a le mérite de s’appuyer sur une histoire vraie et forte ainsi que sur des interprètes enthousiastes et engagés.

Bénédicte Delmas : “Pendant l’écriture, je n’avais pas la mise en scène en tête mais j’avais les couleurs, le décor et la musique. Pas la musique du film mais le rythme et le mouvement. J’avais envie qu’elles soient toujours en mouvement parce que c’est ce qui les caractérise et qui caractérise leur âge. Même si elles sont victimes d’un système, je n’avais pas envie qu’elles soient ‘plantés’, je voulais qu’elles soient en mouvement. Mon film ne peut pas prétendre à un prix de la mise en scène car il n’y a pas de plan de caméra où on se demande comment c’est réalisé parce que la caméra ne se voit pas et que si on prend le temps de regarder le téléfilm, on voit que chaque séance est chorégraphiée et que les comédiennes sont toujours en mouvement et que la caméra bouge aussi tout le temps. Mais ce n’est pas un policier, un film à effets”.
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Difficile de ne pas être ému à certains moments du film comme la magnifique scène où ces jeunes filles défilent avec courage dans les rues de la ville. Il y aussi de belles idées de mise en scène comme cette apparente indifférence de Brigitte occupée à chercher un objet personnel sans se soucier de Claude pliée de douleur à ses côtés. Ou encore cette autre scène où Claude raconte la violence de son accouchement qui s’est déroulé hors-champ.
Bref, Elles… les filles du Plessis est un vrai sujet de société et sa réalisatrice Bénédicte Delmas a su transmettre à toute l’équipe du film son envie de réaliser un film pour ces femmes. Le téléfilm a d’ailleurs été primé trois fois au Festival des Créations Télévisuelles de Luchon en 2016 :

  • Prix du public pour la meilleure fiction unitaire ;
  • Mention spéciale du jury fiction pour les comédiennes Noémie Merlant, Roxane Bret, Camille Aguilar, Nastasia Caruge ;
  • Prix du meilleur scénario mention spéciale pour Bénédicte Delmas et Sylvie Granotier.

Et la jeune actrice Roxane Bret de conclure au point presse où France 3 nous avait convié : “C’est chouette d’être une femme”.

En savoir plus :

  • Elles… les filles du Plessis a été diffusé le mardi 8 mars 2016 à 20h55 sur France 3 à l’occasion de la Journée de la Femme. La diffusion a été suivie d’un débat animé par la journaliste Carole Gaessler
Jean-Christophe Nurbel

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