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Critique / “Le cavalier de la nuit” (1939) de Robert Penn Warren

Chez Séguier, « éditeur de curiosités », la collection L’indéFINIE, « accueille des textes de littérature aux frontières de l’autobiographie et du roman, du document et de la fiction ». Ainsi en février 2022 vient de reparaître le premier roman de Robert Penn Warren de 1939, Le Cavalier de la nuit. Après une unique traduction chez Stock en 1951, par l’académicien Michel Mohrt, ami de l’auteur, plus de 70 ans se sont écoulés pour que ce texte soit de nouveau disponible. Ce géant de la littérature américaine, récompensé par trois prix Pulitzer, deux en poésie, un en littérature pour Les fous du roi en 1947, devenus Tous les hommes du roi depuis 2017, demeure moins connu en France que Faulkner, Hemingway, Scott Fitzgerald, ou même Dos Passos et Steinbeck. Six prestigieux auteurs nés dans une même décennie entre 1896 à 1905, excusez du peu. La critique et l’avis sur le livre.

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Le Cavalier de la nuit, magnifique fresque politique et sociale

Le Cavalier de la nuit, bénéficie d’un avant propos de Robert Penn Warren à l’attention du public français en 1951, pour expliciter le contexte historique et social, « les vieux problèmes de la justice et de l’injustice, des ventres pleins et des ventres creux, du courage et de la lâcheté, de la haine, de la fidélité, et de la trahison.» Quarante ans après la fin de la guerre de sécession, celle du tabac déchire Kentucky et Tennessee de 1905 à 1909. Des planteurs sudistes s’opposent à l’AmericanTobacco Company, amalgamé à l’Imperial Tobacco Company, sur la politique indécente des prix d’achat par le trust. Pour faire face à la famine, aux faillites, nombre de petits propriétaires constituent l’Association pour la protection des planteurs pour contrôler et maîtriser leur production, peser sur les prix.

Rapidement se dégage un groupuscule structuré, à caractère militaire, où chacun prête serment d’allégeance. Prêts à tout ; intimider, détruire semis et récoltes des non adhérents, incendier et dynamiter maisons, séchoirs et entrepôts, connus sous les noms de Brigade silencieuse ou de Cercle fermé, ce sont avant tout les Cavaliers de la nuit. Cette somptueuse entrée en matière, où l’écriture se déploie déjà, ample et généreuse, annonce un roman entre poésie et Histoire, avec de grandiose scènes.

Le Cavalier de la nuit, magnifique fresque politique et sociale, s’attache aux basques de Percy Munn. Jeune marié, trentenaire, avocat, petit planteur à Bardsville dans le Kentucky, idéaliste, il subit les évènements plus qu’il ne les domine. Manipulé, encouragé, pris dans un engrenage, il adhère à l’association après avoir harangué et galvanisé une foule par son discours improvisé et exalté. D’autres grandes scènes, très visuelles, comme celles des deux procès, l’attaque de la ville avec l’incendie de l’entrepôt, dignes de grands westerns hollywoodiens, marquent le lecteur.

Tous les personnages ont de la densité

L’évolution psychologique de Percy, au gré de la lutte menée, est l’un des ressorts du Cavalier de la nuit. D’homme passif et effacé, au contact des initiateurs du mouvement, le sénateur Tolliver, le capitaine Todd, M.Christian, Percy s’affranchit et devient un membre incontournable, actif, violent. Homme de justice, il est amené à transgresser celle ci. Parmi la foultitude de personnages qui grouille dans ce roman, des femmes aux forts tempéraments, proches du jeune trentenaire, à un moment où à un autre, s’éclipsent face à un homme de plus en plus sombre, indéchiffrable, tourmenté, incapable de communiquer. Ainsi May, sa femme, et Lucille, la fille de M.Christian, l’abandonnent. Son entourage s’éloignant, Percy se noie dans le combat politique violent, suscité par le professeur Ball et le docteur Mc Donald.

Chez Robert Penn Warren, tous les personnages ont de la densité, une vie propre qui se découvre par touches successives. L’auteur excelle dans leur description physique, leurs attitudes, leurs états d’âme. Êtres de chair et de sang, aux solides convictions, ils ont néanmoins certaines faiblesses ; erreurs de jugement, mensonges, traîtrise, lâcheté, vengeance, qui déclenchent déferlements de violence, condamnations, exécutions sommaires. La politique qui a toujours fasciné Robert Warren Penn, au cœur de son œuvre, permet de décliner toutes les passions humaines qu’elle exerce sur les individus, des plus nobles aux plus viles.

Le Cavalier de la nuit alterne avec succès scènes nocturnes, cavalcades, vent et poussière, foules revendicatives, peintures champêtres, réflexions et échanges profonds entre protagonistes, instants d’introspection. Seul, rejeté, abandonné, bouc émissaire, trahi, assailli par le remords, par rédemption Percy, s’offre aux armes adverses. Un livre sur la nature humaine, le pouvoir des foules, le hasard des destinées, où des idéaux se heurtent à de tristes réalités, et de sordides actions. Robert Penn Warren, l’homme du sud, un grand auteur, à l’écriture travaillée, qui mérite d’être encore mieux connu.

En savoir plus :

  • Le cavalier de la nuit, Robert Penn Warren, Séguier, février 2022, 608 pages, 22 euros
  • Tous les hommes du roi, Robert Penn Warren, Monsieur Toussaint Louverture, octobre 2017, 640 pages, 13,50 euros
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