François-Henri Désérable aime à changer d’univers à chaque nouveau roman, en demeurant fidèle à Gallimard. Le remarqué Tu montreras ma tête au peuple, sous la révolution, Évariste, la vie romancée du brillant mathématicien Évariste Gallois, Un certain M. Piekielny, personnage échappé de La Promesse de l’aube de Romain Gary, ont tous fait l’objet de nombreux prix. Titre d’un poème de Paul Verlaine, Mon maître et mon vainqueur est désormais aussi celui du dernier roman de l’ex-hockeyeur professionnel, une histoire d’amour insoluble au XXIe siècle. La critique et l’avis.
Mon maitre et mon vainqueur, d’un poème de Verlaine au livre
Le narrateur, projeté dans le bureau d’un juge d’instruction, déjà rencontré par certains lecteurs puisque emprunté à Tanguy Viel dans son Article 353 du code pénal, doit témoigner sur une affaire concernant ses deux meilleurs amis, Tina et Vasco. Rien ne dit précisément pourquoi il a été convoqué. Peut-être s’agit il d’un accident, d’un suicide ou d’un meurtre. La seule chose qu’il sait, c’est que Vasco se sentant menacé, avait acquis une petite matraque télescopique, à défaut de pouvoir acquérir une arme de poing chez un armurier.
Tout va tourner autour d’un banal cahier Clairefontaine, grand format de 96 pages, sur la couverture duquel est écrit au feutre, « Mon maître et mon vainqueur ». Y sont réunis des poèmes et des haïkus, une vingtaine, qui constituent un véritable rébus de la vie de Vasco. Et il y a également le scellé no 1 constitué du Lefauchaux à six coups de calibre 7 mm, inoubliable pour son passé historique, qu’il a eu l’occasion de tenir en mains, mais il n’est pas question de l’évoquer avec le juge. Il lui faut éviter de nuire à Vasco en quoique ce soit.
Témoin et décrypteur des écrits de son ami, tel est le rôle assigné au narrateur. Il s’engage à ne pas mentir, mais rien ne l’oblige à être trop précis ou à tout devoir dire au juge. Rester flou ou incomplet, en se concentrant sur l’indispensable, telle est la ligne de conduite qu’il s’assigne. Mais pour le lecteur, la vie de Vasco, Vincent Ascot, est entièrement dévoilée ainsi que celle qui l’a ensorcelé dès leur première rencontre, Tina, jeune comédienne, qui lors d’un interview radiophonique n’hésita pas à déclamer des poèmes de Verlaine, dont elle est inconditionnelle, et de Rimbaud, plutôt que de parler de sa pièce ou d’elle même.
“D’une plume pleine de légèreté”
Prêt à tout, ne reculant devant aucun obstacle, Vasco, demeure avant tout un adolescent dans son cœur, dévoré par un amour irraisonné. Pour s’imposer à la jeune femme en pleins préparatifs de mariage avec Edgar, brillant fonctionnaire au Ministère des Finances, homme candide et naïf au foyer, légèrement falot, Vasco déploie son imagination la plus débridée. Son métier de bibliothécaire à la BnF et les richesses de ses réserves facilitent la conquête de la mère des jumeaux, Arthur et Paul. Cette passion incandescente résiste à tout durant un long moment, avant que des grains de sable n’enrayent sa dynamique. La raison revient, dictée avec fermeté par le futur mari.
Qu’il s’agisse de vols, de cadeaux saugrenus, d’achat irraisonné, Vasco n’a aucune limite. Rien ne semble trop beau, trop original, pour Tina. Témoin privilégié de cette attirance réciproque, le narrateur, véritable confident, connaît également les pires instants de désespoir de ses amis, conduisant aux pires extrémités. Les échanges entre le juge et le narrateur sont savoureux, avec les non-dits qui s‘accumulent, les mensonges par omission, ainsi que les explications techniques sur les poèmes, leurs spécificités.
Notre avis ?
Mon maître et mon vainqueur, met à l’honneur Rimbaud et Verlaine dans des instants de leur rupture. D’une plume pleine de légèreté, allègre, François-Henri Désérable, décortique avec talent les tourments d’un désir dévorant, avec humour, un zeste d’ironie. Dans ce nouvel opus, très réussi, au charme indéfinissable, le plaisir d’écrire de l’auteur transparaît à chaque page en transmettant sa jubilation au lecteur.
En savoir plus :
- Mon maître et mon vainqueur, François-Henri Désérable, Gallimard, août 2021, 192 pages, 18 euros
- Critique / “les poissons de Caracas” (2024) de Vicente Ulive-Schnell - 2024-09-14
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Lire ce roman est un moment agréable. Il nous entraîne dans une histoire dont certaines idées sont très réussies. La fin est piquante et non envoie dans un univers donquichottesques. Par contre le prix ne me paraît pas approprié. Surtout venant de l’Académie française. J’ai laissé un commentaire un peu plus long sur : https://www.antoine-alexiev.com/mon-matre-et-mon-vainqueur-dsrable. Votre avis m’intéresse.