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© Jean-Christophe Nurbel
Bulles de Culture

[INTERVIEW] Raphaël Chevènement : “La télévision sera un des modes de consommation parmi d’autres”

Dernière mise à jour : mars 28th, 2020 at 07:49 pm

Dans le cadre de la 13ème Journée de la Création TV, organisée par l’Association pour la Promotion de l’Audiovisuel (APA) autour du thème « Construire ensemble l’avenir de la télévision », Bulles de Culture a eu la chance de rencontrer aussi Raphaël Chevènement, un des scénaristes de la série Le Bureau des Légendes.

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Interview de Raphaël Chevènement
lors de la 13ème Journée de la Création TV

 

Bulles de Culture : Comme vous avez fait partie du débat “Où sont les jeunes ?” lors de la 13ème Journée de la Création TV, quel est votre avis sur le sujet ?

Raphaël Chevènement : Déjà, j’ai vu qu’il y avait un débat sur la question. Moi, je pensais que ça ne faisait pas débat mais que c’était un fait avéré que les jeunes n’étaient plus devant la télévision. J’ai vu qu’il y avait une querelle de chiffres et qu’ils y étaient peut-être encore un peu.
Moi, de ce que j’observe autour de moi, ni les jeunes ni les gens de ma génération, c’est-à-dire les trentenaires-quarantenaires, ne sont devant leur télévision. C’est vrai que j’ai l’impression comme l’a dit Angela Soupe [NLDR : scénariste de la web-série Les Textapes d’Alice] que la télévision est un peu le Minitel d’aujourd’hui : c’est un objet qui va disparaître. Je me trompe peut-être mais il faudra sans doute trouver un objet rassembleur comme l’a été la télévision car aujourd’hui, je ne connais plus personne qui a un écran de télévision à la maison.

Bulles de Culture : Mais la série Le Bureau des Légendes dont vous êtes un des scénaristes est un programme de télévision, non ?

Raphaël Chevènement : Je pense d’abord qu’il y a évidemment les abonnés de Canal+ qui sont un socle très important et qui regardent par soirée Le Bureau des Légendes. Ensuite, il y a énormément de binge-watching et là, ça peut être des gens qui ont éventuellement l’objet télévision mais qui peuvent regarder ça sur les systèmes que Canal+ propose et qui fonctionnent un peu comme Netflix. Moi, j’ai autour de moi des gens qui ont regardé Le Bureau des Légendes — j’avais envie de les tuer ! — sur un téléphone et ils m’ont dit : ” Non, c’est très bien”. Beaucoup aussi sur leur ordinateur, leur portable, sur un projecteur.
Aujourd’hui, la manière dont on regarde s’est tellement diversifiée que je caricature un peu quand je dis que la télévision va disparaître. Mais j’ai l’impression que ce sera un des modes de consommation parmi d’autres.

“On est à un moment très excitant
où d’autres choses sont possibles”

 

Bulles de Culture : Cela a-t-il des conséquences sur votre écriture ? Y pensez-vous quand vous écrivez ?

Raphaël Chevènement : Moi, j’ai du mal à penser d’abord à la diffusion. J’ai l’impression qu’on a des envies d’histoires et qu’ensuite, on se dit : “Tiens, ça, ça pourrait coller avec tel type de format”.
Il y a une palettes de formats aujourd’hui : on peut faire du 10×10 minutes comme ce que fait Studio+, il y a les 52 minutes, il y a de plus en plus de 26 minutes. Mais on ne réfléchit pas tant que ça à la diffusion.

Bulles de Culture : Est-ce que cela donne plus de liberté au scénariste ?

Raphaël Chevènement : Moi, j’ai l’impression que cela donne beaucoup de liberté. Peut-être que le paysage n’est pas encore tout à fait stabilisé mais aujourd’hui, on peut écrire beaucoup, beaucoup de choses avec des moyens qui ne sont pas… Évidemment, si on travaille pour une série comme Le Bureau des Légendes, il y a beaucoup de moyens, on peut écrire des scènes qui se passent à l’autre bout du monde…
Mais comme l’a dit Boris Duchesnay [NDLR : directeur des Programmes, OCS], on peut aussi faire des choses très créatives avec des budgets relativement légers. Et la légèreté des budgets autorisent des choses que probablement, on ne peut pas se permettre quand on a un million d’euros par épisode.
J’ai l’impression qu’on est à un moment très excitant où d’autres choses sont possibles. Il y a une grosse demande des diffuseurs de nouveautés. Tout le monde se demande à quoi va ressembler le futur donc là, on peut y aller, on peut proposer des choses.

