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Ainsi soient-ils saison 3 - image
© Zadig Productions

Interviews / David Elkaïm et Vincent Poymiro (“Ainsi soient-ils”)

Dernière mise à jour : septembre 23rd, 2020 at 05:19 pm

“Chaque homme doit se confronter tout le temps à ses problématiques”

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© Nathalie Mazaeas

Bulles de Culture : A propos des personnages d’Ainsi soient-ils, vous saviez déjà comment ils allaient évoluer quand vous les avez construits ?

David Elkaïm : Quand on les construit, on les construit avec une problématique. On va forcément les mettre dans des situations qui vont les mettre en conflit, suivant la problématique que l’on a imaginé. Après, elle marche ou pas, c’est à l’écriture que l’on voit si ça marche ou pas.

Par exemple, notre personnage de José (Samuel Jouy), qui vient d’un univers des bas-fonds, qui a fait de la prison, qui a tué un homme, il cherche la rédemption. Sa rédemption le mène jusqu’à taper à une porte de séminaire, mais il est toujours quand même traversé par ses démons, des accès de violence… Voilà, est-ce que ça, ça peut fonctionner sur trois saisons ou pas ?

Évidemment, quand on part dans l’écriture du personnage, au tout début, on n’en sait rien. On fait en sorte, en creusant, en creusant, et en creusant le personnage, que cela puisse s’étendre sur trois saisons. Si dès le début, on sent qu’il y a encore des trappes — “D’où ça vient cette noirceur, au-delà du fait que c’est quelqu’un qui a vécu dans la prison, dans des endroits compliqués ? Est-ce qu’il n’y a pas une autre trappe ? Est-ce que cela vient de son enfance ? etc. etc.” —, cela veut dire qu’il a une problématique suffisamment forte pour que cela tienne sur les trois saisons.

On sait à peu près ce que l’on veut raconter sur le personnage, comment on veut le mettre en conflit. Après, où il aboutit à chaque fin de saison, on ne sait pas forcément. On tâtonne, on a une vague idée, on se dit : “Tiens, ça serait bien de l’amener là”. D’ailleurs, c’est toujours la même chose. Si on le mène trop loin, est-ce qu’on en aura assez pour la saison suivante ? Si on ne le mène pas assez loin, cela veut dire que sa courbe va être assez faible.

Donc, il y a tout un jeu comme ça. Notamment, sur un personnage comme José en fin de saison 1, on le ramène quasiment à son point de départ. Donc quelque part, quand il revient en saison 2, même si physiquement, il a gardé une blessure supplémentaire, il n’a pas forcément évolué par rapport à la saison 1. C’est ce qui nous intéressait d’ailleurs.

Un personnage de série, c’est toujours un peu la même chose qu’il revit suivant des situations différentes, mais quelque part, il est toujours confronté au même problème, voire maximisé à chaque saison ou alors, une fois qu’il a réglé le problème, en réalité, c’était pas celui-là, il y en avait un autre derrière. La progression dramaturgique reste toujours complexe. On ne va pas régler nos problèmes en trois saisons.

Vincent Poymiro : On ne va jamais régler nos problèmes (rires) !

David Elkaïm : J’espère pas mais j’espère que si quand même (rires) !

Vincent Poymiro : Mais c’est aussi en cela que le sériel rejoint la vie. Parce qu’une forme narrative porte en soi quelque chose qui est de la répétition. Enfin ça dépend, mais la série nous permet d’observer cet aspect de l’existence qui est : chaque homme doit se confronter tout le temps à ses problématiques et à chaque fois, il tente avec son énergie, parce qu’il veut s’en sortir, parce qu’il en a marre, il veut changer, il veut comprendre, il y met toute son énergie et peut-être cela l’amène quelque part et à un moment donné, boom ! Il se le reprend dans la gueule.

C’est ça l’idée de la série, on veut qu’à chaque fois, la problématique de saison du protagoniste, ça le piège, ça le fout dans la merde et qu’il mette toute son énergie pour s’en sortir, et qu’à un moment, on a vraiment l’impression qu’il a vraiment avancé… En même temps, il y a un truc qu’il n’a pas vu et qu’il va se reprendre dans la gueule à la saison suivante et ainsi de suite.

David Elkaïm : Mais la réflexion sur le personnage, elle est extrêmement importante au début. Il faut qu’on ait assez de matière pour la faire tenir sur trois, quatre, cinq saisons.

Vincent Poymiro : C’est un peu comme un soleil. Il y a ces espèces de réactions qui alimentent le tout, qui alimentent son conflit sans que cela se répète. La combustion reprend tout le temps mais pas de la même manière et ce n’est jamais le même foyer.

David Elkaïm : Si on regarde la problématique de Guillaume, il rentre au séminaire avec un passé, il vient du terrain social. Il a connu dans sa vie des amours avec des hommes, donc rentrer au séminaire en ayant décidé de faire une croix là-dessus ou faire une croix sur cette sexualité, on va forcément, nous, en tant qu’auteur, tenter de le remettre dans sa problématique. Si on pose cela sans que cela ne soit plus jamais un problème, cela n’est pas intéressant.

Du coup, notre personnage va vivre sa problématique tout au long de la saison. Sa problématique, ce n’est pas lui qui la règle d’ailleurs. C’est son compagnon qui s’en va, qui le décide. Donc, son problème n’est pas réglé. On pense qu’il est réglé puisque l’homme qu’il aime le quitte, mais ce n’est pas vrai puisque ce n’est pas le choix de Guillaume.

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Il vit mal quelque part sa position dans le séminaire. Il rentre dans une forme de radicalisme, il cherche un maître mais ça marche pas et puis boom ! Emmanuel revient dans sa vie, et en saison 3, quatre ans plus tard, il a fait ce choix que certains prêtres ont fait, de ne pas choisir. Il mène une double vie et évidemment, ça non plus, ça ne va pas…

Vincent Poymiro : On en parlait ce matin, mais il n’y a pas que chez les catholiques que quelque chose coincent avec la sexualité. Chaque être humain a quelque chose de mal goupillé en lui, entre l’amour, le sexe, le corps, l’esprit… Celui qui prétend le résoudre ment et en plus, perd quelque chose de l’humain.

On est défini par quelque chose d’étrange et libre en nous qui fait que l’on se pose continuellement la question de savoir ce qu’est notre désir, de savoir si ça a un rapport avec l’amour, de ce qui nous lie entre nous. Du coup, typiquement, la religion chrétienne prend position la-dessus, demande à ses cadres de faire le sacrifice d’une forme de sexualité génitale, cela veut dire que cela met en avant un truc, et ça rend cette problématique encore plus exacerbée, c’est vrai.

En tout cas, cette problématique est rendue visible et exacerbée par la nature de l’engagement que l’on demande aux prêtres et cela nous permet aussi de traiter cela. En tout cas, je suis persuadé que c’est nous qui pensons être normaux dans le monde et n’avoir aucun problème avec la sexualité, mais en fait, nous avons autant de problème avec la sexualité que nos prêtres dans la série.

C’est pour cela que l’on se reconnaît aussi dans ses personnages-là, et que certains, du côté de l’Église, ne supportent pas que l’on raconte que nos prêtres sont humains, qu’ils ont un problème avec cela, aussi complexe soit-il. Parce qu’eux sont persuadés qu’avec l’aide de l’Esprit Saint, la problématique du sexe se résout très vite et facilement.

 

Denis Tison

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