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Le Traitement précédé de Messager de l'amour de Martin Crimp par Rémy Barché image
© Marthe Lemelle

[Critique] “Le Traitement, précédé de Messager de l’amour” par Rémy Barché

Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 02:32 pm

Sur la scène du Théâtre Dijon Bourgogne, Bulles de Culture a découvert le perturbant Le Traitement, précédé de Messager de l’amour, des textes de Martin Crimp mis en scène par Rémy Barché. Notre avis sur ce spectacle hypnotique et hypnotisant.

Synopsis :

Anne (Victoire Du Bois) a été enfermée, séquestrée par un mari (Baptiste Amann) qui voulait la préserver du monde, la garder pure. Alors qu’elle s’est échappée, elle raconte son histoire à un couple de réalisateurs, Andrew (Pierre Baux) et Jennifer (Catherine Mouchet) qui veulent s’en emparer pour en faire une œuvre fictionnelle. Mais la réalité est-elle autre chose que ce qu’on veut voir d’elle ? Rien n’est moins sûr et les manipulations autour d’Anne s’enchaînent jusqu’à ce que le doute s’instille en elle. D’autant que son mari rôde.

Le Traitement précédé de Messager de l’amour : Une mise en abyme fascinante

Le Traitement précédé de Messager de l'amour de Martin Crimp par Rémy Barché image
© Marthe Lemelle

Première scène : une femme (Suzanne Aubert) face caméra tente de dérouler le récit de la séquestration qu’elle a subie de la part de son mari, mais le récit se heurte à un écueil, celui de la description des « mauvais jours ». Il est repris, maintes fois repris, précisé, modifié, sans que le blocage puisse céder. Cette femme, la suite du spectacle nous le montrera bien, est vue par Rémy Barché comme une image du personnage Anne, ou comme le film d’Andrew et Jennifer, soit peut-être le résultat final du Traitement.

Les scènes suivantes apparaissent comme un retour en arrière : la rencontre d’Anne avec le couple de réalisateurs ; l’apparition de Simon, le mari ; l’entrée dans l’histoire de Clifford (Thierry Bosc), l’écrivain raté ; puis celle de John (Emil Abossolo-Mbo), l’ancien amant de Jennifer et le futur producteur du film ; et enfin Nicky (Suzanne Aubert), assistante et future actrice du film en devenir. C’est donc tout ce fourmillement autour d’Anne que Le Traitement précédé du Messager de l’amour met en scène. Cette attraction malsaine pour le fait divers glauque. Ce besoin maladif que la fiction soit plus sombre encore, plus crue, plus violente que la réalité. Cette curiosité de vautour autour de la victime.

Saturation d’écrans, récit repris, annoté, altéré, falsifié. La pression augmente jusqu’à faire ployer, jusqu’à broyer. L’univers que Rémy Barché imagine est cynique jusqu’à la moelle. Milieux luxueux, frasques lubriques, multiplication des décors à en donner le tournis : la mise en scène met en avant la corruption profonde que les masques essaient de cacher… en vain.

Un spectacle d’une ironie mordante

Pas de compassion débordante dans la pièce de théâtre Le Traitement précédé du Messager de l’amour vis-à-vis de l’attraction qu’opère le fait divers que tout le monde veut modifier, déformer. La façon dont l’art s’empare de la réalité, l’aliène, la corrompt, cette fascination pour les recoins inavouables, les tréfonds les plus noirs, les névroses les plus mystérieuses et les plus dérangeantes, le spectacle la saisit avec un sarcasme grinçant. Aussi notre victime et son tortionnaire semblent-ils moins perturbants que la faune étrange qui les entoure. A tel point d’ailleurs qu’Anne retrouve le giron conjugal. Car l’innocence, la naïveté, la sincérité que représente Anne sont incompatibles avec le superficiel de l’univers auquel elle vient se frotter. Les rapports de pouvoir, de domination, qui viennent l’écraser sont trop forts de toute part, qu’il s’agisse de la violence conjugale ou de l’agression que représente pour elle une ville comme New-York ou la manipulation dont elle devient la proie. Catherine Mouchet et Pierre Baux excellent d’ailleurs dans l’incarnation du couple de réalisateurs machiavélique ou diabolique.

Une résonance avec l’actualité

En cela, la pièce de Martin Crimp est sidérante : elle semble montrer qu’une violence simple à laquelle on donne un sens est préférable à une violence aveugle et inconnue. Cette oppression qui harcèle n’est pas sans résonance avec l’actualité, et l’éclairage que Le Traitement précédé du Messager de l’amour apporte sur la question de la violence faite aux femmes est glaçant et dérangeant. Victoire Du Bois est en cela bouleversante sous les traits de la jeune femme égarée, mangée toute crue par le monde qui l’entoure.

Le regard que l’auteur et le metteur en scène semblent porter sur la façon dont le milieu artistique s’empare de la vie est inquiétant. Car cette irruption de l’art finit par produire une tragédie shakespearienne qui épargne peu de protagonistes. Comme si le regard, le jugement porté sur une situation réelle incroyable devait aboutir au drame dans le déséquilibre des forces qu’il induit. Comme si l’art ne pouvait conduire qu’à la catastrophe.

En savoir plus :

  • Le Traitement précédé de Messager de l’amour a été joué au Théâtre Dijon Bourgogne du 27 février au 3 mars 2018
  • Durée du spectacle : 3h25
Morgane P.

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