Installée en France depuis 1990 Bettina Wohlfarth, née en Allemagne, vient de voir paraître en avril 2023, chez Liana Levi, dans son pays d’adoption, son premier roman Le temps des faussaires, porté par la traduction fluide d’Élisabeth Landes, quatre ans après son édition dans son pays natal. Inutile de s’interroger sur ce qui est vrai et sur ce qui relève de la création littéraire, tant le livre se suffit à lui même, véritable roman historique où se croisent le destin de tableaux avant guerre, durant le conflit armé, et au lendemain de la paix retrouvée. La critique et l’avis sur le livre.
Dès son plus jeune âge Viktor Wagfall est attiré par l’art, et plus particulièrement par la peinture, pour mieux échapper à son milieu familial étriqué et pesant. Sa passion n’est pas celle de la création mais celle de la copie d’originaux, celle de la compréhension et de l’appropriation du talent du créateur de l’œuvre originale. Copiste n’est en aucun cas un délit, bien au contraire c’est tout à fait licite dès lors que les réalisations sont « dans le goût de » ou « copie d’après». Pour mieux se dissimuler Viktor s’est créé un double, véritable avatar ; Isidor Sweig. Celui-ci exécute dans le plus grand secret des copies, débarque à Paris en 1936, et tout le monde le connaitra exclusivement sous ce nom. Rappelé en Allemagne en avril 1937 en qualité de Viktor Wagfall pour motif de service militaire à effectuer, il débarque en 1940 comme « inspecteur principal des chemins de fer du Reich basé à la gare de l’Est » dans la capitale française occupée. En menant une double existence revendiquée, entre Viktor et Isidor, il lui faut cloisonner impérativement les espaces, les lieux de vie des deux protagonistes et éviter de se faire piéger par ceux qu’il a côtoyés en temps de paix sous son identité fictive, celle d’artiste. Désormais dans le camp de l’ennemi, la marge de manœuvre est étroite.
Richement renseigné Le temps des faussaires fait revivre les grandes galeries de l’époque
La contrefaçon de la main d’un faussaire est condamnable car destinée à tromper un tiers sur l’auteur réel du tableau exécuté en cherchant à s’approprier les caractéristiques de la toile initiale, la maîtrise des pigments initiaux, le coup de pinceau de l’artiste créateur, la technique du vieillissement artificiel de la copie. Pour connaître le pas à franchir pour devenir un faussaire, rien de tel que de plonger dans les cahiers de Viktor alias Isidor, rédigés au terme de sa vie et qui constituent la partie substantielle de Le temps des faussaires, découverts par Karolin, sa fille photographe qui vit à Paris. Surprise, découvrant un pan inconnu, totalement caché de la vie de son père, elle complète sa réflexion par l’analyse d’une série de photos, permettant d’évoquer son trouble, se glissant dans les pas de cet inconnu, son géniteur. Deux rythmes, entre aveux et suspicions, qui s’entrecroisent avec talent, alternant entre passé et présent, où les thèmes principaux du roman sont parfaitement mis en relief, à savoir l’amour de la peinture, la frêle frontière entre copiste et faussaire, dans un contexte historique particulier, celui de la seconde guerre mondiale et de la spoliation du patrimoine appartenant à des familles juives envoyées en camps d’extermination ou de concentration. Richement renseigné Le temps des faussaires fait revivre les grandes galeries de l’époque, les fabuleuses collections existantes et pillées, émerger des individus peu fréquentables au service des nazis ou de marchands plus ou moins scrupuleux. Contre les prédateurs connus que furent Hitler et Göring, véritables pillards dans l’Europe entière sous le joug nazi, s’élevèrent quelques rares opposants au péril de leur vie. Ainsi Rose Valland depuis le Musée du Jeu de Paume, véritable gare de triage de l’envoi des objets d’art hors de France, note tout ce qu’elle peut sur les œuvres concernées, leurs propriétaires, leurs destinataires et tout ce qui pourrait permettre de les tracer au lendemain de la guerre et les restituer à qui de droit. Une reconnaissance habilement effectuée.
L’avis sur le livre
Le temps des faussaires est également l’occasion d’un immense voyage parmi les tableaux les plus célèbres, leurs destins, les maîtres qui les ont réalisés. Avec Isidore, nous sommes au cœur de la création, des odeurs, des couleurs, de la frénésie, du pouvoir mystificateur exercé par son talent de faussaire. Finalement au lendemain de la guerre Viktor fait disparaître Isidore, et sans ses carnets nul n’aurait connu son existence. Des rebondissements, des destins peu communs au cœur de l’Histoire, font de Le temps des faussaires un bon roman, très prenant porté par une écriture souple.
En savoir plus :
- Le temps des faussaires, Bettina Wohlfarth, Liana Levi, avril 2023, 384 pages, 23 euros
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