Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 12:30 pm
Patti Smith, artiste, auteur et chanteuse de rock’n’roll née en 1946, est l’auteur d’une quinzaine d’albums (dont Horses, Dream of life, Gone again…) et du tube mondialement célèbre Because the night. Elle publie en 2013 une version augmentée de son autobiographie illustrée de nombreuses photos : Just Kids, qui raconte la période de sa vie qu’elle a partagée avec Robert Mapplethorpe, l’artiste et photographe américain décédé prématurément des suites du SIDA en 1989.
Synopsis : Patti Smith, issue d’un milieu modeste, quitte le New Jersey, sa famille et son travail à l’usine à la fin des années 60 pour venir tenter sa chance à New York, gagner sa vie “sans passer par la pointeuse” et devenir artiste. Alors qu’elle n’a ni argent, ni emploi, ni même de logement, elle rencontre Robert Mapplethorpe à l’été 1967, l’été de l’amour.
Ensemble, ils mènent une vie de bohème, désargentée mais heureuse, qui devient plus intense encore lorsqu’ils s’installent dans la chambre 1017 du Chelsea Hotel, ce haut lieu de la contre-culture américaine où vivent « d’extravagants clochards ». Patti rencontre alors Janis Joplin, les poètes beat Gregory Corso et Allen Ginsberg, Jimi Hendrix et William Burroughs, et le hall du Chelsea est pour elle sa « nouvelle université ».
Peu à peu, Robert et Patti tentent de s’introduire dans les milieux artistiques en fréquentant le Max’s Kansas City, espérant un jour s’asseoir à la fameuse table ronde avec la cour d’Andy Warhol. Alors que Robert est de plus en plus reconnu socialement, il pousse Patti à donner des lectures publiques de sa poésie. Sa performance à St Mark’s avec Lenny Kaye lance véritablement sa carrière, alors même que leur histoire tire à sa fin…
Just Kids nous plonge dans l’univers de la poésie, de l’art, de la mode et du rock dans le New York de la fin des années 60 et de la première moitié des années 70, où l’intense désir de créer et de rencontrer des artistes dans des lieux où se retrouvent tout de même le Velvet Underground, Andy Warhol ou Bob Dylan côtoie parfois des abîmes. Patti Smith n’hésite pas à évoquer l’envers du décor, la face sombre des sixties : Janis Joplin, Brian Jones et Jimi Hendrix, retrouvés morts, Sharon Tate et Bobby Kennedy assassinés, et d’autres qui n’auront jamais connu la gloire, suicidés ou morts par overdose.
Mais ce n’est pas seulement l’aspect anecdotique qui retient l’attention du lecteur. Just Kids est un livre qui parle des passages et des deuils : les déménagements successifs, qui aboutissent à la séparation progressive puis définitive d’avec Robert, alors que celui-ci devient clairement homosexuel et se déploie comme photographe après la rencontre avec Sam Wagstaff et que Patti elle-même mène sa propre vie amoureuse auprès de Sam Shepard, puis enfin de celui qui deviendra son mari, Fred « Sonic » Smith. Pourtant, ces deux-là ne se perdent jamais complètement de vue ; les photographies qu’ils font ensemble deviennent même plus intimes, car elles ne parlent « de rien d’autre que de confiance mutuelle ». Et lorsque les tournées l’éloignent de Robert, elle écrit : « En foulant sans lui les scènes internationales, chaque fois je n’avais qu’à fermer les yeux pour le voir enlever son blouson de cuir et pénétrer avec moi la terre infinie, la terre des mille danses. »
Alors que l’écriture de Patti Smith demeure assez factuelle dans le récit qu’elle fait des événements passés, elle délaisse la prose pour le lyrisme poétique – l’écriture de l’autre dimension, verticale, « Main dans la main avec Dieu » ̶ quand elle évoque Robert Mapplethorpe face à la mort qui vient et cette coupe qu’il lui faut boire. On quitte le registre de l’histoire personnelle, avec ses péripéties et ses rencontres successives, pour entrer dans le domaine du sacré, de l’ineffable, de l’indicible. Nul ressentiment pourtant chez celle qui allait vivre. Elle ne maudit pas la vie de l’avoir privée de celui qu’elle aura tellement aimé ; elle adresse plutôt à l’Infini un salut respectueux et s’incline devant l’évidence de l’ordre des choses, portée par l’élan poétique et ce que les morts amènent de vivant en elle. La disparition de Robert n’a pas mis fin à la relation entre les deux anciens amants devenus presque frère et sœur. Robert est mort et il inonde parfois l’instant de sa présence, autrement :
« Au loin, j’ai entendu un appel, la voix de mes enfants. Ils ont accouru vers moi. Dans cet instant soudain hors du temps, je me suis immobilisée. Soudain, je l’ai vu, j’ai vu ses yeux verts, ses boucles brunes. J’ai entendu sa voix par-dessus le cri des mouettes, le rire des enfants et le grondement des vagues.
Souris pour moi, Patti, comme je souris pour toi. »
En conclusion, un livre à lire absolument pour son témoignage, qui nous replonge dans l’atmosphère de la contre-culture et du New York underground, et pour se laisser toucher par sa profondeur poétique et métaphysique : entre les lignes se dessine la clarté d’un sentiment sublime et bouleversant.
J’aime la littérature, la poésie, le cinéma des années 30-40. Des œuvres nouvelles et celles, plus anciennes, qu’on continue de fréquenter comme de vieux amis.« Le Beau est toujours étonnant », disait Baudelaire.
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