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Critique / “Bien-Aimée” (2024) d’Aurélie Tramier

Dernière mise à jour : mai 19th, 2024 at 02:49 am

Pour son quatrième roman, Aurélie Tramier, aixoise de naissance, munichoise d’adoption, se lance avec Bien- Aimée, chez La Belle Étoile Marabout, dans un roman historique sérieusement documenté sur ce que fut le camp des Milles, à peine à trois kilomètres au sud-ouest d’Aix en Provence, devenu Site-mémorial depuis 2012. La critique et l’avis sur le livre. 

L’article vous est proposé par Chris L.

Bien-Aimée : un livre sombre et lumineux

Un livre sombre et lumineux à la fois, submergé de couleurs, de poussière, de chaleurs insupportables, d’odeurs fétides, de maladies, entre sons du hautbois, amours impossibles, qui révèle tout un pan d’Histoire de la seconde guerre mondiale. Tel est Bien- Aimée, sous la plume alerte, ensorcelante d’Aurélie Tramier.

Dès 1939 la briqueterie désaffectée des Milles devint un lieu de regroupement des ressortissants allemands et autrichiens ayant fui leur pays face à l’oppression nazie et la politique antisémite. Pays d’accueil ou de transit, la France brutalement les considérait comme des ennemis potentiels.

Artistes, écrivains, sculpteurs, peintres, médecins, architectes y furent entassés aux côtés de simples citoyens. Nombreux y furent ceux enfermés pour leur judéité, aux côtés d’opposants divers et variés au nazisme. Peu de nourriture, des couchages à même le sol dans quelques brins de foin, des toilettes inexistantes, quelques unes seulement pour des milliers d’individus. Les journées qui s’étirent interminablement.

Chacun reprend alors ce qu’il sait faire ; sculpter, peindre, soigner, jouer de la musique, réciter, présenter de courts spectacles, tenir de petites conférences, discuter, et pour d’autres seulement soliloquer. Fermé brièvement en avril 1940 avec la remise en liberté des détenus, le centre rouvre dès le mois de mai où y sont désormais concentrés ceux qui contestent le régime allemand, c’est à dire l’essentiel de ceux libérés quelques semaines plus tôt. Aucune amélioration des conditions de vie. Les poux pullulent, le typhus se répand rapidement.

À cela s’ajoute la peur d’être livré aux autorités allemandes, d’être dénoncé par certains prisonniers qui se fascisent. Lion Feuchtwanger, écrivain allemand détenu durant ces deux périodes, présent dans Bien- Aimée, a raconté son séjour dans Le Diable en France. Bien qu’en zone libre ce lieu se transforma en 1942, durant quelques mois, en camp de déportation. Aux hommes furent adjoints femmes et enfants de moins de seize ans. Cette action française, conduisit plus de 2000 personnes juives vers Auschwitz. Tous ces évènements, sont parties intégrantes de Bien- Aimée.

“Un roman historique où secrets de familles, marques de l’Histoire sont portés par des personnages de fiction”

La belle couverture du roman résume tout ce que celui ci contient ; une ancienne usine, ocre, une multitude d’hommes désœuvrés qui battent le sol sauf un hautboïste concentré sur sa musique, le wagon d’un train qui attend des passagers pour une incroyable fuite. Et surtout il y cette femme pensive, qui porte en elle tous ces éléments y compris les barbelés qui lui enserrent la tête, à l’écoute semble t-il du musicien qui joue pour elle. Malgré les circonstances le camp des Milles semble pouvoir abriter encore une histoire d’amour.

Heureuse ou tragique, seule la lecture de Bien- Aimée apportera la réponse. Ainsi au terme d’une longue enquête, quatre-vingts ans plus tard Esther dénouera l’incroyable cheminement d’une Omega Saint-Christophe de 1938, cadeau de son père qui lui même a reçu cette montre très rare de sa mère. Sur son boitier est gravé Hans W, indication incompréhensible, qui constitue une énigme quant à son cheminement lorsque sur une photo au Site-mémorial des Milles Esther découvre au poignet d’une déportée la même montre.

De Hans le Maestro, le plus grand musicien de hautbois au monde à l’époque, incarcéré en mai 1940, à Esther en 2022, la reconstitution de la vie au camp, sur ce qui s’y passa, devient possible grâce à la pugnacité de cette jeune femme et à l’aide inattendue de Tristan, son fils, un ado pas bien dans sa peau qui progressivement se passionne pour la résolution de ce véritable mystère.

Un roman historique où secrets de familles, marques de l’Histoire sont portés par des personnages de fiction qui ont du corps, auxquels le lecteur s’attache rapidement, que ce soient Hans et son frère Andreas liés par des souvenirs de la première guerre mondiale, Elsa la belle chapelière venue d’Alsace et sa fille Greta, ou bien Joseph qui refuse de rencontrer sa mère en EHPAD atteinte d’Alzheimer, pour ne pas affronter une dure  réalité, sans oublier Tristan et Esther.

Bien- Aimée est très bien construit, porté par une écriture descriptive et souple avec la mise en relief de personnes qui arrachèrent à la mort nombre d’hommes, femmes et enfants quand le mot Fraternité avait encore un sens pour certains. Un livre puissant qui ne se lâche pas, et dont le souvenir demeure.

En savoir plus :

  • Bien-Aimée, Aurélie Tramier, Marabout, janvier 2024, 432 pages, 20,90 euros, Collection la belle étoile
Bulles de Culture - Les rédacteur.rice.s invité.e.s

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