“De plus en plus de jeunes scénaristes
commencent à travailler
sur des projets très importants”

 

Bulles de Culture : La Femis a créé un cursus, des universités ont mis en place des masters pros, Eric Rochant a intégré des scénaristes junior dans son équipe, Jamel Debbouze parraine Talents en court qui entraîne notamment de jeunes auteurs à pitcher leurs projets…

Raphaël Chevènement : C’est super ça. Ce sont des choses qu’on ne fait pas assez en France. Pendant longtemps, le mot “pitch” me faisait bondir parce que j’avais l’impression que c’était la négation… Mais en fait, j’ai assisté au Austin Film Festival à des séances de pitchs et je me suis rendu compte à quel point, ce n’était pas juste un outil de vente mais que c’était aussi une manière de réfléchir, de parler de son projet et de se rendre compte de qu’on mettait en avant, de ce qu’on oubliait. C’est quelque chose finalement de très utile.

Bulles de Culture : Que pensez-vous des formations de scénaristes en France ?

Raphaël Chevènement : Pendant longtemps, il y avait peu de formation de scénaristes. Moi-même, j’ai donné des cours dans une école de cinéma et je continue. En fait, il y a tellement de façons de devenir scénariste. C’est quand même un des rares métiers où on peut devenir scénariste sur le tard. Il y a de grands scénaristes pour qui c’est une deuxième vie. Je pense par exemple à David Simon qui est notamment le scénariste de The Wire. Il a été journaliste pendant au moins vingt ans. Je pense que c’est important de garder toutes ces façons d’accéder au métier de scénariste.
La Femis, c’est très bien.  Il y a aussi une école qui s’appelle La Ciné Fabrique à Lyon qui forme des scénaristes. C’est une école publique financée par le CNC et la Région mais qui essaie de s’ouvrir à une diversité de parcours, c’est-à-dire de ne pas prendre que des gens qui ont été à la fac, qui ont déjà des parcours un peu classiques de Lettres ou de Sciences Po, mais de prendre des gens qui ont arrêté leurs études à 16 ans ou qui ont fait des études non littéraires.
Mais c’est très difficile de former des scénaristes uniquement à l’école et c’est pour ça que c’est un peu la responsabilité que nous avons, nous les scénaristes qui travaillons déjà, de transmettre et d’intégrer de jeunes scénaristes dans le processus créatif. Plus facile à dire qu’à faire mais j’y crois beaucoup.
On entend beaucoup de discours alarmistes mais je sens qu’il y a de plus en plus de jeunes scénaristes qui commencent à travailler sur des projets très importants à 28-30 ans donc on n’a plus cette image d’une télé dirigée par des quinquagénaires avec des scénarios écrits par des types de 60 ans qui écrivent sur les jeunes.

Bulles de Culture : Mais ils ne sont pas libres dans leur écriture car ils sont souvent associés à un scénariste plus expérimenté et ils perdent du coup la main sur leurs projets…

Raphaël Chevènement : Oui, c’est sûr que ça arrive. Il y a une frilosité parfois… J’ai vu autour de moi quelques jeunes scénaristes, jeunes dans leur parcours, qui arrivaient avec un projet qui emballait tout le monde mais au moment où l’argent, c’est-à-dire le nerf de la guerre quand on écrit, arrivait, tout d’un coup, c’était la frilosité générale et on se mettait à chercher des scénaristes plus expérimentés qui étaient chargés de reprendre le projet de façon professionnelle — comme si le travail qui avait été fait avant ne l’était pas — , rassurante.
Les producteurs veulent rassurer les diffuseurs et comme les scénaristes très reconnus sont assez peu nombreux, du coup, ils ont trop de projets, ils n’ont pas le temps de bien faire et il y a une déperdition de l’enthousiasme. Mais ça fait partie de l’apprentissage.

“On est sur-sollicité
donc il va falloir trouver
des moyens pour s’orienter”

 

Bulles de Culture : Quel regard portez-vous sur les nouvelles technologies (la réalité virtuelle, la diffusion live ou à 360 degrés) en tant qu’auteur ?

