Making of, une comédie de Cédric Kahn, suit les péripéties d’un tournage catastrophe. Le film avec Denis Podalydès est disponible en vidéo depuis mai 2024. L’avis et la critique.
Synopsis :
Le premier jour de tournage achevé, un réalisateur découvre que ses coproducteurs lui demandent de changer la fin du scénario pour continuer leur participation. Pendant ce temps, l’acteur principal tente de réécrire l’histoire à son profit, tandis qu’un jeune figurant qui veut devenir réalisateur, est choisi pour faire le making of du tournage.
L’article vous est proposé par Cédric Lépine.
Making of : une comédie cathartique
Situation inédite dans la filmographie de Cédric Kahn, Making of est une comédie cathartique où le cinéaste évacue les appréhensions qu’il peut rencontrer sur un tournage transformant celui-ci en cauchemar. Ainsi, le film commence le premier jour de tournage pour s’achever le dernier. Le film dans le film concerne la révolte adaptée d’une histoire vraie d’ouvriers d’une usine pour occuper celle-ci et se lancer dans une coopérative en autogestion.
Peu à peu les conflits commencent à apparaître révélant que les horizons des uns ne correspondent pas à ceux des autres. L’histoire du film à l’intérieur du film devient en même temps la métaphore du conflit qui est en train de se produire en hors champ puisque les financements du film n’étant pas réunis, l’équipe de tournage est contrainte à faire de plus en plus de concession pour que le film puisse se faire. Il se rajoute à cela un jeune homme qui désirerait devenir à son tour réalisateur, qui n’est pas le « fils de » et qui se retrouve à réaliser le making of du film.
Ainsi, le scénario est construit sur le principe des poupées gigognes, avec un film dans un film dans un film où des personnages interprètent des personnages qui en interprètent d’autres. Sans pour autant se retrouver dans la complexité temporelle d’un film de Christopher Nolan ou encore de Shahram Mokri (Invasion, Fish and Cat) particulièrement brillant dans la maîtrise de la boucle temporelle, Cédric Kahn rejoint davantage les problématiques de Nanni Moretti et de son dernier film Vers un avenir radieux (Il sol dell’avvenire) où il était question d’un tournage d’un film interrogeant l’engagement politique.
En revanche, bien que Cédric Kahn se soit entouré d’acteurs et d’actrices particulièrement brillant.es, notamment Souheila Yacoub, déjà une grande révélation dans Entre les vagues (2020) d’Anaïs Volpé, le scénario se révèle bien plus fragile dans son élaboration où les différentes intentions ne parviennent pas à faire corps et où les métaphores finissent par devenir trop évidentes pour surgir subtilement.
Uns introspection sur la peur du tournage
Making of révèle dans son scénario ses propres limites : l’histoire aurait été plus intéressante si le film avait été un documentaire et donc un vrai making of ou bien encore une fiction mais avec un récit véritablement choral et une démarche de réalisation collective à l’image de l’initiative des ouvriers et ouvrières pour reprendre leur usine. En donnant trop de place au réalisateur joué par Denis Podalydès et dédoublé dans l’image du jeune aspirant réalisateur, jouant le présent et le passé de Cédric Kahn lui-même, le film s’enferme dans des thématiques autocentrées déséquilibrées avec le sujet de la lutte collective.
Cette introspection de la peur du tournage a fait d’ailleurs l’objet d’un merveilleux témoignage sous la plume de Frédéric Sojcher Main basse sur le film (2021) qui aurait pu faire d’ailleurs l’objet d’une adaptation inspirée pour Cédric Kahn. Celui-ci aurait pu aussi être plus introspectif à la manière des fantasmagories de Fellini sur son 8 ½ (Otto e mezzo, 1963) mais le cinéaste ne s’est pas suffisamment confié dans l’écriture de son scénario.
Quant à la lutte sociale, on est loin de l’implication d’un Nanni Moretti ou encore d’un Stéphane Brizé, ce qui confère un grand désinvestissement pour les scènes du film à l’intérieur du film, intégrées au reste du film par un montage qui fait corps avec l’ensemble du film pour rendre encore plus floue la séparation entre les différentes poupées gigognes. Il en résulte un film malheureusement bancal avec ces différentes intentions qui s’entrechoquent mais qui ne permettent pas au film de trouver sa cohérence dans une véritable démarche collective des problématiques d’un tournage.
Comme Cédric Kahn le fait dire au personnage joué par Souheila Yacoub, son film ne s’intéresse malheureusement pas assez à la cantinière, au figurant et aux différents membres artistico-techniques qui font un film à cause du rôle du réalisateur qui finit par vampiriser le reste du film. Ce vampire est d’ailleurs métaphoriquement bien mis en scène de manière comique avec l’acteur qui prend toute la couverture du film, joué par un Jonathan Cohen en grande forme.
un scénario écrit collectivement
De même, plusieurs scènes constituent de belles trouvailles comme ce producteur lâche et filou joué par Xavier Beauvois ! Sans parler du véritable capitaine du bateau qu’est la directrice de production jouée avec justesse et sobriété par Emmanuelle Bercot. Le film est en cela une déclaration d’amour et de complicité de Cédric Kahn pour une troupe d’acteurs et d’actrices (comme c’était déjà le cas dans Fête de famille où Cédric Kahn lui-même s’intégrait en tant qu’acteur à ladite famille) qui pour certains et certaines sont également cinéastes (Xavier Beauvois, Emmanuelle Bercot, Valérie Donzelli) comme lui-même l’est.
Là encore, le cinéaste témoigne implicitement de frontières non étanches dans les fonctions au cinéma et il aurait été curieux de voir Making of avec un scénario écrit collectivement avec ces quatre acteurs, actrices, réalisateurs et réalisatrices concentrant l’ensemble de leurs phobies respectives de tournage !
En savoir plus :
- Making of
de Cédric Kahn
Fiction
114 minutes. France, 2023.
Couleur
Langue originale : françaisAvec : Denis Podalydès (Simon), Jonathan Cohen (Alain / Jim), Stefan Crepon (Joseph), Souheila Yacoub (Nadia / Oudia), Emmanuelle Bercot (Viviane), Xavier Beauvois (Marquez), Valérie Donzelli (Alice), Orlando Vauthier (Jules), Thaïs Vauquières (Cathy), Thomas Silberstein (l’assistant-réalisateur), Riad Gahmi (Jeff), Karim Seghair (Mansour), Arnaud Pilarczyk (Arnaud), Rachid Bouzid (Mehdi), Stéphanie Bailly (Marie), Émilia Dérou-Bernal (Marion), Antoine Berry Roger (le machiniste), David Olivier Fischer (l’ingénieur du son), Matilda Kime (l’opératrice), Johanna Colboc (la scripte), Romaric Thomas (le régisseur), Damien Rondeau (le décorateur), Aurélie Delvenne (la cantinière), François Philippi (le superviseur sous la pluie), Moritz Runzi (l’assistant), Alma Galy-Nadam (l’assistante), Addil Chafaoui
Sortie en salles (France) : 10 janvier 2024
Sortie France du DVD : 10 mai 2024
Format : 2,39 – Couleur
Sous-titres : français pour sourds et malentendants.
Éditeur : Ad VitamBonus :
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