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La forme de l'eau affiche film

Critique / “La Forme de l’eau” (2017) : le septième art selon Guillermo del Toro

Dernière mise à jour : mai 19th, 2022 at 12:06 am

Réalisateur cinéphile de talent, Guillermo del Toro a mené jusque-là une carrière plutôt marginale et inégale. Mais avec ses 13 nominations aux Oscars, La Forme de l’eau (The Shape of Water) pourrait bien être le chef d’œuvre qui apporterait enfin au réalisateur mexicain toute la reconnaissance qui lui est dû… La Forme de l’eau, futur film culte multi-oscarisé ? L’avis et la critique film de de Bulles de Culture.

Synopsis :

Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultra secret, Elisa (Sally Hawkins) mène une existence morne et solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsque sa collègue Zelda (Octavia Spencer) et elle découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…

La Forme de l’eau : un best of Guillermo del Toro

La filmographie spectaculaire et divertissante de Guillermo del Toro est jalonnée de films plus personnels, entremêlant avec virtuosité le cinéma de genre et le cinéma d’auteur.

Après L’Echine du diable (2001) et Le Labyrinthe de Pan (2006), le réalisateur mexicain nous livre son nouveau chef d’œuvre, La Forme de l’eau, sombre féérie d’un septième art dont lui seul à le secret. Guillermo Del Toro y orchestre tous les ingrédients de son fantastique univers avec une maîtrise totale.

Scénario, mise en scène, cinématographie, décors, costumes, maquillage, effets spéciaux… La Forme de l’eau mérite chacune de ses 13 nominations aux Oscars en 2018. Et pour couronner le tout, le réalisateur bénéficie enfin d’une musique — composée par Alexandre Desplat — à la hauteur de sa mise en scène.

Avec cet atout supplémentaire de taille, impossible de ne pas plonger tête la première dans La Forme de l’eau.

Une fluidité cinématographique et musicale

Guillermo Del Toro a travaillé la mise en scène de La Forme de l’eau comme une comédie musicale, un genre si caractéristique du cinéma américain des années 50 (époque à laquelle se déroule le film). La caméra est constamment en mouvement, dans un balais de dolly, grue et steadycam précisément chorégraphié.

Et pour mieux nous entraîner dans le courant, la subtile partition d’Alexandre Desplat (Réparer les vivants12 jours) vient s’accorder à la perfection avec le rythme de chacune des séquences du film, tout en nous immergeant toujours un peu plus profondément dans l’imaginaire fantastique du réalisateur.

Guillermo del Toro est d’ailleurs venu présenter son film à Paris avec Alexandre Desplat. Et la flagrante complicité entre les deux témoignaient du coup de foudre artistique de leur rencontre. La Forme de l’eau atteste de cette étroite collaboration qui, on l’espère, ne fait que commencer.

Car à l’image d’Alfred Hitchcock avec Bernard Hermann, Sergio Leone avec Ennio Morricone, David Lynch avec Angelo Badalamenti, Tim Burton avec Danny Elfman — et on en passe et des meilleurs— , Del Toro semble avoir enfin trouvé son âme sœur musicale…

Une partition écrite pour Sally Hawkins

Sally Hawkins (Layer Cake, Happy Go Lucky, Blue Jasmine) est la tête d’affiche du film La Forme de l’eau. Elle prend la lumière dans chacune de ses scènes et brille en dépit de ses co-stars qui ont pourtant tout le talent pour lui faire de l’ombre.

À commencer par Michael Shannon (Elvis & Nixon99 Homes), parfait dans le rôle plus complexe qu’il n’y paraît de l’affreux agent Richard Strickland.

Viennent s’ajouter Richard Jenkins (Six Feet UnderStep Brothers), Octavia Spencer (Fruitivale StationLes figures de l’ombre) et Michael Stuhlarg (Premier ContactDalton Trumbo) dans trois seconds rôles adroitement écrits et interprétés avec justesse.

Mais dans son rôle de jeune femme muette et esseulée tombant amoureuse d’un monstre marin, Sally Hawkins étincelle et démontre toute l’amplitude et la force de son jeu. Guillermo Del Toro l’a bien choisie en écrivant ce personnage rien que pour elle.

Une magnifique opportunité pour une actrice encore trop méconnue qui le mérite et sera, on l’espère fortement, récompensée aux Oscarsen 2018.

Une ode à l’amour universel plus complexe qu’il n’y paraît

Entre une princesse qui se masturbe, un prince charmant qui reste crapaud et les petites touches macabres “del toresque”, le long métrage La Forme de l’eau pourrait facilement se résumer à un simple conte de fée pour adultes.

Surtout que Guillermo Del Toro assume pleinement l’histoire d’amour qu’il présente au centre de son film — aussi déroutante soit-elle — car selon lui, les émotions sont le nouveau punk d’aujourd’hui. Cependant, derrière cette ode à l’amour candide, La Forme de l’eau recèle un discours bien plus complexe et politique.

La métaphore la plus évidente est d’abord celle du monstre marin, “venant du sud” et traqué par le gouvernement qui veut la renvoyer chez elle. Il n’est pas difficile d’y lire une critique sur la politique américaine face à l’immigration mexicaine.

Mais Guillermo Del Toro va encore plus loin dans son scénario et propose une déconstruction pertinente du mythe américain sur lequel se repose toute l’idéologie politique actuelle du pays.

En effet, lors de la campagne présidentielle d 2017, le fameux slogan “Make America Great Again” faisait en effet référence à une Amérique idyllique, celle des années 50 — avant la mort de John Fitzgerald Kennedy. Une Amérique en plein boom économique et surfant sur le début d’une culture consumériste de rêve où tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Mais pour Guillermo Del Toro, cet idéal américain n’a évidemment jamais existé puisqu’il ne s’adressait qu’au stéréotype de l’homme blanc, hétérosexuel, patriarcal et carriériste. En plongeant son film dans ce supposé âge d’or des années 50, le réalisateur mexicain va confronter ses personnages à cet idéal supposé et démontrer subtilement toute son iniquité.

Ainsi dans La Forme de l’eau, la majorité des personnages sont exclus de ce rêve américain de par leurs identités, qu’ils soient homosexuels, noirs, handicapés ou étrange(r)s.

Seul le personnage interprété par Michael Shannon pourrait prétendre à vivre pleinement ce rêve américain. Mais la déchéance du personnage, violemment rongé par ce rôle inconscient qui lui est imposé, expose tous les vices de cet idéal de société, intolérant et individualiste à l’extrême…

Notre avis ?

La Forme de l’eau est donc le film le plus abouti de Guillermo del Toro, tant sur le fond que sur la forme. En y perfectionnant l’empreinte de son univers sombre et fantastique, le réalisateur mexicain signe ici son film le plus personnel.

Et pourtant, La Forme de l’eau est avant tout une fable universelle, un conte métaphorique subversif doublé d’un hommage cinéphilique pour le Septième art sous toutes ses formes. Un film qui mériterait selon nous chacun de ses Oscars.

Mais l’amour si particulier de Guillermo Del Toro pour les monstres et le macabre lui coûtera-t-il l’ultime reconnaissance d’Hollywood ?

La réponse bientôt, sachant que le film a déjà remporté de nombreuses récompenses dont deux Golden Globes en 2018 (Meilleur réalisateur et Meilleure bande originale de film) et trois prix à la Mostra de Venise en 2017 (Lion d’or, Prix Future Film Festival Digital, Prix C. Smithers Fondation – CICT-UNESCO et Prix de la meilleure musique de film).

En savoir plus :

Emilio M.

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