Sur Bulles de Culture, art, cinéma, littérature, musique, spectacles, télévision... chaque jour, la culture sort de sa bulle.
Le sel de tous les oublis de Yasmina Khadra

Critique / “Le sel de tous les oublis” (2020) de Yasmina Khadra

Dernière mise à jour : mars 8th, 2021 at 12:33 am

Le sel de tous les oublis est le roman de la rentrée littéraire 2020 de Yasmina Khadra. Ecrivain algérien, né en  1955, Yasmina Khadra est un habitué des prix littéraires en France et dans le Monde. On mentionnera Les hirondelles de Kaboul, écrit en 2002 remis en pleine lumière avec son adaptation récente en cinéma d’animation par Zabou Breitman et L’attentat paru en  2005. En août 2020, Yasmina Khadra  publie à la fois en Algérie et en France un nouveau roman Le sel de tous les oublis. La critique et l’avis sur le livre.

Cet article vous est proposé par un rédacteur-invité, le chroniqueur Gilles M..

Synopsis :

Le sel de tous les oublis s’ouvre par une déflagration. Galal l’épouse de Adem Nait-Gacem  lui annonce qu’elle s’en va avec un autre homme. C’est peu d’écrire qu’Adem n’était pas préparé à cet événement ! 
Cette scène se déroule à Blida une grande ville d’Algérie à une cinquantaine de kilomètres d’Alger à l’intérieur des terres en 1963. Adem est un instituteur consciencieux à défaut d’être passionné. On apprend qu’il est un ancien campagnard fraîchement émancipé grâce à sa rencontre avec sa femme plus urbaine. On comprend qu’il aime lire, prendre des notes en vue peut être d’un livre futur et que même en couple il est assez bougon et solitaire.
Sa surprise est d’autant plus grande que peu de femmes en Algérie font preuve à cette époque de cette liberté et de cette détermination. Dans les campagnes, aux environs de Blida, l’épouse et son amant seraient sans doute recherchés et assassinés pour l’honneur mais ici on est en ville et les mentalités évoluent.
Ne voyant pas d’issue à son extrême chagrin, Adem décide de quitter son  travail, sa maison et de partir sur les routes soigner sa souffrance atroce. Nous sommes à la page 20 du roman et l’errance d’Adem commence.  

Le sel de tous les oublis : l’errance d’un homme abandonné

Le titre poétique du livre Le sel de tous les oublis renvoie à un vieux poème qui fait plutôt la promotion de la fuite en avant : «  Ne t’arrête surtout pas/Et confie ce que tu cherches/A la foulée de tes pas ». Le sel de l’oubli évoquant ce qui reste des larmes quand on a beaucoup pleuré : « marche sur le sel de tous les oublis ».

Cette marche sans argent, sans désir de se sociabiliser, va conduire Adem de Charybde en Scylla. Chaque nuit précédée de soirées arrosées est une occasion de descendre un peu plus dans l’échelle sociale et de vivre des expériences fortes comme pendant son passage à la section des fous de l’hôpital de Blida.

Quelques marginaux rencontrés parviennent avec peine à établir une relation avec lui fondée sur un vrai dialogue surtout lorsque, partis comme lui,  ils ont pris de l’avance dans une philosophie de l’existence loin des hommes. Beaucoup de lecteurs se souviendront de Mika, le nain contrefait qui aimerait tant conserver un peu Adem à l’abri dans sa grotte.

Petit à petit, en s’éloignant de la ville, l’errant retrouve plus de bon sens. Il travaille sur un chantier exploitant des miséreux, puis arrive dans une petite ville où il pourrait, peut-être, redevenir instituteur… Le voyage semble s’arrêter mais pas les péripéties.

Yasmina Khadra : un style séduisant et efficace

Il n’y a rien d’inutile dans la prose de Yasmina Khadra. Le lecteur pressé n’est jamais tenté de survoler des passages tant l’écriture est plaisante.

Le lecteur est mis sous pression par les aventures dramatiques du héros mais aussi par les éclaircissements progressifs que Yasmina Khadra nous apporte pour mieux le connaitre.

On peut évidemment penser qu’Adem aurait besoin de faire un travail sur lui mais en 1963 les psys sont rares à Blida. Au contraire, par petite touche, par le biais des rencontres, l’auteur nous donne les moyens, peut être pas d’être le psy d’Adem, mais du moins de le comprendre davantage !

Notre travail est facilité par le réalisme du roman ou tout sonne vrai et juste. Par moment,  une habile description de la beauté de campagne algérienne, des ciels étoilés, d’un moment de paix près du feu, nous transporte et apporte une respiration au milieu des catastrophes.

L’amour inconditionnel de la liberté

Dès le départ  de son errance mais aussi dans les dernières pages de Le sel de tous les oublis, Adem met sa recherche sous le signe de l’absence de contraintes y compris dans ses rapports aux autres.

Son refus de l’autorité s’appuie sur un gout sans compromission pour la liberté. Mika dirait sur leur volonté de ne pas devenir des galériens.

Ce goût pour la liberté s’accompagne aussi  de la volonté de justice. Enfin stoppé dans sa course éperdue et en passe de se stabiliser, Adem rentre en conflit avec le commissaire politique de la région etest envoyé injustement faire un séjour dans une prison terrifiante.

On devine que l’auteur règle aussi ses comptes à posteriori avec l’autorité arbitraire, prédatrice, de certains maîtres du pays dans l’Algérie post coloniale.

Jusqu’à la fin, ce roman tient en haleine et n’est pas avare de rebondissements. Yasmina Khadra a réussi à écrire un livre qui se lit comme un thriller et qui est d’une grande profondeur.

En savoir plus :

  • Le sel de tous les oublis, Yasmina Khadra, Editions Julliard, août 2020, 256 pages, 19.99 euros
Bulles de Culture - Les rédacteur.rice.s invité.e.s

2 Commentaires

  1. Ibrahim Oumar Hamid

    Une figure de la littérature du 21ème siècle

  2. Yasmina Khadra ne cesse de nous amener dans les profondeurs de l’ âme humaine avec un style qui se dévore

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.