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© Jean-Christophe Nurbel
Bulles de Culture

[ITW] Gilles Galud (Studio+) : “On a l’ambition, l’insolence de vouloir de la qualité”

Dernière mise à jour : avril 5th, 2019 at 01:25 am

Dans le cadre de la 13ème Journée de la Création TV, organisée par l’Association pour la Promotion de l’Audiovisuel (APA) autour du thème “Construire ensemble l’avenir de la télévision”, Bulles de Culture a eu la chance de rencontrer Gilles Galud, le producteur et Directeur Général de Studio+.

 

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“Un catalogue de séries originales premium”

 

Depuis 2005, Gilles Galud et la multinationale Vivendi développent Studio+, une nouvelle application dédiée aux séries et destinées aux mobiles (smartphones+tablettes). Celle-ci devrait être disponible très bientôt.

Bulles de Culture : Pouvez-vous nous parler de la future application pour smartphones, Studio+ ?

Gilles Galud : C’est une application pour mobiles vendue via les opérateurs mobiles dans le monde entier et qui va proposer un catalogue de séries originales premium. On insiste beaucoup là-dessus : ce ne sont pas des webséries mais vraiment des séries digitales. La différence est qualitative, on ne met pas le même budget, la même attention sur l’écriture, on ne fait pas appel aux mêmes talents. On n’est plus proche du cinéma ou de la série haut de gamme que ce que l’on voit traditionnellement sur le web en séries.
Ce sont des séries de 10×10 minutes, soit l’équivalent d’un long métrage découpé en dix épisodes. Cela donne des long métrages où on ne s’ennuie pas parce que toutes les dix minutes, il y a un cliffhanger [NDLR : une fin ouverte qui crée une forte attente pour la suite], un rebondissement. On rentre très, très vite dans les histoires à la différence des séries longues où souvent, il y a ce fameux pilote d’exposition des personnages et des situations pour entrer ensuite progressivement dans la série à partir du deuxième ou troisième épisode. C’est le cas de 80% des séries dans le monde. Là, on est obligé de rentrer tout de suite, au bout de 2-3 minutes. Et puis au bout de dix minutes, on est obligé de garder le téléspectateur donc l’écriture est très particulière, on essaie de faire une écriture de feuilleton la plus addictive possible.

Bulles de Culture : Du coup, les génériques sont toujours présents quand on les regarde dans la continuité ?

Gilles Galud : Il n’y a pas de générique entre les épisodes. Il n’y a qu’un générique au début du premier épisode et à la fin du dernier. Entre les épisodes, il y a un fondu au noir et un numéro.

Bulles de Culture : Pourquoi ce format de dix minutes ?

Gilles Galud : Parce que c’est un format génial car on a le temps de raconter des choses, d’installer. Pas comme le cinq minutes qui est super court. C’est un format qui a déjà été rompu par les scénaristes américains et qui a fait ses preuves depuis 30-40 ans. C’est un format qui correspond à un voyage moyen en métro, à un break dans la journée, à un moment d’intimité. Plus long, ce n’est pas toujours possible en portable. Le temps moyen de visionnage chez les 15-40 ans qui ont un smartphone, c’est quinze minutes sur un portable. Et dix minutes, cela me paraît être un bon format.
Après il y en a qui font moins parce qu’on na va pas assassiner un auteur parce qu’il n’a pas écrit dix minutes. Notre volonté est de faire de la qualité donc si la série est mieux en huit minutes qu’en dix, elle sera en huit.

“Écrire des fictions avec la même nervosité
que les fictions américaines”

 

Bulles de Culture : Parmi les 25 premières séries, combien seront françaises ?

Gilles Galud : Cinq.

Bulles de Culture : Comme le format est nouveau, est-ce que cela a été difficile de trouver des auteurs?

Gilles Galud : Il y a des auteurs qu’on connaissait, avec lesquels on a travaillé sur la Nouvelle Trilogie qui était une case de fiction que j’ai produite sur Canal+ pendant dix ans et dont le concept était de faire des 6×13 minutes. L’idée de faire des 6×13′ était d’écrire des fictions avec la même nervosité que les fictions américaines. Et les fictions américaines sont écrites sur un principe très clair : toutes les dix minutes, il y a un break de pub, donc toutes les dix minutes, il faut garder le spectateur en ayant un cliffhanger, une relance. J’ai proposé à Canal+ il y a dix ans de créer un laboratoire de fictions, en faisant des 6×13′ pour une écriture qui soit justement nerveuse avec 6 épisodes qui se relancent puis quand on les empile, cela fait un 90 minutes.
Donc c’est cette expérience-là qui m’a permis d’accompagner des auteurs et quand Canal+ m’a proposé de racheter ma boîte pour diriger Studio+, je les ai rappelés parce qu’on avait travaillé sur ces mêmes contraintes de format à rebondissements. Ensuite, on a reçu 800 projets. Donc on a eu le choix et la chance de trouver des choses formidables dans ces 800 projets. Mais c’est vrai que le plus difficile est de trouver les concepts et les talents.

Bulles de Culture : Quels ont été vos critères pour sélectionner les auteurs que vous ne connaissiez pas ?

