Sur Bulles de Culture, art, cinéma, littérature, musique, spectacles, télévision... chaque jour, la culture sort de sa bulle.
les alchimies livre critique avis

Critique / “Les alchimies” (2023) de Sarah Chiche

Dans les alchimies, la parole est à Camille, quarante-huit ans, un médecin légiste brillant, concentrée sur son métier et occupée à réaliser la plupart du temps des autopsies. Malicieusement, une journaliste fait remarquer à l’auteur, elle-même psychologue clinicienne et psychanalyste, à l’occasion d’une interview, qu’autopsie peut aussi se comprendre « auto-psy ». La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Gilles M.

L’auteur réfute, déclarant que ce cinquième roman est le plus fictionnel mais le ton est donné. Il est aussi question de Goya (1746-1828), de sa peinture mais surtout de son crâne dont on constate en 1888 la disparition à l’ouverture de sa tombe. Mieux vaut s’aventurer dans ce roman en ayant revu quelques tableaux de Goya surtout ceux de sa période noire et en étant intéressé par les mystères de la conscience humaine, sa localisation et ses représentations. Ceci étant posé, le voyage en vaut la peine !

Les alchimies : Un thriller alimenté par de nombreuses questions

Camille est parisienne et présente toutes les caractéristiques d’un personnage féminin de roman contemporain. Elle élève sa fille adolescente seule, entretenant avec le père de celle-ci, médecin brillant lui aussi, des relations épisodiques. Son métier l’occupe totalement. Vaguement attirée par une collègue, elle n’a décidemment pas le temps pour investir dans cette relation ! Le lecteur identifie facilement d’où vient ce sérieux quand Camille décrit son enfance avec des parents attentifs à l’éducation de leur fille, l’initiant à la médecine, stimulant souvent sa curiosité. «La médecine et la science, on vivait dedans, constamment».

Pendant toute la première partie du roman, le lecteur la suit avec sympathie mais sous le vernis de cette vie d’apparence tranquille, des originalités, voir des fissures, émergent : pourquoi la relation avec le directeur de son institut nous semble particulière ? Pourquoi son père a-t-il été fasciné pour Goya au point d’écrire un livre édité à au moins quelques dizaines d’exemplaires ? Comment les parents de Camille tous les deux médecins ont-ils disparus quand elle était enfant ? Quel rapport avaient-ils avec le parrain de Camille Alexandre, un neurologue devenue une célébrité qui l’a recueillie adolescente devenue orpheline ?

Dans la seconde partie et dernière partie du livre, baptisée comme la première par le nom d’un tableau de Goya, ses questions vont trouver leurs réponses. En effet, Camille reçoit un mail : une mystérieuse correspondante lui propose un rendez-vous à Bordeaux pour éclairer les mystères de sa vie.

Bordeaux est la ville où vivaient les parents de Camille pendant leurs études mais aussi où Goya, vieillissant, s’est réfugié, quittant l’Espagne pour des raisons politiques, et où il a été initialement enterré. Goya devient une figure centrale de cette seconde partie avec une nouvelle question : qu’est devenu son crâne ?

Ou sont les alchimies du titre du roman ?

La fascination historique pour les crânes des artistes ou savants décédés nous plonge dans une atmosphère de fausses sciences assimilables à l’alchimie. Depuis le moyen âge, des curieux plus ou moins inspirés, se sont intéressés à ces crânes espérant y trouver le secret des génies, la localisation de leur conscience, voir à trouver une façon de s’approprier ce qui les rend uniques.

Mais alchimie renvoie aussi aux débuts de la médecine ou les frontières entre sciences rationnelles et recettes ésotériques pour guérir n’étaient pas si grandes. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur une citation de l’œuvre au noir de Marguerite Yourcenar écrit en 1968 et décrivant la pratique de Zénon, le médecin héros du livre. L’art de la médecine, métier de la plupart des personnages du roman, baigne tout le roman.

Enfin alchimie est peut être aussi une façon de caractériser le chemin des personnages. La Camille de la fin du livre, au petit matin d’une nuit riche en révélations, éclairée par l’histoire de ces parents peut être considérée comme transmutée, en tout cas avec plus d’atouts pour une vie plus épanouie qu’au début du roman.

L’écrivain comme un légiste

Goya lui-même est peut être un autre alchimiste du roman puisque il a placé l’art comme une source de révélations y compris sur soi.

Les parents de Camille se sont passionnés pour ce peintre d’abord portraitiste des personnages de cour avec un style très classique, puis soudain peut être en raison d’une maladie, abandonnant pendant une courte période le réalisme pour des tableaux extrêmement noirs, énigmatiques, déformant les sujets comme pour mieux représenter leurs vérités. Ces tableaux de cette période le désignent comme in précurseur de l’expressionisme.

L’écriture de Sarah Chiche est très agréable. Les phrases sont précises et élégantes et dégage une plaisante fluidité. Elle-même reconnait une grande attention au style : «Les écrivains sont comme des légistes, il s’agit de déplier les plis ».Tous deux, déclare-t-elle, sont «assujettis à la perfection du geste».

Le lecteur navigue agréablement entre la vie contemporaine à Paris en 2022, les années 1960 à Bordeaux et un récit historique autour de Goya. Ajouter une pincée d’énigme à résoudre, une réflexion sur ce qui nous fait et nous transforme, et nous pouvons conclure que ce roman a tout pour plaire !

En savoir plus :

  • Les alchimies, Sarah Chiche, Seuil, août 2023, 19,50 euros

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.