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Dernière mise à jour : mars 21st, 2024 at 10:01 pm
Alors que le phénomène Oppenheimer (2023) de Christopher Nolan débarque aujourd’hui en salles, Ivan Kiriow, scientifique et auteur du livre L’énigme Robert Oppenheimer, revient pour Bulles de Culture sur la personnalité complexe et tourmentée de celui qui fut stigmatisé comme « le père de la bombe atomique ». Le scientifique donne également des explications et une analyse sur certains passages d’Oppenheimer.
Synopsis :
Oppenheimer est une plongée dans l’univers palpitant de l‘homme complexe qui a mis en jeu la vie du monde entier pour mieux le sauver.
« Je m’intéresse depuis plusieurs années à l’implication des scientifiques dans les projets militaires »
Bulles de Culture : Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la personnalité de Robert Oppenheimer ?
Ivan Kiriow : A l’origine, Oppenheimer était un pur théoricien. Pourtant, il a participé au projet Manhattan qui a permis de fabriquer la première bombe atomique aux États-Unis, utilisée ensuite sur les villes Hiroshima et Nagasaki.
Je m’intéresse depuis plusieurs années à l’implication des scientifiques dans les projets militaires. Au cours de mes recherches, je me suis rendu compte que l’histoire d’Oppenheimer était complexe. Je connaissais notamment la chronique de son audition devant une commission d’enquête qui lui a retiré son accréditation de haute sécurité en pleine chasse aux sorcières.
Bulles de Culture : On voit dans le film que la science atomique a été découverte par des physiciens juifs qui ont fui l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Parlez-nous un peu de cette fuite de talents qui a permis aux alliés de reprendre le dessus scientifiquement pendant le conflit…
Ivan Kiriow : Il y a eu un passage brutal entre la physique quantique et la pratique. On avait déjà connu l’utilisation du gaz pendant la Première Guerre mondiale. Un certain nombre de physiciens, dont Oppenheimer, avait la volonté de séparer la science de la guerre.
La fuite des cerveaux a été déterminante pour le Projet Manhattan. Les Allemands se sont tirés une balle dans le pied en faisant fuir les physiciens d’origine juive. Ils n’aimaient pas la physique quantique car ils considéraient que c’était une science juive.
« C’était la première fois que l’homme pouvait orchestrer sa propre destruction »
Bulles de Culture : Christopher Nolan associe la bombe atomique au mythe de Prométhée. Dans votre livre, vous évoquez également à plusieurs reprises le caractère divin de cette arme, comme si l’homme pouvait désormais se prendre pour Dieu. Etait-ce une réflexion qui était réellement envisagée à l’époque ?
Ivan Kiriow : Cela a effectivement été invoqué à l’époque de la création de l’arme atomique. Elle était tellement apocalyptique que c’était la première fois que l’homme pouvait orchestrer sa propre destruction.
Le mythe de Prométhée, qui dans la mythologie grecque vole le feu sacré de l’Olympe pour en faire don aux humains, est une métaphore utilisée par Nolan qui est particulièrement adaptée au sujet. Les détracteurs d’Oppenheimer lui reprochaient également de se prendre pour Dieu, notamment l’un de ses anciens amis qu’on voit dans le film.
Bulles de Culture : La différence entre la bombe A et la bombe H est au cœur du long métrage. Comment vulgariser à l’extrême la différence entre les deux pour mieux comprendre les enjeux du film ?
Ivan Kiriow : La bombe A est le résultat d’une fission nucléaire. Le noyau d’une molécule, bombardé par un neutron, se sépare en deux. En se séparant, il produit de l’énergie et déplace les neutrons. Ces derniers vont ensuite heurter d’autres noyaux qui vont à leur tour se séparer et entrer en fission.
C’est ce qu’on appelle la réaction en chaine. Quand elle contrôlée, on peut en faire de l’énergie, comme dans un réacteur nucléaire.
En revanche, si la réaction n’est pas contrôlée, il y a une explosion. C’est ce qui s’est produit à Hiroshima et Nagasaki.
La bombe H est le résultat d’une fusion. Deux noyaux d’hydrogène vont se regrouper pour former un noyau d’hélium. On pourrait croire que l’explosion issue de la fission est plus importante que celle issue de la fusion. C’est tout le contraire car la bombe H est en réalité la résultante de deux étapes consécutives : d’une part, une fission classique, similaire à la bombe A, puis une fusion suivie d’une combustion des molécules d’hydrogène.
Par exemple, une bombe H serait environ 1 000 fois plus puissante que la bombe à fission larguée en 1945 sur Hiroshima.
Puisque la première étape de la bombe H est une fission, on comprend bien pourquoi il faut maitriser les techniques de la bombe A pour créer une bombe H. C’est d’ailleurs tout l’enjeu du film.
Alors qu’Oppenheimer a participé aux travaux pour la création de la bombe A, c’est en voyant les conséquences sur les deux villes japonaises que ce dernier, pris de remords, a voulu s’opposer à l’utilisation militaire de la bombe H.
C’est cette vive opposition qui a très certainement poussé ensuite le gouvernement à faire une enquête sur le scientifique durant la Guerre froide pour lui retirer in fine son habilitation nucléaire.
« Le long métrage Oppenheimer de Christopher Nolan restera certainement une référence parmi les films évoquant la physique quantique et le nucléaire »
Bulles de Culture : Après cette commission d’enquête désastreuse, peut-on parler d’une réhabilitation de Robert Oppenheimer en 1963 ?
Ivan Kiriow : Elle est toute relative. En 1963, soit dix ans après la commission d’enquête, il y a eu la volonté du gouvernement des États-Unis de racheter ses erreurs passées en lui remettant un prix sous l’impulsion de Kennedy.
Néanmoins, il ne retrouva pas son habilitation nucléaire pour autant. C’est seulement l’administration Biden qui a annulé officiellement la décision de la commission d’enquête et qui a réhabilité totalement Oppenheimer.
Bulles de Culture : Qu’avez-vous pensé du film de Christopher Nolan ?
Ivan Kiriow : Je le trouve très réussi. Il explique de manière assez précise les enjeux autour d’Oppenheimer avec un travail remarquable sur la genèse de la physique quantique. Le film ne fait pas qu’évoquer le projet Manhattan mais revient aux prémices des projets scientifiques.
Le long métrage de Christopher Nolan restera certainement une référence parmi les films évoquant la physique quantique et le nucléaire.
En savoir plus :
- Date de sortie France : 19/07/2023
- Distribution France : Universal Pictures International France
- L’énigme Robert Oppenheimer, Ivan Kiriow, éditions Larousse, 5 juillet 2023, 256 pages, 15.95 euros
Top 3 Cinéma : "Moulin Rouge !" (2001), "Titanic" (1997), "Les Parapluies de Cherbourg" (1964)