Gilles Galud : L’originalité du concept, la validité de l’écriture — c’est-à-dire dès qu’on était intéressé par un projet, on demandait aux auteurs de nous écrire des épisodes pour voir si cela fonctionnait — et la promesse visuelle. Et la promesse visuelle est tout aussi importante que le reste. Une série qui se passe dans un lieu clos, on ne prend pas. Une série qui se passe en Patagonie, en Amazonie, sur une île déserte en Scandinavie ou dans le désert marocain, ça va nous intéresser. Par contre, une série qui se passe en banlieue parisienne ou dans une petite ville de province où tout se passe dans des cuisines ou des salles à manger, non.
On a une vraie volonté de faire du cinéma d’évasion plus un œil de réalisation fort plus une histoire. On n’a pas envie de faire ce que diffuse Youtube, c’est-à-dire des mono-caméras dans des chambres d’adolescents assis sur des canapés. On fait de la fiction, du spectacle, de l’entertainment.
Nos critères de choix sont donc une très forte attente de direction artistique et des histoires fortes, donc des personnages forts.

“On a envie de travailler
avec d’autres talents que le nôtre”

 

Bulles de Culture : Vous ne faites pas que diffuser, vous produisez aussi ?

Gilles Galud : Oui, bien sûr, on produit. On est un studio de production. On produit et on co-produit avec des boîtes de production comme les chaînes de télévision. On est très, très proche des créateurs en fait. Mais on ne peut pas tout produire et on n’a pas envie de le faire, on a envie de travailler avec d’autres talents que le nôtre.

Bulles de Culture : Et vous achetez aussi ?

Gilles Galud : On achète un peu mais on a du mal à trouver des séries de qualité. On en a acheté une vingtaine.

Bulles de Culture : Même au niveau international, ce n’est pas facile de trouver ?

Gilles Galud : C’est un nouveau format 10×10′ donc il n’y a pas énormément de choix et puis il y a une économie un peu incertaine donc la “production value” [NDLR : la plus-value sur la production] n’est pas toujours là. Et comme nous, on a l’ambition, l’insolence de vouloir de la qualité, on ne peut pas acheter des séries qu’on pense au-dessous du niveau qu’on attend. On a donc du mal à en trouver. On en a acheté vingt quand même et il y en aura de plus en plus. C’est un format qui va se développer.

“On va démarrer en Amérique latine
avant l’Europe”

 

Bulles de Culture : Le lancement est international, n’est-ce pas ? En Europe et en Amérique Latine ?

Gilles Galud : Oui, on va démarrer en Amérique latine avant l’Europe. On démarre là-bas en septembre.

Bulles de Culture : Pourquoi d’abord là-bas ?

Gilles Galud : Parce que le marché est plus réactif, les opérateurs téléphoniques sont plus réactifs, ils en ont envie plus vite que les européens. Et comme on a entamé la relation avec eux il y a plus d’un an et qu’on a produit des séries en Amérique latine, ils auront déjà dans la plateforme qu’on va leur offrir en septembre pas mal de contenus locaux. On a tourné une série en Argentine, deux en Colombie, une en Bolivie. Là, on en prévoit trois au Brésil, une au Pérou, une au Cuba. Donc on a déjà une offre espagnole et portugaise très forte.
C’est un marché très dynamique, au Brésil notamment où il y a énormément de smartphones. La population y est très jeune, la 4G est partout et la télévision brésilienne n’est pas terrible. Toutes les jeunes générations un peu éduquées ont envie de sortir de la Globo [NDLR : Rede Globo de Televisão est le principal réseau de télévision au Brésil] et des telenovelas [NDLR : les feuilletons à rallonge des pays hispanophones et lusophones].

“Tous les pays auront les mêmes séries”

 

Bulles de Culture : Comment va marcher l’application ?

Gilles Galud : Tous les pays auront les mêmes séries. Elles ne seront peut-être pas programmées dans le même ordre et elles seront doublées et sous-titrées dans toutes les autres langues. C’est un gros boulot de doublages, de sous-titrages et de traductions mais on tient vraiment à offrir ça.

Bulles de Culture : Allez-vous garder le rythme habituel de diffusion d’une série par bloc de saisons ? Si oui, quelle sera le rythme de livraison de ces saisons ?

Gilles Galud : Oui, dès l’année suivante. Après, il y en a peu qui sont appelés à devenir des séries récurrentes. Ce n’est pas du tout notre obsession. Ce sera plutôt des saisons uniques sauf lorsqu’on a un tel coup de foudre pour les personnages et pour ce que pourrait devenir l’histoire qu’on se dit que cela pourrait faire une deuxième saison. Là, il y en a deux ou trois sur vingt-cinq qui ont une saison 2, c’est tout.

Bulles de Culture : Les séries diffusées sur Studio+ seront-elles diffusées ailleurs ? Y aura-t-il des passerelles avec les autres filiales de Vivendi ?

