Dernière mise à jour : avril 18th, 2016 at 03:23 pm
Après avoir réalisé un film documentaire sur la ville fantomatique de Zhiziluo (Ghost Town, 2008), Zhao Dayong y retourne avec le long métrage de fiction Shadow Days (鬼日子) sur les conséquences de l’application de la politique de l’enfant unique au quotidien. Nous avons eu la chance de rencontrer le réalisateur chinois à Paris.
Synopsis :
Pour échapper à un passé trouble, Renwei (Liang Ming) revient en compagnie de sa fiancée, Shiliu (Li Ziqian), dans sa ville natale, dont son oncle (Liu Yu) est le maire, après 20 ans d’absence. Situé dans les montagnes, à la frontière de la Chine et de la Birmanie, la ville de Zhiziluo a bien changé et s’est vidé de ses habitants, la plupart étant partis tenter leur chance en ville. Manquant de bras, l’oncle de Renwei propose à ce dernier de travailler pour le planning familial…
“Le bien et le mal
nous accompagnent toute notre vie”
Film qui navigue entre le social et le fantastique, Shadow Days débute par une scène où un rickshaw zigzague dans une montagne pour rejoindre la ville isolée de Zhiziluo. Par sa réalisation, ce début de film peut faire penser à la scène d’introduction de Shining (1980).
Donc pour ce film, les éléments fantastiques ne viennent pas de la science-fiction mais ils viennent de la philosophie chinoise. La plupart des chinois n’ont pas de croyance mais certains sont bouddhistes, d’autres confucianistes. Pour le bouddhisme, c’est la roue de la vie, c’est-à-dire que si on fait du bien, on aura du bien mais que si on fait pas du mal, on ira en enfer. Le bien et le mal nous accompagnent toute notre vie donc ce style de réalisation va continuer à exister dans mes films.”
— Zhao Dayong
Si ce que raconte le film sur le contrôle des naissances est marquant, il ne faut pas y voir le seul sujet de Shadow Days car “ces avortements forcés ont lieu chaque jour en Chine, la réalité est beaucoup plus cruelle que ce qui se passe dans mon film”. À travers la spécificité de la ville de Zhiziluo, Zhao Dayong remet en question “l’héritage” laissé par Mao et la Révolution culturelle.
— Zhao Dayong
“C’est un personnage symbole pour moi,
il représente la plupart des chinois”
Les personnages décrits par Shadow Days ne sont pas glorieux, ils sont même dépourvus d’affects, exceptés le personnage féminin, Shiliu, qui est encore capable de ressentir des choses devant un beau paysage ou des situations révoltantes.
Renwei est lui totalement indifférent à ce qu’il se passe autour de lui. Il reste, par exemple, totalement stoïque devant la détresse des victimes du planning familial.
De son côté, son oncle peut se montrer très cruel dans l’exercice du pouvoir et n’a même aucun problème à faire appel à un chaman, à une effigie de Mao ou à un prêtre pour mettre fin à une malédiction contre lui.
Shiliu est une femme qui représente beaucoup de femmes en Chine, c’est-à-dire qu’elle n’a pas d’autonomie, elle doit forcément dépendre de quelqu’un, son mari ou ses parents. Elle, elle veut juste vivre sa propre vie. Le fantôme qui lui apparaît pendant la nuit, c’est un garde rouge, une figure de la Révolution culturelle car les personnages ont des costumes d’armée. Ces gardes rouges sont des jeunes qui ont fait beaucoup de mal pendant la Révolution culturelle. Mais c’est plutôt un symbole pour la femme. Elle a beaucoup de restrictions, elle ne peut pas faire ce qu’elle veut et ce fantôme est une métaphore pour elle.
Et évidemment, l’oncle est un personnage de pouvoir. Il représente les gens qui sont au pouvoir en Chine. Il est un peu comme un robot, une grosse machine de la Chine.”
— Zhao Dayong
“Si notre époque n’avait pas besoin
de cinéma indépendant,
ce genre de cinéma n’existerait pas”
Tourné en dehors du système officiel, Shadow Days adopte un style documentaire. Les scènes sont souvent comme tournées sur le vif et improvisées. Les transitions sont abruptes et les seconds rôles (les bons comme les méchants) sont joués par les vrais habitants de la ville qui ont très certainement connus ce que le film dénonce.
C’est aussi la force de ce cinéma indépendant qui a su profiter de l’ère du numérique pour raconter de telles histoires malgré un budget très serré et une censure omniprésente.
Mais est-ce qu’un tel système de production (en dehors du circuit officiel et donc des financements) peut perdurer éternellement ?
— Zhao Dayong
Bref, si Shadow Days manque un peu de rythme et se perd parfois dans son mélange des genres, le propos du film et la très grande violence d’une de ses scènes-clés — que l’on ne révèlera pas — en font un nouveau film fort sur l’histoire de la Chine communiste.
Remerciements à Li Yuwen (李郁文) pour la traduction.
En savoir plus :
- Date de sortie France : Dissidenz Films
- Distributeur France : 30/03/2013
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