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Critique / “Reine de cœur” (2022) de Akira Mizubayashi

Après Âme brisée et son violon, Akira Mizubayashi demeure fidèle aux instruments à cordes  frottées dans son dernier roman, Reine de cœur, paru chez Gallimard, en mettant en scène des altistes. L’auteur déploie une œuvre attachante, sombre, profonde, animée par la beauté et la force de la musique. Reine de cœur, approfondit des thèmes qui sont chers à son créateur comme la transmission entre générations, les secrets de famille, les hasards de la vie, la guerre, l’avilissement humain, l’exercice de l’art musical, l’enrichissement entre cultures française et japonaise, l’amour de la langue française. La critique et l’avis sur le film.

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Reine de cœur, Akira Mizubayashi n’hésite pas à croiser les temporalités

Découpé en cinq mouvements, traditionnellement quatre pour une symphonie, le roman d’Akira Mizubayashi n’hésite pas à croiser les temporalités depuis la veille de la seconde guerre mondiale jusqu’au début du XXIe siècle, qui donnent toute sa richesse à Reine de cœur. Dans le premier mouvement intitulé Un homme, deux femmes, le lecteur fait la connaissance du soldat Jun Mizukami, appelé à combattre en 1939 alors qu’il était un jeune élève japonais au Conservatoire de Paris.

Altiste, il a appris le français depuis l’âge de six ans, « mais vous savez, c’est une langue difficile, le français ». Chaque midi il devint un fidèle client du bistrot Chez Fernand, du nom du bienveillant propriétaire, en charge de sa nièce Anna, renfort efficace aux heures des repas. « Le musicien-philosophe », et la future institutrice se charmèrent rapidement mais la guerre interrompit cette idylle, Jun ayant du rentrer au Japon. Deux mois avant la fin de la guerre, une jeune infirmière à l’hôpital militaire de Tokyo, Ayako, se partage entre hommes abimés ou détruits au combat, bombes, et sa mère atteinte de typhoïde. Elle réussit à survivre à ces épreuves dans des conditions déplorables. Ce premier mouvement bascule d’éphémères instants de bonheur en d’abondants moments d’horreurs causés par la guerre.

À l’issue d’un concert, de nombreuses années plus tard, en 2007 à Paris, Mizumé, une jeune altiste prometteuse, premier alto solo de l’Orchestre philarmonique de Paris, est complimentée par un voyageur rencontré dans un bus. Tant il a été impressionné par son interprétation de Chostakovitch « entrée en résonnance avec un livre » qu’il vient de finir, L’oreille voit, l’œil écoute, il lui donne Le Monde des livres qui en parle. L’achat immédiat du bien précieux, est porté aux nues par son libraire, qui y voit « le portait d’un musicien résistant broyé par la violence de l’Histoire ». À sa lecture résonnent en elle « certains extraits de la 11e symphonie de Chostakovitch » qu’elle maîtrise si bien. Le livre renferme quelques similitudes avec ce qu’a vécu sa grand mère Nanou, pour le peu qu’elle connaisse. Une visite à sa mère à Brive et la sollicitation d’un rendez vous avec Oto Takosch, l’auteur du livre, vont espère-t-elle lui apporter quelques éclaircissements sur ses interrogations.

Roman visuel et très sonore

Pour découvrir ce qui se cache derrière La musique de l’eau et Le prince ses sons ou de la musique, il faut prendre le temps de lire les 3e et 4e mouvements de Reine de cœur. Le roman se révèle très visuel et très sonore avec l’explosion de nombreuses scènes de guerre et de multiples musiques. Ainsi se croisent des œuvres de Richard Strauss, Don Quichotte, La Symphonie concertante de Mozart, ou la 8e symphonie de Chostakovitch (indument appelée Stalingrad), véritable cri contre la guerre, ainsi que sa 11e symphonie dite L’Année 1905 en hommage à l’insurrection de décembre à Moscou. Le chapitre 32 (pages 201 à 211), celui du concert sous la baguette d’Andris Nelsons, le célèbre chef d’orchestre letton, projette le lecteur dans les fauteuils de « la grande salle du Théâtre des Champs-Élysées » où il vit intérieurement la 8e symphonie qui « exprime avec des moyens propres à la musique toute la violence de la guerre et ses effets ravageurs sur le psychisme humain. » L’écriture fait corps avec l’orchestre, par sa précision, sa force, ses contrastes, ses nuances.

Musiques apaisées et violentes sont un des éléments centraux de ce roman sur la mémoire, les secrets de famille. Entre déchirements et délabrements dus à la guerre, les survivants se confièrent très peu. Sans leurs écrits, leurs mémoires auraient été effacées. Dans Reine de cœur, au style épuré, à la plume délicate, entre un alto Gasparo da Salo de 1565 et celui de Masakuchi Suzuki, les personnages, sensibles, tout en retenue, se meuvent avec amour, passion, au milieu des pires atrocités de l’humanité. Akira Mizubayashi tisse un roman subtil, prenant et émouvant.

En savoir plus :

  • Reine de cœur, Akira Mizubayashi, Gallimard, mars 2022, 240 pages, 19,00 euros
  • Âme brisée, Akira Mizubayashi, Gallimard, août 2019, 256 pages, 19,00 euros – Folio, mai 2021, 272 pages, 8,20 euros
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