Raphaël Chevènement : Je n’ai pas encore vu ce que le 360° ou ce que la diffusion live pouvaient apporter. Je crois que tout dépend de ce qu’on veut raconter. J’imagine que pour le documentaire, il y a sûrement des choses intéressantes à faire mais pas pour tous les documentaires. Je suis persuadé que le 360°, c’est génial pour des documentaires où le côté immersif apporte beaucoup. Mais je crois à la mise en scène et au point de vue. J’avoue que je suis un peu dubitatif sur l’apport du 360°.
Pour la fiction en live, ça, c’est intéressant parce qu’il y a un truc dans la performance… Mais ce qui est drôle, c’est qu’on retrouverait quelque chose qui existait avant ainsi que l’énergie du spectacle vivant. Ce serait peut-être une manière de créer des rendez-vous parce qu’aujourd’hui, on ne peut plus dire aux gens : “Soyez à 21h mardi soir devant votre télé parce que sinon vous ne verrez pas le prochain épisode”.

Bulles de Culture : Oui, aujourd’hui, on raisonne plus en terme de catalogues…

Raphaël Chevènement : C’est la logique Netflix, on balance du catalogue. Mais ça ne marche pas complètement. Par exemple, sur Spotify, il y a de l’éditorial, des radios, des DJ, des gens qui nous aident à nous y retrouver dans l’offre. C’est vrai qu’en fiction, l’offre est vertigineuse. Chaque année, il y a des heures et des heures de programmes. On est sur-sollicité. Donc il va bien falloir trouver des moyens pour s’orienter.

Le Bureau des Légendes
va faire des émules”

 

Bulles de Culture : Parlons un peu de la série Le Bureau des Légendes. Pensez-vous que le modèle de travail d’Eric Rochant pour la série pourrait être appliqué à d’autres séries en France ?

Raphaël Chevènement : Oui, je pense que c’est un modèle qui peut être repris. D’abord parce que lui, il l’a repris, il est allé aux États-Unis avec son associé Alex Berger [NDLR : un des producteurs de Le Bureau des Légendes] et ils se sont vraiment inspirés de ce qu’ils ont vu là-bas. Donc oui, il y a quelque chose qui peut être repris.
Après ce qui est très particulier est qu’Eric Rochant est un showrunner au sens plein : il est producteur, il écrit tous les épisodes — c’est lui qui fait aussi les arches, il est ultra impliqué dans l’écriture —,  il réalise aussi un ou deux épisodes et il a un œil sur tout — il répète avec tous les comédiens, y compris pour les épisodes qu’il ne réalise pas —. Quand on est en séance de travail dans la “writing room”, il a son téléphone portable et de temps en temps, il reçoit une photo du Maroc parce qu’il y a une question qui se pose et on lui demande son avis.
Donc je pense que c’est un très, très bon modèle mais il faut trouver les gens qui en sont capables. Je pense qu’on est en train de voir une génération qui émerge de showrunners mais c’est un travail de titan. Il faut être un athlète en fait. Et Eric, il nous impressionne, il n’arrête pas : il fait en une journée ce que nous, on fait en une semaine.
Après le modèle est à adapter en fonction des projets et de ceux qui les portent. Après l’idée de quelqu’un qui est à la fois sur l’écriture, sur la production et présent au tournage, c’est essentiel. On va voir mais je pense que cela va faire des émules.

Bulles de Culture : La saison 2 de Le Bureau des Légendes est vraiment incroyable [NDLR : cette saison 2 est d’ailleurs un coup de cœur de Bulles de Culture]. Pour moi, vous avez installé les personnages dans la saison 1 puis ensuite, vous dépliez l’histoire dans la saison 2…

Raphaël Chevènement : C’est sûr que dans la saison 2, on bénéficie de tout un travail de fond qui a été fait dans la saison 1. On a quelque chose qui est acquis et là-dessus, on a peut-être eu plus de liberté dans la saison 2. Et on avait des enjeux très forts, des questions à résoudre. L’écriture de la saison 2 était sans doute plus facile et on a tiré les leçons de la saison 1, sur des petites choses mais qui mises bout à bout finissent par modifier — pas l’identité de la série car cela reste la même chose —  peut-être le rapport entre le terrain et le bureau… La saison 2 est donc peut-être plus ouverte sur le monde et sur des enjeux qu’on ne pouvait pas éviter.

