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LOS DELINCUENTES critique avis film 2023
Copyright Arizona Distribution / JHR Films

Critique / “Los Delincuentes ” (2023) de Rodrigo Moreno présenté au Festival de Biarritz Amérique Latine

Après une présentation cannoise dans la sélection Un certain Regard au Festival de Cannes, Los Delincuentes est sélectionné hors compétition du Festival de Biarritz Amérique Latine. La critique et l’avis sur le film de Rodrigo Moreno.

Synopsis :

Morán, un employé de banque modèle, décide de voler l’équivalent de 25 ans de travail quitte pour cela à passer trois ans en prison. Il propose à un collègue de conserver chez lui le butin. Une telle décision remet en cause toute la routine de leur vie de manière irrémédiable.

Los Delincuentes : l’art de la digression et des fausses pistes

Il faut remonter à 2007 avec El Custodio pour retrouver le dernier film distribué en France de Rodrigo Moreno. Le retour en grâce se fait ici par le biais d’une sélection tout d’abord au festival de Cannes 2023 en sélection Un Certain Regard et suivi d’une sortie en salles en France prévue pour le 27 mars 2024.

De prime abord, ce film se manifeste en deux parties autour de deux personnages antagonistes qui se partagent le récit. Sur près de trois heures de séquences successives, Los Delincuentes quitte les cadres classiques du cinéma pour inviter pleinement au champ large de la force d’expression cinématographique illustrée ces dernières années avec panache et une conviction rare dans le cinéma argentin par Mariano Llinás (La Flor) et Laura Citarella (Trenque Lauquen).

Comme chez ces deux cinéastes de la compagnie El Pampero Cine, on retrouve dans Los Delincuentes de Rodrigo Moreno l’art de la digression, des fausses pistes de narration classique (notamment avec le film de hold up), les allers et retours temporels, les destinées individuelles qui sont fondamentalement bouleversées par des rencontres inattendues, des lieux loin de la capitale qui inspirent autant de nouveaux récits inépuisables et une alternative de vie pour les protagonistes. L’actrice iconique Laura Paredes fait en outre le lien entre tous ces films par une interprétation redoutable et inoubliable.

Deux employés de banque modèles sont invités à remettre en cause leur adhésion au fonctionnement aliénant du capitalisme qui broie jusqu’à l’épuisement de leurs rêves comme de la spontanéité de leur rapport au monde.

La décision méthodique de l’un d’eux à prendre le chemin de ladite délinquance comme forme de révolte est le point de départ qui exprime le surgissement de la pensée comme organisation imparable du monde comme d’un parcours de vie.

La forme libre de la narration comme exercice d’émancipation

LOS DELINCUENTES critique avis film 2023
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La révélation pour le duo Morán/Román dont les prénoms sont des mises en miroir témoignant de la gémellité de leurs caractères et de leurs décisions, passe par une vie alternative à la campagne loin de la capitale Buenos Aires avec son absence d’horizon, auprès des sœurs Norma et Morna.

Le cinéaste se joue ainsi de la formation des prénoms à l’instar d’une séquence autour des noms de ville et affirme ainsi l’ensemble du récit comme une grande fable qui s’émancipe de la contrainte du réalisme terre à terre au profit d’une convocation beaucoup plus large des fictions qui traversent un film comme l’imaginaire du public qui l’interprète.

Rodrigo Moreno n’hésite pas non plus à confier au même acteur Germán De Silva deux rôles distincts de chef rude et intraitable au service de la possession du capital pour réaffirmer que le réalisme et la vraisemblance du réel sont de fausses pistes pour interpréter le film.

Comme pour Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock, le vol initial d’une importante somme d’argent n’est qu’un prétexte à faire entrer le personnage dans un tout autre récit, lui qui est dans le désir d’une autre fiction au cœur de sa vie.

La forme libre de la narration comme exercice d’émancipation d’un ordre du monde est ici porté par une mise en scène audacieuse avec un minimalisme qui confine les ressources de fiction à l’essentiel. Le tout est rendu possible grâce avec la complicité d’une troupe d’acteurs et d’actrices particulièrement investie à donner corps à cette fable contemporaine où l’asservissement du citadin dans un monde capitaliste argentin retrouve sa liberté originelle de gaucho dans la pampa argentine.

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Cédric Lépine

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