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Critique / “Passage de l’Avenir, 1934” (2024) de Alexandre Courban

Les éditions Agullo viennent de publier l’excellent premier roman d’Alexandre Courban, Passage de l’Avenir, 1934, qui allie habilement Histoire, social et trame policière. La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Une noyade suspecte dans la Seine à Paris en 1934

L’auteur dispose de solides bases pour développer son intrigue dans le XIIIe arrondissement de Paris, en sa qualité de délégué à la mémoire et au patrimoine du dit arrondissement, et de recherches menées sur le monde industriel de l’époque. En mettant en scène Gabriel Funel, jeune journaliste déterminé et engagé à L’Humanité, l’auteur peut s’appuyer sur sa thèse d’histoire consacrée au quotidien, créé par Jean Jaurès, de 1904 jusqu’au déclenchement de la seconde guerre mondiale.

Restait à trouver un enquêteur apte à rendre à une jeune femme, retrouvée noyée dans la Seine en février 1934, son identité. Ce sera le commissaire Bornec, homme opiniâtre et pugnace. Convaincu qu’ii s’agît d’un crime et non d’un suicide ou d’un accident, rejetant le classement sans suite du dossier, il bénéficiera de l’aide de Gabriel Funel, et de femmes de l’ombre, combattantes pour la vérité comme la belle Camille, travailleuse et militante acharnée. Les médias, quels qu’ils soient ne sont pas intéressés par ce fait divers banal.

En effet ils ont tant à écrire sur l’affaire Stavisky, le « suicidé » qui se serait tiré deux balles dans la tête, ce qui est pratiquement impossible, en janvier 1934. Un évènement qui déclenche la démission de Camille Chautemps, président du Conseil, l’éviction du préfet de police Jean Chiappe et les émeutes antiparlementaristes du 6 février 1934 menées par les ligues d’extrême droite dont les Croix de feu, les Camelots du roi. Et à tout cela s’ajoute la spéculation sur le sucre qui attire maints individus disposant de capitaux, faisant trembler les murs de l’Assemblée Nationale.

Tel le directeur de la raffinerie de la Jamaïque, Ernest Vince, bourgeois de fiction, qui a un destin assez semblable à celui de Ernest Cronier, directeur expansionniste, aux pratiques financières douteuses, qui mit fin à ses jours en 1905 dans un somptueux hôtel particulier du Parc Monceau. Le roman permet de belles transpositions entre réalités historiques et créations littéraires. Passage de l’Avenir, 1934, réussit parfaitement à faire cohabiter personnalités politiques et individus fictionnels, et remet en lumière de multiples titres de presse, aujourd’hui disparus sauf exception comme Le Figaro ou L’Humanité.

Un Paris bouillonnant prêt à basculer

Dans un contexte politique très mouvementé Passage de l’Avenir, 1934 se déploie dans un périmètre très limité des bords de Seine à la raffinerie de la Jamaïque (ou raffinerie Say, l’un des grands industriels de l’époque), ou au quartier populaire de la rue Jeanne d’Arc avec sa célèbre cité éponyme, véritable ghetto insalubre.

Dans ces locaux sordides s’y entassent de nombreux déclassés, des hommes abîmés et cabossés par la première guerre mondiale, des chômeurs, des délinquants, des étrangers, et beaucoup de jeunes femmes seules, avec ou sans enfants, mal mariées pour la majorité lorsqu’elles ont un conjoint, et toujours ouvrières exploitées.

Entre précarité et misère, la cité Jeanne d’Arc est un véritable terreau de révoltes, où il ne fait pas bon d’être policier en cette période pré Front populaire. Ceux qu’une certaine presse de l’époque traitera « d’indésirables », « d’individus peu recommandables » après leurs expulsions, ont mené des combats de rues en 1934, évoqués dans Passage de l’Avenir, 1934.

Les conditions de travail éprouvantes, les cadences infernales sous le joug de contremaîtres vicelards, la maltraitance parfois, les abus de pouvoirs, ainsi que les combats revendicatifs menés sont des composantes essentielles du roman.

Tout est fluide dans cette reconstitution avec des personnages suffisamment denses, juste ce qu’il faut, une enquête simple, non emberlificotée dans des rebondissements multiples ou inutiles. Alexandre Courban restitue un Paris bouillonnant prêt à basculer, avec un monde ouvrier pressuré face à une bourgeoisie opulente et dévoyée parfois, entre manifestations et réunions ouvrières face aux Ligues de droite. Un contexte social dense qui est un autre des points forts de ce roman noir.

L’avis sur le livre ?

L’enquête trouve son dénouement avec un article dans L’Humanité le 8 juin 1934 de Gabriel Funel, Dans la mélasse de la raffinerie de Jamaïque. Une forme originale en termes de conclusion sur ce qu’il faut retenir de Passage de l’Avenir, 1934, sous la signature du journaliste qui a contribué à faire émerger l’identité de la noyée, lui ainsi redonnant une dignité.

L’Histoire conjuguée avec le social donnent un excellent roman noir (plus que policier), parfaitement documenté, avec des dialogues adaptés à chaque intervenant, sous la plume affutée d’Alexandre Courban. Une très belle découverte dont la suite (annoncée) est attendue avec impatience tant la période est passionnante avec des protagonistes crédibles.

En savoir plus :

  • Passage de l’Avenir, 1934, Alexandre Courban, Agullo, janvier 2024, 240 pages, 19,90 euros
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