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Critique / “Le dernier thé de maître Sohô” (2024) de Cyril Gély

Le dernier thé de maître Sohô vient de paraître aux éditions Arléa en mai 2024. Un somptueux face à face met aux prises Ibuki, une jeune femme qui rêve de devenir samouraï, et celui qu’elle a choisi pour lui enseigner cet art, maître Sohô. La critique et l’avis sur le livre de Cyril Gély. 

Cet article vous est proposé par Chris. L

La voie du thé : Un passage obligé pour devenir samouraï

1853 est l’année de l’ouverture du Japon au monde extérieur quand le commodore Perry, avec ses quatre navires battant pavillon américain, entra dans la baie d’Edo. C’est aussi à cette date qu’à Okazaki, l’une des étapes sur la route du Tōkaidō entre Edo (Tokyo de nos jours) et Kyoto, Akira Sohô « a laissé son sabre au fourreau », pour s’adonner à la passion du thé. C’est également à cette date que naquît Ibuki à Niigata dans le fief du riz. Enfant unique d’un producteur de saké, « peut-être le meilleur du Japon », elle refuse de devenir la neuvième génération à perpétuer cet ancestral métier.

Bien que femme, elle veut uniquement devenir samouraï et rien d’autre. Pour cela elle devra surmonter un à un les obstacles qui s’érigeront face à elle. Et pourtant son père prédisait parfaitement ce qui allait advenir ; « D’ici peu les hommes cesseront de porter des armures et des sabres. Mais pas de boire… ». Par ailleurs les samouraïs « voilà vingt ans qu’ils n’ont pas combattu. Ils sont devenus obèses irascibles. Et paresseux. » Aucun des arguments déployées par son père ne surent la retenir et l’année de ses vingt et un ans elle partit, plus exactement elle fuit.

Avant que Le dernier thé de maître Sohô ne soit servi, Ibuki, déguisé en garçon, ne laissant poindre aucune trace de sa féminité, déterminée et pugnace, réussira à imposer sa présence à cet ex glorieux combattant puis à l’apprivoiser. La rencontre entre ces deux personnages que tout oppose, que ce soit l’âge, la condition physique, le vécu, leur statut, se révélera bénéfique pour chacun d’entre eux.

À la sagesse et l’humour de l’un répondent la fougue et l’impatience de l’autre. Il n’y aura pas de rapports de maître à élève, seulement des échanges basés sur la connivence, avec parfois quelques oppositions. Avant de manier le sabre elle devra se soumettre préalablement à « la voie du thé », indispensable à tout bon samouraï pour accéder à « la voie su sabre ». Le Japon traditionnel du XIXe siècle brille de mille feux, entre poésie et valeurs traditionnelles, dans Le dernier thé de maître Sohô.

Un voyage poétique au cœur du Japon d’antan, entre tradition et modernité

Livre tendre et baigné d’émotions, Le dernier thé de maître Sohô évoque avec retenue ces anciens combattants qui livrèrent une ultime bataille, celle de Shuroyama, pour lutter contre la modernité qui déferlait sur le Japon, et contre l’oubli dans lequel ils s’étaient trouvés projetés, tels des parias. Ainsi l’occasion est donnée de découvrir les jiseiku (bien moins connus que les haïkus), des poèmes d’adieu empreints d’honneur et du devoir, rédigés par des samouraïs peu avant leur mort.

Car outre la maîtrise du sabre et celle de la voie thé, le samouraï se doit de connaître « la calligraphie, la peinture, la poésie. » Et Le dernier thé de maître Sohô, fut un gyokuro, thé vert de très haute qualité, préparé par Ibuki, « le dernier thé qu’ils prendraient ensemble ». Lui, l’homme d’hier, elle, une jeune femme de demain, s’étaient rencontrés, avaient su se comprendre et partager tant de choses. Et Ibuki pourrait retrouver son maître « dans chaque tasse de thé » qu’elle confectionnerait.

Un roman de moins de 200 pages, divisé en cinq parties avec des chapitres brefs (de deux à trois pages pour l’essentiel, et à quelques rares exceptions quatre ou cinq pages) qui donnent beaucoup de rythme au voyage proposé par l’auteur dans ce monde disparu. Avec des phrases courtes, des mots précis et choisis, CyrIl Gély réussit à restituer la beauté des paysages, les saisons qui s’écoulent, la délicatesse requise pour cueillir les feuilles de thé puis l’art de le préparer, le tout teinté de poésie.

Aujourd’hui la voie du thé subsiste et s’est développée loin de ses terres d’origine. Des samouraïs, seuls quelques faits d’armes perdurent, ainsi qu’une légende féconde. Le dernier thé de maître Sohô, se révèle être un merveilleux voyage dans ce Japon défunt, où modernité et traditions s’affrontent, et où esthétisme et violence cohabitent.

En savoir plus :

  • Le dernier thé de maître Sohô, Cyril Gély, Arléa, mai 2024, 200 pages, 18 euros
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