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Week-end des Musiques à l'image 2016 image
© Laurence Henry
Bulles de Culture

[DOSSIER] Les Audi talents awards et le Week-end des Musiques à l’image 2016

Dernière mise à jour : février 16th, 2018 at 11:01 am

“Spike Lee is new yorker”

 

Cinéaste urbain, new-yorkais, grand documentariste, “étiqueté faussement comme étant un Noir en colère” selon Terence Blanchard, Spike Lee entretient une relation artistique et fraternelle avec le compositeur depuis 25 ans. L’acte de naissance de leur collaboration a été Jungle Fever en 1991. Lors de la masterclass animée par Stéphane Lerouge, Terence Blanchard a rappelé l’une des premières choses que Spike Lee lui ait dite : “I don’t like underscore !”

Spike n’aime pas qu’on souligne trop les choses. Il n’aime pas l’emphase,  que la musique change quand une porte claque par exemple.”
— Terence Blanchard

 

 

Terence Blanchard, un scénariste musical

 

À une époque où la musique de film glisse beaucoup vers l’abstraction, Spike Lee dit de Terence Blanchard qu’il est un génie de la mélodie, qu’il a une vraie veine mélodique et qu’il adore l’exploiter” précise Stéphane Lerouge.  “Terence Blanchard est un scénariste musical”. Sa musique raconte ce qui se joue dans les tréfonds de l’âme des personnages, des hommes de combat comme dans Malcolm X (1992), paradoxal, ou encore le personnage de Montgomery Brogan incarné par Edward Norton dans La 25e Heure (2002).

D’un côté, tout un combat pour les droits civiques des Noirs américains s’incarne dans une marche lente, funèbre, orchestrée en ouverture du film par Terence Blanchard. La musique, dans laquelle semble sonner l’heure du jugement dernier, accompagne une déclaration de haine de Malcolm X contre l’Homme blanc, le gouvernement américain, alors qu’à l’image se consume le drapeau des États-Unis, entrecoupé par une vidéo amateur montrant l’extrême violence du tabassage de Rodney King par la police de Los Angeles : “Brothers and sisters, I’m here to tell you that I charge the White Man. I charge the White Man with being the greatest kidnapper on Earth…”

Violente, incisive, tranchante, la séquence d’ouverture de Malcolm X accuse.

Fu Montage de Terence Blanchard

 

Dans La 25e Heure (2002), c’est le même thème qui revient dans le scénario de Spike Lee et dans la bande-son de Terence Blanchard, la même marche en arrière-fond, la même mélodie malléable. Mais cette fois-ci, au lendemain des attentats du 11 septembre, le personnage Montgomery Brogan déclare sa haine envers l’humanité entière dans une séquence qui fait directement référence au célèbre “You talkin’ to me ?” de Robert de Niro dans Taxi Driver. On se souvient de Travis Bickle, vétéran de la guerre du Vietnam de retour à New York qui, dans un délire paranoïaque, voulait nettoyer la ville de la vermine qui courrait dans ses rues : toxicomanes, proxénètes, dealers…

Dans La 25e Heure, face à un même miroir qui réfléchit la haine, toutes les communautés de New York sont passées au crible. Des pakistanais laveurs de vitres aux homosexuels de Chelsea, en passant par les bourgeoises liftées de East Upper Side, les Noirs qui jouent solo au basketball et qui n’ont toujours pas compris que l’esclavage est aboli aux États-Unis depuis plus de 150 ans aujourd’hui, sans oublier la fiancée “fucking bitch”, le père  alcoolique “looser”, Oussama Ben Laden, Jésus… Tout le monde y passe.

En fond sonore à cette déclaration de haine, le morceau Fu Montage de Terence Blanchard entraine le personnage dans une descente aux enfers. Cette marche semblerait presque irréversible s’il ne se glissait pas dans l’orchestration quelques notes de tendresse, d’espoir. Le mouvement s’inverse. Entre tendresse et haine, la musique a sa propre trajectoire, tantôt en phase, tantôt en contre-point avec l’image et les propos tenus. Elle oscille en crescendo jusqu’au point culminant du “No, fuck you Montgomery Brogan !” final qui renvoie au “fuck you, fuck me !” qui ouvrait la séquence. Si je te hais, je me hais. Et je me perds. Dans cette vision paranoïaque, c’est la musique de Terence Blanchard qui laisse entrevoir l’autre face du miroir de la haine. Elle est, comme le souligne Stéphane Lerouge, un entre-deux, “un trait d’union invisible” entre cette séquence centrale et la séquence finale du film dans laquelle Montgomery Brogan, libre et ayant pardonné à son père son irresponsabilité, retrouve l’amour.

Durant la masterclass à la Philharmonie de Paris, Stéphane Lerouge a évoqué une conversation qu’il a eu en coulisses avec ses deux invités, Terence Blanchard et Danny Kapilian, le producteur du concert The Movie Music of Spike Lee & Terence Blanchard qui a somptueusement clôturé le Week-end des Musiques à l’image 2016.  En coulisses, Stéphane Lerouge a cité Quincy Jones qui dit de la musique de film qu’elle est, pour lui, la meilleure façon de faire la synthèse entre les différentes cultures.

Laurence Henry

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