Bulles de Culture : C’est une des rares séries en France à parler de l’actualité…

Raphaël Chevènement : C’était aussi le danger. On ne pouvait pas éviter l’actualité mais on ne voulait pas courir après l’actualité. Même si on livre rapidement, on est toujours dépassé par ce qu’il se passe. Quand on écrivait la saison 2, il y avait les négociations autour de l’Iran, on voyait à peu près que cela allait aboutir à un accord mais ce n’était pas garanti non plus. On essayait de se mettre à un endroit qui n’était pas celui “On va vous dire ce qu’il va se passer demain”, mais dans un endroit un peu plus dans les coulisses. On ne voulait pas prendre le risque d’être démenti et ça nous intéressait pas de jouer au prophète. Il faut que la série soit intéressante dans quatre ans aussi.  Et c’est vrai que les américains sont très forts pour ça. Ils n’attendent pas vingt ans pour parler des choses.

Bulles de Culture : Mais il y a quand même une sensation de réalisme dans Le Bureau des Légendes

Raphaël Chevènement : Oui, on essaie toujours d’être très, très réaliste. On essaie d’être crédible au maximum mais c’est difficile car on écrit sur un univers où par définition, il y a relativement peu d’infos. On se renseigne beaucoup, on travaille beaucoup, il y a toujours de espions qui écrivent leurs mémoires et de temps en temps, la DGSE [NDLR : Direction Générale de la Sécurité Extérieure] nous fait un retour qui est toujours un retour un peu minimaliste. On ne sait pas très bien si ce qu’on a écrit leur convient parce que c’est juste ou parce que de toute façon, ils ont décidé de ne pas nous contredire. Mais c’est plutôt plaisant à faire.

Le Bureau des Légendes,
c’est une écriture collective”

 

Bulles de Culture : La saison 3 de Le Bureau des Légendes est écrite et réalisée ?

Raphaël Chevènement : Elle est écrite mais elle sera réalisée à la rentrée. Donc là, Eric Rochant et Camille de Castelnau sont en train d’écrire les versions définitives. L’écriture est très avancée et on commence à voir à quoi ça va ressembler.

Bulles de Culture : Du coup, quelle est votre place dans la “writing room” ?

Raphaël Chevènement : En fait, la “writing room” est structurée : Eric est le showrunner. Camille est son bras droit, c’est-à-dire qu’elle co-écrit avec lui tous les épisodes. Elle est aussi auteur d’épisodes : elle écrit le pilote et en général, trois épisodes par saison. Donc Eric et Camille ont fait les arches des saisons, c’est-à-dire toute la trame. Moi, j’ai collaboré avec eux sur les arches de la saison 3. Et une fois que ce travail est fait, les arches sont distribuées par épisodes et il y a des auteurs d’épisodes qui ont la charge d’écrire chacun un épisode.  Mais toujours en collaboration avec Eric. Il y a plusieurs étapes qui font qu’on n’est jamais seul pour écrire. C’est une écriture vraiment collective.

Bulles de Culture : Vous avez donc écrit un épisode ?

Raphaël Chevènement : La première version de chaque épisode est écrite par un auteur. Il y a Cécile Ducrocq, Emmanuel Bourdieu. Il y a eu Hippolyte Girardot… Cet épisode va ensuite être repris par Eric qui va faire sa passe. Chaque épisode est généralement signé par au moins trois personnes : l’auteur de la V1 [NDLR : la première version du scénario], Eric, Camille aussi qui fait toutes les V2 avec Eric puis parfois des scénaristes juniors comme Capucine Rochant qui, elle, écrit des scènes à la demande. Donc elle est sur plein d’épisodes à la fois et quand on a un scène qu’on n’a pas envie d’écrire ou pas le temps d’écrire, Capucine s’en charge.

Bulles de Culture : C’est quoi une scène qu’on n’a pas envie d’écrire ?

Raphaël Chevènement : ça peut être selon ses goûts. Il y a des scènes qu’on n’a pas envie d’écrire ou qu’on ne se sent pas d’écrire ou qu’on n’a pas le temps d’écrire car on va très, très vite.  On peut ne pas aimer écrire les scènes de bureau ou les scènes d’action, par exemple. Il y a plein de raisons qui font que Capucine hérite de scènes sur lesquelles elle travaille et puis elle propose sa version. Parfois, on retricote à partir de sa version ou elle propose autre chose. Elle a commencé en saison 2 et ça lui permet en deux ans de voir toutes les étapes. C’est une formation accélérée qui vaut toutes les écoles.

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Propos recueillis au Studio Gabriel à Paris (France) le 28 juin 2016.

 

En savoir plus :

  • 13ème Journée de la Création TV (site officiel)
Jean-Christophe Nurbel

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