Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 02:34
Les Éditions Bruno Doucey publient – et c’est une première en français – Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes, un recueil de poèmes de Ceija Stojka, première femme rom à avoir témoigné de l’horreur des camps d’extermination. L’avis de Bulles de Culture sur cette œuvre bouleversante et coup de cœur.
Synopsis :
Trois sections thématiques : « Je suis une Tsigane bon teint » ; « Auschwitz vit et respire en moi » ; « Raconte-moi ». Il est question dans Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes de violences et de mort, mais aussi de la fierté d’être Tsigane, de la vie qui reprend malgré tout sur le modèle d’une nature qui ne s’arrête jamais. Un vocabulaire simple, une naïveté déconcertante, et pourtant, à travers la clarté de l’évidence, une parole poétique riche, belle, forte.
Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes : Un voyage dans la nécessité du dire
![♥ [Critique] "Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes" de Ceija Stojka 2 photo Ceija Stojka](https://bullesdeculture.com/bdc-content/uploads/2018/01/photo-ceija-stojka-c-christa-schnepf-2048x1536.jpg)
Ceija Stojka est revenue d’Auschwitz, de Bergen-Belsen, de Ravensbrück, et ce chapelet d’horreurs et de souffrances est devenu son corps. Ce que l’on exige pourtant d’elle à son retour, c’est le silence. Chez les Tsiganes, on refuse que des mots soient mis sur l’indicible. Quand elle comprend enfin que le silence la tuera, Ceija Stojka apprend la langue germanique et commence à écrire en autodidacte. Elle viendra ensuite à la peinture, laissant derrière elle plus de mille toiles dont certaines ont été présentées à Marseille en avril 2017 et donneront lieu à une exposition à La Maison Rouge à Paris du 23 février au 20 mai 2018.
Une fois la prison du silence brisée, Ceija Stojka n’aura ainsi de cesse de dire les camps de la mort, de dénoncer la cruauté, le racisme. Elle parlera par nécessité, trouvant dans les arts une échappatoire, une arme, et offrant généreusement à tous la richesse de son témoignage. C’est un cadeau, un don d’une bienveillance incroyable, un bijou de vaillance, de courage et d’abnégation qu’Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes nous livre.
Un voyage dans la langue
Ceija Stojka a écrit sur le fil, dans des carnets. Ses poèmes ont fleuri autour de souvenirs, de dessins, de listes de vocabulaire. Sa syntaxe est libre, dégagée de toute contrainte grammaticale, typographique, lexicale. Sa langue est cependant puissante, d’une clarté déroutante. Comme si l’horreur devait se découvrir sous des mots simples. Comme si dire l’indicible devait prendre la forme de l’évidence.
Ce sont les yeux de la petite fille qui paraissent nous guider dans ces lieux effroyables où tant de ceux qu’elles connaissaient ou côtoyaient sont morts. La mort est omniprésente dans ces textes de souvenirs, mais elle tient compagnie à une nature qui s’acharne à poursuivre son rythme de saisons, son chant de vie. Ce lien très fort qui unit l’auteure à la nature traverse d’ailleurs Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes. Ce lien-là est un espoir, un refuge, une présence, la certitude de lendemains, d’un avenir, d’un après. Cette présence de la nature émeut, touche, bouleverse dans ce qu’elle révèle de Ceija Stojka : une force extraordinaire.
Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes : La nécessité de la vie
Ce que le recueil Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes nous offre également, c’est un rapport au monde tout empreint de sensibilité, d’écoute, de partage. Ceija Stojka dévoile ainsi une révolte toute contemporaine, celle que suscite chez elle le racisme de l’Autriche envers les Roms, celle de l’injustice du terme même de « minorité ». La limpidité de ses textes ne rend que plus indécent l’affront injurieux.
Ce qu’elle chante enfin, c’est un « Oui à la vie », c’est l’importance de prendre conscience que la vie est un don, que la nature doit en cela être notre maître, notre guide. Ceija Stokja ne nie pas la tristesse, ne prône pas l’oubli. Elle chante la nécessité d’une vie en harmonie avec soi, en paix avec ses morts. Car il y a de la vie dans leur mort : ceux qui nous ont quitté restent dans ces lieux damnés de souffrance qu’ils hantent, certes ; mais ils sont aussi dans le ciel qui se couvre et se découvre, dans la chrysanthème blanche qui reste un lien intime avec le père, dans la pulsation de cette vie végétale et animale, à l’image de la fourmi travailleuse, appliquée, acharnée. Ceija Stojka chante le besoin d’écouter et de saisir cet élan vital qui doit faire vivre des lendemains de paix. C’est un livre coup de cœur de Bulles de Culture.
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- Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes, Ceija Stojka, traduction de François Matthieu, préface de Murielle Szac, Éditions Bruno Doucey, collection “En résistance”, 1er février 2018, 121 pages, 15 euros
- Ceija Stokja a été exposée à la Friche la Belle de Mai à Marseille (France) du 11 mars au 16 avril 2017
- Ceija Stokja sera exposée à La Maison rouge à Paris (France) du 23 février au 20 mai 2018
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Merci pour ce bel article. Il y manque cependant une chose: le nom du traducteur sans qui ce recueil n’existerait pas.
François Mathieu… le traducteur