Gilles Galud : Pour l’instant, elles ne le seront que sur le mobile. Pour l’instant, il n’y a pas de diffusion télévisée prévue mais je ne peux pas vous dire ce que qui se passera dans deux, trois ans. Quand on a aura cent “unitaires”, ils mériteront peut-être de passer aussi à la télévision. Où ? En SVOD, sur Canal+… je n’en ai aucune idée. Après ce sont des œuvres donc elles pourront aller ailleurs ou circuler en unitaire dans les pays où on n’est pas présent via les mobiles. C’est trop tôt pour le dire.

“On fait le pari que cela va marcher”

 

Bulles de Culture : À priori, vous visez la génération des millenials ou digital natives [NDLR :  les 15-35 ans] ?

Gilles Galud : C’est un peu plus large que ça. On vise tous les gens qui sont nés avec la fiction traditionnelle.

Bulles de Culture : Pensez-vous que le public que vous visez est prêt à payer du contenu sur mobile ?

Gilles Galud : Oui parce que cela va coûter 4-5 dollars par mois. Pour une série toutes les semaines dans un catalogue de 20-25 séries au début, 50 l’année suivante, oui, on le pense. C’est le prix d’un café chez Starbucks. Si la qualité est là, on ne voit pas pourquoi les gens n’auraient pas envie d’acheter. Parce que des programmes premium sur mobile, c’est très  difficile à trouver. Donc oui, on fait ce pari-là. C’est deux fois et demi moins cher que Netflix, dix foix moins cher que Canal+, on fait le pari que cela va marcher.

Bulles de Culture : Vous ne proposerez que des séries ou il y a aura d’autres programmes comme des documentaires ?

Gilles Galud : Oui, on a fait quelques documentaires mais un peu de manière expérimentale.

Bulles de Culture : Toujours dans ce format de dix minutes ?

Gilles Galud : Non, les documentaires seront du 10×5 minutes et on les fera dans le prolongement d’une fiction. La ligne éditoriale est simple : en ce moment, on tourne une série sur des apnéistes à Monaco. C’est une fiction, un drame avec une histoire d’amour. À côté de ça, on va faire un documentaire de 10×5 minutes sur le plus grand apnéiste du monde. À chaque fois, ces documentaires en complément seront de l’aventure humaine.
On suivra aussi une bande de surfeurs qui ont commencé le surf dans les années 70 et qui ont aujourd’hui 55-60 ans et qui se sont filmés toute leur vie en Super-8. Il y a des heures et des heures d’archives, on suit leur parcours souvent dramatique (dopes, alcools). À côté d’une série de surf un peu idyllique tournée au Maroc, on va montrer la face cachée de la vie de certains surfeurs.
Donc va faire peu de documentaires et on va essayer à chaque fois de les faire en relation étroite avec une fiction.

“On laisse les talents s’exprimer
et on fait ça vite”

 

Bulles de Culture :  Quel regard portez-vous sur les nouvelles technologies comme la réalité virtuelle ?

Gilles Galud : On est très curieux, on regarde. Aujourd’hui, c’est compliqué d’imaginer de la fiction en VR parce que c’est très cher sauf à faire de la 3D en live-action parce que c’est ça qui nous intéresse pour le moment. Même si on est bloqué sur rien. Sur une série qui s’appelle Deep, on va faire un épisode en VR avec la plongée finale parce que ça s’y prête merveilleusement, il n’y aura pas quinze acteurs qui doivent parler en même temps et qu’on va descendre dans les profondeurs. La VR pour une course en voiture, un règlement de compte sur un terrain vague, on ne sait pas encore comment on pourrait faire ça. Mais on est attentif, bien sûr. Mais ce n’est pas notre obsession. Notre obsession est de raconter des histoires fortes et addictives avec des personnages forts. Après on est curieux de la technologie.

Bulles de Culture : Et la diffusion live ?

Gilles Galud : Non, parce que c’est antinomique avec la notion de premium. On a plus envie de faire du cinéma que du plateau télé.

Bulles de Culture : Pour conclure, pensez-vous que vous allez faire émerger de nouveaux auteurs ?

Gilles Galud : Oui, j’en suis sûr. Je n’aurais pas dit ça il y a six mois mais là, on est sûr. Des réalisateurs de cinéma, des auteurs de cinéma et de séries longues ont envie de se jeter sur ce format car c’est un exercice vraiment rigolo. C’est comme du cinéma où on ne s’ennuie jamais. Et il y a plein d’auteurs et de réalisateurs que ça passionne. On va tourner en septembre une série avec Camille Delamarre qui a fait Le Transporteur : Héritage. Et on laisse beaucoup de liberté. On est exigeant, on est là, on est présent mais on laisse les talents s’exprimer et on fait ça vite. Entre la page blanche et le PAD [NDLR : Prêt à diffuser à la télévision], c’est douze mois donc pour un réalisateur ou un auteur, c’est le rêve. Donc on arrive à attirer de plus en plus de talents du cinéma et de la télévision parce que l’exercice est rigolo.

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Propos recueillis au Studio Gabriel à Paris (France) le 28 juin 2016.

 

En savoir plus :

  • 13ème Journée de la Création TV
  • Studio+ (site officiel)
Jean-Christophe Nurbel

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