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© Khatia (Juda) Psuturi - Maneki Films / Easy Tiger / KAZAK PRODUCTIONS / Films Grand Huit

[Interviews] Vers un cinéma de guerre français ? Entretien avec Sophie Tavert et Gauthier Battoue

Dernière mise à jour : octobre 13th, 2020 at 06:39 pm

Interview croisée de Sophie Tavert et Gauthier Battoue, réalisateur.rice.s de MAD et À Distance

PORTRAIT GAUTHIER BATTOUE
© Lou Sarda

Gauthier Battoue débute à 16 ans en tant qu’acteur. Après quelques téléfilms, il poursuit sa carrière au cinéma dans Bonne Pomme de Florence Quentin ou encore dans Sales Gosses de Frédéric Quiring. Il a également joué au Théâtre de Poche-Montparnasse la pièce Chère Elena (4 nominations aux Molières) où il a été dirigé par Didier Long et Edmond d’Alexis Michalik. Il a tourné sa première fiction, À Distance, en 2017 et écrit actuellement son premier long-métrage.

Synopsis du film À Distance : 

Dans un lieu tenu secret, Sophie (Marina Hands) et Bruno (Damien Jouillerot) observent la vie de villageois au Moyen Orient depuis un drone qui vole dans le ciel. Il suffit qu’ils pressent la gâchette de leur joystick pour que quelqu’un meure à l’autre bout du monde.

MAD de Sophie Tavert Macian image cinéma film court-métrage
“MAD” de Sophie Tavert Macian © Julien Roche (photo de tournage)

Sophie Tavert Macian est scénariste et réalisatrice. Son premier film produit, Un amour, est sélectionné dans quelques festivals prestigieux comme Clermont, Uppsala, etc. Son court-métrage MAD, produit par les Films Grand Huit, a été sélectionné au Festival du Court Métrage Clermont-Ferrand et a obtenu le prix du Festival Kinoma en 2018. Elle s’attelle actuellement à l’écriture de son premier long-métrage en tant que réalisatrice.

Synopsis de MAD :

Madeleine (Nina Meurisse), journaliste de guerre, est en reportage dans une zone de conflit armé. Un soir, Mazen (Hamza Meziani), un citoyen reporter, fait irruption dans dans la cache où elle vit.

“Comment reste-t-on humain dans un contexte destructif ?”

À distance de Gauthier Battoue affiche film cinéma court-métrage

Bulles de Culture : Il y a une tendance en France à retourner vers le film de genre, représentée par le succès de Grave de Julia Ducourneau. De quelle façon cette tendance peut-elle enrichir le cinéma français ?

Gauthier Battoue : Il faut que nous apprenions à faire du genre en restant français. Grave n’essaie pas de ressembler à un film américain, il a son identité, avec des personnages français, des intrigues que des Français pourraient vivre, et c’est pour ça que le film est bon. La greffe prend à ce moment-là. Si tu essaies de copier un américain en te disant “Tiens j’ai kiffé ce film d’horreur ou ce film de genre, je vais lui piquer des trucs et mettre des mecs qui parlent en français”, ça ne marche pas.

Pour moi le vrai pari c’est d’arriver à rester sobre puisqu’on n’a pas beaucoup de moyens, surtout sur un premier film, et d’arriver à faire quelque chose de percutant. Ni le ciel et la terre de Clément Cogitore, c’est deux montagnes, des soldats entre les deux montagnes et pourtant tu es accroché. Il ne faut pas avoir honte en tant que français de faire de la création. Des séries comme Fais pas ci, fais pas ça ou Le Bureau des Légendes ont de vraies identités françaises et c’est pour ça que ça marche.

Si tu y vas en prétendant que tu vas faire du Katherine Bigelow ou du Clint Eastwood, tu n’arriveras pas à toucher le grand public. Dire que tu veux raconter une histoire en étant sincère, c’est le seul moyen d’y arriver. Sur ce créneau-là, il n’y a personne alors qu’il est référencé de manière nette : c’est donc qu’il y a une place à prendre, et il faut la prendre.

MAD de Sophie Tavert Macian affiche cinéma film court-métrageSophie Tavert : Les films de guerre qui m’ont vraiment marquée ont rarement été des films américains ou de très grosses productions guerrières. Ce sont plutôt des films indépendants, par exemple Kippour d’Amos Gitai ou même Flandres de Bruno Dumont, que je trouve intéressant dans son genre. Également des films russes.

Je pense que le cinéma français peut être intéressant dans cette catégorie de films indépendants qui essaient d’apporter une vision moins grandiloquente, moins spectaculaire de la guerre. De creuser cet os pour en tirer la substantifique moelle, qui est très mystérieuse. Comment reste-t-on humain dans un contexte destructif ? Le cinéma français n’a rien à apporter au film de guerre si ce n’est cette vision d’auteur que l’on a toujours eue, que l’on a toujours défendue.

“Le danger est de vouloir faire de la morale, de la politique, un truc trop orienté”

À distance de Gauthier Battoue image film cinéma court-métrage
“À distance” de Gauthier Battoue © Easy Tiger

Bulles de Culture : Existe-t-il un cinéma de guerre français indépendant ?

Sophie Tavert : Il y en a peu, voire pas. C’est vrai que c’est étonnant qu’il y ait deux films dans la sélection du Festival Kinoma sur ce sujet-là. Après, mon inspiration, elle est autre. Le seul genre cinématographique qui m’intéresse vraiment c’est le film de guerre, mais l’idée ne m’est pas venue de ce genre-là.  Le film est né pendant un concours de scénario, le Marathon d’écriture du court métrage en 48 heures de Valence [NDLR : Le scénario de MAD y a remporté gagné le Grand prix]. Je ne me serais jamais autorisée à faire un film de guerre en dehors de ce cadre. C’est après que le film est devenu important et que j’ai eu envie de le faire. Il y a une forme d’autocensure.

Bulles de Culture : N’était-ce pas intimidant de prendre à bras le corps des sujets aussi pointus et délicats, notamment par leur actualité ?

Gauthier Battoue : J’ai hésité parce que les attentats ne sont pas si loin, on n’a pas encore de recul sur le sujet. On a tous un pote ou on est à une poignée de main de quelqu’un qui a été témoin du massacre. Mais je trouve que le cinéma en ce sens change, il y a de moins en moins de temps entre les événements et leur traitement dans les films. La Seconde Guerre mondiale a mis vingt ans à être traité dans les films et Zero Dark Thirty est arrivé dix ans après les attentats.

À distance de Gauthier Battoue image film cinéma court-métrage
“À distance” de Gauthier Battoue © Easy Tiger

Le danger est donc de vouloir faire de la morale, de la politique, un film trop orienté. C’est pour ça que pour le long-métrage, qui est en cours d’écriture, je me concentre sur les personnalités, je veux faire quelque chose d’intimiste. Je veux être à échelle humaine, pas me lancer dans un projet dont je n’ai pas les moyens intellectuels. C’est laissé à des journalistes ou à des historiens dans quelques années, moi je veux faire des films sur les humains dans une situation actuelle.

Zoé Klein

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